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Le trafic des êtres humains se porte bien à Nador

Ayant pignon sur rue, des passeurs officient au vu et au su de tous


Hassan Bentaleb
Vendredi 27 Juillet 2018

«J'ai payé 5.000 euros à un passeur et j'attends toujours un départ éventuel vers l’Europe. Cela fait des mois que le trafiquant me fait patienter mais rien ne semble venir. Dernièrement, ce passeur a complètement disparu et a coupé toute communication. Je ne sais pas quoi faire. Je suis bloqué en forêt ». « J'ai payé 3.000 euros pour partir en Europe mais le passeur chargé de cette mission refuse toujours de me faire voyager. Pis, il a même refusé de me rendre mon argent. Je ne peux rien faire puisque j'ai peur et je ne suis pas la seule. Tout le monde ici a peur de lui. Je ne veux plus vivre dans la peur, aide-moi à quitter le campement ». « Un ami a payé 3.000 euros à un trafiquant il y a près de deux ans sans réussir pour autant à partir vers l’Espagne. Pire, il est tombé malade et le passeur a refusé de lui rendre son argent pour se soigner. Aujourd’hui, mon ami est décédé suite à l’aggravation de son état alors que le passeur vit paisiblement à Nador ». « Des membres de ma famille ont été prisonniers pendant plusieurs mois dans un campement  à Nador alors qu’ils ont payé tout au passeur qui a refusé de les faire voyager. D’ailleurs, c'est lui qui a organisé le voyage qui a conduit à la tragédie de février dernier et qui a coûté la vie à plusieurs migrants en mer ». Ce sont des témoignages, parmi tant d’autres,  recueillis par l’AMDH section-Nador auprès des dizaines de migrants irréguliers installés dans les forêts de Nador, prétendant être victimes des réseaux de trafiquants des êtres humains.
« Nous avons réussi à recueillir plusieurs témoignages affirmant qu’il y a des réseaux de passeurs qui opèrent entre Casablanca, Rabat, Fès, Nador et Oujda contre des sommes d’argent  allant jusqu’à 50.000 DH. Il s’agit, en effet, des trafiquants des êtres humains subsahariens qui agissent seuls ou en faisant appel aux services d’autres passeurs marocains, et ce en recourant à des barques de fortune ou des voitures aménagées.  Ces réseaux ont des ramifications jusqu’en Europe », nous a indiqué Omar Naji, président de l’AMDH section-Nador. Et de poursuivre : « on peut même parler de réseaux transnationaux. Il y a des migrants subsahariens qui ont payé leur passage vers l’Europe dans leurs pays d’origine et sont censés être pris en charge par des passeurs marocains ou autres une fois qu’ils ont débarqué au Royaume. Certains sont pris en charge dès leur pays de départ jusqu’au pays de destination ».
Notre source estime que l’augmentation du nombre de ces passeurs et ces réseaux est due au renforcement de contrôle autour des frontières et aux ratissages quasi-quotidiens ainsi qu’aux violences et aux refoulements à chaud qui sont devenus une pratique courante au Nord du Maroc. D’après lui, les tentatives de passage sur des barques de fortune sont redevenues d’usage ces dernières années. « La sécurisation des frontières a eu comme effet pervers de transformer la migration irrégulière en commerce lucratif pour les réseaux de trafic humain. Seuls ceux qui ont de l’argent peuvent passer », nous a-t-elle précisé. Des statistiques officielles marocaines ont révélé que 58  réseaux de trafic de migrants ont été démantelés par les services de sécurité du Royaume entre le 1er janvier et le 30 septembre 2017 contre 61 en 2016.
Des chiffres émanant du ministère de l’Intérieur ont démontré que le nombre de réseaux de trafic des êtres humains démantelés entre 2009 et 2015 est passé de 130 réseaux en 2009 à 92 en 2010 avant que ce chiffre n’atteigne respectivement 108 en 2011, 75 en 2012, 98 en 2013, 105 en 2014 et 95 en 2015. Des chiffres qui restent, cependant, muets sur la nationalité des passeurs et leurs profils. Un récent rapport de l’Agence européenne de garde-côtes et gardes-frontières (Frontex)   a identifié 55 nationalités impliquées dans le trafic des êtres humains vers la Libye, la Turquie, l'Espagne et l'UE et opérant dans 41 pays. Les Libyens, les Syriens, les Irakiens, les Turcs et les Afghans arrivent en tête du classement des derniers. La grande majorité de ces passeurs opèrent principalement dans deux pays, à savoir la Turquie (37 %) et la Libye (30 %). Le Maroc demeure parmi les pays qui enregistrent une présence significative de trafiquants comme c’est le cas pour  l'Irak,  la Syrie, l'Iran et le Soudan. L'Algérie et l'Egypte comptabilisent ensemble près de 30 % du total.
AMDH-Nador a saisi officiellement le ministre de l'Intérieur marocain pour lui demander de mettre fin à ces réseaux qu’elle qualifie de « traite humaine » tout en insistant sur le droit de circulation des migrants. « Ces passeurs sont bien connus dans les communautés des migrants. Ils agissent à visage découvert puisque leurs photos circulent sur les réseaux sociaux ainsi que leurs numéros de téléphone.  Pis, ces trafiquants bénéficient des cartes de résidence au Maroc et circulent librement sans être inquiétés. Certains d’entre eux vivent dans des hôtels cinq étoiles et d’autres ont transformés des campements de migrants à Nador en chasses gardées », nous a précisé Omar Naji. Et d’ajouter : « La traque et les arrestations conduites par les autorités marocaines doivent  s'orienter vers ces trafiquants et non pas vers les simples migrants pour qui le Maroc n’est qu’un point de passage ».


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