Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?


Jeudi 3 Juillet 2014

Le livre  : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?
Du nationalisme salafite de l’Istiqlal, nous passons à un nationalisme socialisant éloigné des références religieuses. Pour l’UNFP, le nationalisme était une valeur en soi; pour l’Istiqlal et le Roi, il devait passer par la monarchie. Pour l’UNFP, la citoyenneté avait des composantes territoriale, historique et idéologique, mais pour la monarchie, elle dépendait de l’allégeance et de l’identification à la dynastie. Les leaders de l’UNFP pensaient détenir un mandat du peuple au moment où Hassan II considérait que celui-ci et l’UNFP comprise lui devaient leur allégeance. 
Ben Barka voulait déplacer l’arbitrage du Roi vers le peuple. L’erreur des forces nationalistes fut leur propension exagérée à la scission, phénomène qui reste une constante: au Maroc, chaque ego est un parti politique. Ben Barka pensait que le développement exigeait un homme du terrain, capable de dynamiser la société par son immersion dans la classe des travailleurs; il pensait qu’il était cet homme. Tout dans ses attitudes impliquait que le Roi régnait et ne gouvernait pas, surtout ne pouvait gouverner seul. 
L’État et non l’entreprise privée devait être le moteur du développement qui passait par la lutte contre le néocolonialisme. L’articulation du pouvoir avec les intérêts de groupes financiers étrangers accrut le ressentiment de l’UNFP vis-à-vis du Palais. Celle-ci s’imaginait que la légitimité était devenue prolétarienne et républicaine et que le peuple ne pouvait accepter qu’une monarchie strictement constitutionnelle. 
Or, les Marocains ne savaient rien ou presque de la séparation des pouvoirs et le crédit de la monarchie était immense: au moment où l’UNFP montait à l’assaut des pouvoirs de Hassan II, le Maroc était encore sous le choc de la perte de Mohammed V. Après son accession au trône, Hassan II proposa un gouvernement d’union nationale (mars 1961) et essuya le refus de l’UNFP. L’Istiqlal entrait au gouvernement mais débarrassé de l’ambition et de l’assurance des années 1956-1958: il se contenta de trois portefeuilles ministériels. 
Acceptée par l’Istiqlal et l’UMT, rejetée par l’UNFP, une Constitution fut adoptée à 97% des votants (7 décembre 1962). Dans l’esprit de Hassan II, la Constitution était un «renouvellement» d’allégeance et la monarchie «constitutionnelle» devait conserver le pouvoir tel quel en y ajoutant la représentation : les trois pouvoirs étant plus distingués l’un des autres que véritablement séparés: «Le texte institutionnalise le Roi "Commandeur des croyants" (article 19). Il n’y a pas de séparation des pouvoirs, puisque c’est le Roi qui délègue les trois pouvoirs à des autorités.» 
L’UNFP déniait toute légitimité au Souverain. Position de principe ou pression pour l’amener à composer? L’analyse de l’UNFP était que la révolution était imminente et qu’il ne fallait que l’étincelle : pour Fqih Basri, une chiquenaude aurait suffi à renverser le pouvoir. La monarchie réagit de façon circonstanciée : une loi constitutionnelle (1962) devait interdire le parti unique et légitimait en quelque sorte l’action menée contre les partis trop populaires, de sorte que chaque parti tant de gauche que de droite avait le poids qui lui était alloué par le pouvoir selon une panoplie de moyens répressifs ou incitatifs. 
Le Souverain ne voulait pas s’appuyer ouvertement sur une force partisane quelconque : être un chérif, doué de la baraka, Amīr al mu’minin et qui dirige une communauté inquiète par la modernité est préférable à un leadership politique qui peut s’user avec le temps. Jouer le rôle de zaîim (leader) implique la nécessité de faire en permanence campagne pour un programme ou une cause politique. 
En outre, la grande majorité des Marocains préférait que le Roi agît en tant que commandeur des croyants et non de leader (zaîim); cela est certainement dû à l’ancienneté de la dynastie et aux aspects religieux de son pouvoir. Au lendemain de la décolonisation, le besoin de modernisation était si pressant que de nombreux régimes plutôt conservateurs étaient menacés d’être emportés par des mouvements plus ou moins radicaux ou voulant un changement plus rapide. Contre cette tendance volontariste dont le modèle achevé fut l’UNFP de Ben Barka, Hassan II voulait une modernisation lente, maîtrisée et respectueuse de la tradition. 
Pour Ben Barka, l’autocratie était un obstacle à la modernisation et l’islam devait être tenu loin de la politique. Mais au Maroc, on ne veut pas d’une modernisation qui marginalise l’islam, et il est facile de montrer tout modernisateur en tant qu’ennemi de l’islam. Si le retard historique était subi avant le Protectorat, avec celui-ci, il était sciemment maintenu, justifié et sanctifié; c’est cette attitude qui devait devenir la norme absolue du Makhzen après l’indépendance. Hassan II ôta aux Marocains le sentiment d’urgence, les rassura quant à l’avenir et leur imposa un rythme social qui devait leur donner la quiétude à défaut de régler leurs problèmes. 
Il parlait et ils étaient soulagés; ceux qui voulaient l’être et ils étaient nombreux. Si l’on admet que Hassan II continuait la politique du Protectorat, cela ne signifie pas, notons-le, qu’auparavant les conditions de l’autorité politique en islam étaient observées ; cela signifie seulement que le régime n’entendait pas mettre fin, comme le voulaient les nationalistes, au dualisme de la société marocaine que seule une politique d’industrialisation globale pouvait surmonter: «Le régime actuel n’est pas une résurgence d’un système précolonial, mais la continuation du régime du Protectorat. Or, celui-ci avait «lu» le XIXe siècle marocain et en avait tiré une politique dont il s’est efforcé de maintenir l’adéquation au réel en coupant le plus longtemps possible la société marocaine de la nouvelle société que le capitalisme colonial créait (dualisme à tous les niveaux). Si, à l’expérience, cette politique continuée se montre effective, c’est parce que le nouveau régime a maintenu le dualisme socioéconomique qui lui servait de base et non pas parce qu’il a retrouvé un prétendu substrat précolonial». C’est remarquable de perspicacité. Évidemment, cette politique était fallacieusement frappée du sceau de l’«authenticité» précoloniale. 


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