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Le tic-tac de la bombe à retardement de Blatter (I) : Une enveloppe atterrit sur le bureau de «Sepp»


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Samedi 22 Août 2009

Le tic-tac de la bombe à retardement de Blatter (I) : Une enveloppe atterrit sur le bureau de «Sepp»
Il est sept heures tapantes dans l’hôtel particulier aux murs blancs et aux tuiles rouges perché tout là-haut au-dessus de la ville sur Sonnenberg, « la colline ensoleillée ». Dans la salle bien chauffée du courrier,  au sous-sol, les secrétaires viennent chercher les lettres, les télex et les fax  arrivés pendant la nuit. Les résultats des matchs, les informations sur les transferts de joueurs et les tournois, les plannings de voyage, les demandes de subvention des fédérations nationales, les rendez-vous avec des chefs d’Etat … bref, une journée de travail ordinaire au quartier général de l’une des plus grandes organisations sportives du monde.
Les chefs de département y font un saut, cherchant à glaner quelques potins qu’ils pourront ensuite rapporter en personne là-haut au boss, en échange d’une petite remarque favorable ou d’un simple signe d’approbation.
Voici justement Erwin Schmid, le directeur financier, bâti comme un défenseur central particulièrement velu, de plus en plus hirsute à mesure que les heures passent, les pans de sa chemise sortis de son pantalon en fin de journée. Erwin salue tout le monde, avec sa bonne humeur habituelle.
Il prend une enveloppe en provenance  de l’Union des banques suisses, les banquiers de la FIFA (pour « Fédération internationale de football association », l’organe   international du football). Erwin l’ouvre et lit le document qu’elle contient. Un avis de paiement. Son visage joufflu pâlit. Il le relit. Quelque chose cloche. Ça cloche même sérieusement. Il quitte la salle du courrier et se dirige vers l’ascenseur, serrant l’enveloppe dans sa main crispée.
Deux étages plus haut, le secrétaire général Joseph S. Blatter, universellement appelé « Sepp », est assis derrière son bureau tapissé de cuir, enfoncé dans son grand fauteuil noir, en cuir lui aussi, occupé à son rituel matinal, la lecture du Neue Zurcher Zeitung. Le grand poste de télévision JVC est éteint ; il est encore trop tôt pour les matchs de tennis qu’il aime tant regarder.
A soixante et un ans, Blatter a l’air d’un homme responsable. Visage rond, corps rond, plutôt petit, dégarni. Mais son costume impeccable, sa chemise bicolore, ses boutons de manchette en or massif, sa lourde montre de luxe et ce regard « ne me-faites-pas-perdre-mon-temps » sont  autant de signes qui crient : «Ici, c’est moi le boss, et depuis dix-sept ans ! En quoi pouvez-vous m’être utile?» Le président Joào Havelange possède un bureau juste au-dessus du sien mais, aujourd’hui, un océan les sépare. Il est chez lui, au Brésil. Sepp est aux commandes.
Blatter jouit des plus belles vues offertes par l’hôtel particulier. Face à lui, une immense fenêtre  panoramique  encadre les Alpes au loin. Elle ouvre sur une crête boisée et, tout en bas, sur le lac et la vieille ville, avec ses clochers coincés entre les flancs de la vallée. De l’autre fenêtre, sur le côté, il peut contempler un vignoble accroché à un flanc de colline escarpé, et des villas isolées dont les hauts portails s’ouvrent de temps à autre pour laisser passer de longues Mercedes noires qui emmènent leurs propriétaires en ville.
Mais ce n’est peut-être plus le moment d’admirer la vue. Erwin Schmid, son directeur financier, est en route, porteur de mauvaises nouvelles pour son patron, qui est aussi un bon ami, peut-être même son meilleur ami. Il le dit volontiers à ses collègues : « Je n’ai qu’un ami dans la vie, JSB ». Eh bien, voilà qu’Erwin est chargé du genre de message propre à faire voler en éclats même les plus belles amitiés. Dans l’ascenseur qui l’emmène vers les hautes sphères, son moral est en chute libre.
Au cours des trois dernières années, Blatter s’est chargé lui-même de superviser la vente des droits pour les coupes du monde 2002 et 2006. Les droits de retransmettre les matchs à la télévision dans tous les pays de la planète, les droits d’associer l’emblème de la FIFA et la formule magique « Coupe du monde » à des boissons gazeuses, des bières, des hamburgers, des rasoirs, des baskets. Tous ces droits sont à la discrétion de la FIFA. Et à l’intérieur de l’organisation, les responsables les plus haut placés ont fait en sorte que tombent 2,3 milliards de dollars de contrats dans l’escarcelle de vieux amis réunis au sein d’une société écran basée quelques sommets alpins plus au sud, dans ce paradis fiscal qu’est la petite ville de Sarnen. Sise au 10 Marktstrasse, cette société a pour nom International Sport and Leisure, ou ISL.
Erwin sort de l’ascenseur. Le document qu’il serre dans sa main pourrait bien faire imploser la FIFA. Au fil des ans, les liens entre la FIFA et ISL n’ont pas manqué d’être critiqués. Des rumeurs de commissions occultes et de pots-de-vin ont circulé. Les employés loyaux comme Erwin ne s’en sont pas inquiétés. Les relations privilégiées n’ont-elles pas toujours attiré les commérages ? Les mauvais perdants râlent toujours. En outre, personne n’a  jamais avancé la moindre preuve de malversation. Sauf que, maintenant, il y a ce bout de papier. Un paiement a atterri là où il n’aurait pas dû.
Erwin avance à pas de loup sur la moquette. Il arrive devant la porte de Blatter, frappe, attend l’invitation à entrer. Il entre. Là, il ne perd pas de temps. Il tend le document au secrétaire général. Un formulaire standard de l’Union des banques suisses, attestant qu’ISL a viré 1 million de francs suisses (près de 650.000 euros) sur le compte de la FIFA. C’est le nom du bénéficiaire qui lui a fait dresser les cheveux sur la tête. Il s’agit d’un responsable haut placé du football. Un « merci » pour le moins généreux. Un procédé tout à fait incorrect mais pas illégal en Suisse pour peu que son montant soit déclaré au percepteur.
Blatter se lève en grognant : « On a un problème, cet argent ne nous appartient pas ».
Erwin le sait, mais que faire ? Prévenir la police ? Informer le comité exécutif de la FIFA, la commission des finances ? Ce serait le moins.
Mais non, l’argent est simplement retiré du compte de la FIFA et envoyé à l’homme dont le nom est indiqué sur l’ordre de virement. La loi stipule que l’acte doit être conservé jusqu’à l’hiver- 2008. Alors il restera là, une vraie bombe à retardement, prête à exploser.
Les journalistes sont venus du Caire,  du Cap, de Yaoundé ou de Nairobi.  Certains en costume, d’autres en djellaba blanche du désert, d’autres encore en boubou coloré d’Afrique de l’Ouest. Ils sont tous assis en rangs ordonnés, bloc-notes et crayon à la main, attendant les paroles de l’homme le plus puissant du football mondial.
A SUIVRE


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