Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?


Vendredi 4 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?
Hassan II voulait empêcher à tout prix la constitution d’un autre Etat qui fût en rupture totale avec la monarchie alaouite ou dans lequel le roi n’eût pas le rôle essentiel. Dans les débats qui se développèrent immédiatement après l’indépendance, la légitimité conférée par la lutte contre le sous-développement était en passe de supplanter les mécanismes traditionnels du pouvoir. 
Le critère devenait : que font les uns et les autres pour développer le Maroc? Quels sont les programmes des uns et des autres? Il était clair que la monarchie ne voulait ni adopter la phraséologie tiers-mondiste ou socialiste ni inquiéter les investisseurs occidentaux. Ce clivage reflétait deux thèses dont le conflit atteignit son paroxysme avec l’enlèvement de Ben Barka : celle d’un Souverain qui pensait que la survie de la nation marocaine dépendait d’une monarchie forte et influente d’une part, de l’autre, celle qui voulait libérer l’énergie des masses pour gagner la bataille du développement et qui soutenait que la résistance avait modifié la structure du leadership en ouvrant la voie à des figures nationales qui forçaient l’adhésion du peuple, pierre d’achoppement pour le Makhzen. 
Avoir une intimité réelle avec le Prince héritier et un accès illimité au Palais et être populaire, brillant et talentueux, capable de neutraliser et d’assécher l’Istiqlal et d’organiser un parti mieux que tous les experts du Palais, voilà qui rendait Ben Barka si détestable, s’il ne voulait pas coopérer. Or, Hassan II était très décidé à maintenir cette tradition du pouvoir au Maroc qui n’admettait pas que quelqu’un pût mobiliser le peuple en ignorant les rouages traditionnels. 
Au sujet de Mohammed V et de Hassan II, on peut citer ce qu’écrit Machiavel au sujet des prophètes armés et des prophètes désarmés. Bien entendu, toute lutte se termine par une victoire ou une défaite et plus rarement par un épuisement mutuel. Dans le conflit qui opposa une monarchie fermement décidée à restaurer ses pouvoirs traditionnels et l’Istiqlal et l’UNFP qui voulaient que le Palais reconnût sa dette envers eux et les associât réellement au pouvoir, le contexte géopolitique n’était plus en faveur des nationalistes ; en outre, le nationalisme marocain se confondait avec le culte du Roi Mohammed V. Ben Barka et A. Bouabid pensèrent que ce n’était pas le cas ou qu’ils pouvaient modifier cette réalité. 
Au moment où la gauche se focalisait sur une identité nationale prolétarienne et petite bourgeoise, la monarchie se voulait la substance même de cette identité. Aux nationalistes, Hassan II pouvait dire : vous avez contribué à l’indépendance du pays mais vous ne pouvez pas prétendre au pouvoir; l’allégeance vous oblige, comme tous les Marocains. Si vous désirez des postes, vous êtes les bienvenus, mais il n’est pas question de changer quoi que ce soit à la nature du pouvoir même par une Constitution. 
Les partis nationalistes voulaient à la fois des postes de commande et l’application de leur programme. Fort des ressources morales et matérielles à sa disposition, Hassan II s’attacha à éliminer toutes les forces susceptibles de conduire à un changement de régime1. Evidemment, il y eut des contrecoups, des éléments non maîtrisés. Devant l’essor du nationalisme et du socialisme, et suite à la victoire du FLN algérien, le camp conservateur au Maroc s’inquiéta de cette accélération d’autant plus que la performance électorale de l’UNFP et de l’Istiqlal était la preuve que les Marocains dont la moitié avaient moins de vingt ans en 1963 étaient prêts à emboîter le pas aux progressistes. 
D’où le coup d’arrêt à l’expérience constitutionnelle : il fallait à tout prix dépolitiser le pays et la mise en avant du sacré était avec la répression un des moyens de cette dépolitisation. A la veille des élections municipales de 1963, le pouvoir annonça la découverte d’un «complot contre le régime» impliquant l’UNFP, dont 130 de ses membre furent arrêtés; Ben Barka fut condamné à mort par contumace (nov.1963). Dans ce contexte, l’UNFP, l’Istiqlal et le Parti communiste interdit (fév.1960) boycottèrent les élections communales (28 juillet 1963), remportées à 85% par le FDIC. D’où une Chambre des conseillers (formée aux ²/3 par les conseillers municipaux) totalement de droite. 
Au moment où le front avec les nationalistes n’était pas encore stabilisé, le pouvoir en ouvrit un second avec l’Algérie. Celle-ci refusait de négocier le tracé de la frontière dans la région de Tindouf comme elle s’y était engagée. C’était aussi un avertissement aux socialistes algériens et une sollicitation du sentiment national au moment où le pouvoir était brouillé avec le mouvement nationaliste. Ben Barka fut acculé à une position très délicate lors de la guerre des Sables. En 1964, il fut condamné à mort par contumace une deuxième fois, pour avoir appelé les Marocains à se soulever après l’attaque de l’Algérie. Fqih Basri, condamné à mort, vit sa peine commuée en détention à vie; A. Youssoufi fut libéré (1964). Le Roi proposa en vain à A. Bouabid d’être le nouveau chef d’une «opposition loyale». Le 23 mars 1965, des émeutes2 déclenchées par une circulaire du ministre de l’Education nationale se transformèrent en insurrection, effet de la crise économique et sociale et de la falsification de la représentation des citoyens; la fragile majorité parlementaire, toujours en butte aux attaques de l’Istiqlal et de l’UNFP, était loin des problèmes du pays: l’exode rural, la multiplication des bidonvilles, le manque d’infrastructures, etc... On ne donna aucun idéal aux jeunes: on leur apprit à ne pas s’extérioriser de crainte pour leur vie. 
L’opposition repoussa la proposition royale de gouvernement d’union nationale et le Parlement fut dissous (7 juin 1965): le chef de l’Etat et Commandeur des croyants renvoya le Premier ministre et devenait chef de gouvernement, comme son père en 1960: «En reprenant tous les pouvoirs, Hassan II rompait avec un des principes fondamentaux du sultanat : le tafwid (délégation d’autorité). (…). Il ne se contentait plus d’être la source théorique de l’autorité, il tenait à l’incarner à chaque instant».  


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