Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?


Samedi 28 Juin 2014

Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?
Comment caractériser le régime marocain? Pré-démocratique, semi-autoritaire? Peut-il échapper à la typologie des régimes autoritaires? Mais qu’est-ce le Maroc au juste? Si l’on considère son Parlement, ses commissions, les ministres venant répondre aux questions orales, le vote du budget et même le vote du programme gouvernemental au lendemain de la désignation du chef du gouvernement, on se croirait au pays de John Locke ; si l’on considère encore comment un diabétique âgé d’une cinquantaine d’années fut roué de coups par des passants et des commerçants (Fès, septembre 2008) parce qu’il avait bu d’une fontaine publique un peu d’eau pendant le Ramadan, puis fut conduit au commissariat où il dut produire un certificat médical justifiant son état de santé, alors là, on pense au Moyen-Age, plus exactement à une communauté kharijite de cette époque. Lequel des deux est le vrai Maroc? Ces deux images synthétisées représentent une tendance politique profonde au Maroc : oui pour la démocratie, mais dans un cadre strictement islamique. Or, la démocratie, la séparation des pouvoirs, est l’antithèse de la théocratie.
Sur le plan institutionnel, si on soutenait  que le régime marocain peut être caractérisé en tant que dictature du fait de la non séparation des pouvoirs, le Souverain ressentirait une profonde injustice; il dirait: vous appliquez des critères qui sont totalement étrangers à notre culture, à notre être et il ne manquerait pas de faire valoir que le peuple est en phase avec la monarchie: ne s’agit-il pas là du consentement si prisé des démocrates? Certes, mais au-delà de cette légitimité que d’abus,  que d’arbitraire, que de dysfonctions! Et justement, la séparation despouvoirs est le moyen de les rendre moins nombreux, moins systématiques et elle réaliserait l’ancrage définitif du régime dans le droit. On dit souvent que le Maroc a besoin d’un véritable renouvellement: celui de la séparation des pouvoirs? Le but de cet ouvrage est de la mettre au coeur du débat politique au Maroc.
Le sacré qui caractérise de nombreuses institutions rend malaisée la démarche du chercheur, qui doit s’autocensurer pour éviter de sérieux problèmes avec les autorités. La culture politique de l’État marocain lui fait réprouver le débat. Les voix critiques ne sont pratiquement jamais entendues dans les médias de l’État. Une presse libre, pilier de l’État de droit, est nécessaire. Celle du Maroc éprouve d’énormes difficultés pour faire son travail. Naguère, la publication d’une lettre exposa plusieurs périodiques à l’interdiction ; plus grave encore, des journalistes peuvent être incarcérés pour avoir exprimé des opinions. Des amendes exorbitantes sont fixées pour acculer la presse indésirable à la faillite.
Je voudrais ouvrir un espace de liberté selon le droit tout en prenant appui sur les identifiants du pays : le Roi, l’islam, le territoire national. Il s’agit de fournir une information politique adéquate sur la séparation des pouvoirs sans éviter le débat avec les islamistes et les défenseurs de l’Etat-Makhzen. Comment faire pour que cette séparation des pouvoirs devienne irréversible et qu’elle ne soit pas de courte durée? Si elle est suivie d’un échec frustrant débouchant sur un retour de l’autoritarisme, elle devient est une question fondamentale. Car on ne manquera pas d’objecter qu’une telle réforme ne peut que déstabiliser le régime et que la confusion des pouvoirs persisterait sous un autre pouvoir. L’analyse sur laquelle se fondait la politique de Hassan II, postulant que l’alternative selon les réalités sociologiques du pays n’était ni la démocratie ni un régime socialiste ou communiste mais un pouvoir tribal dynastique ou militaire; aujourd’hui, on ajouterait ou islamiste, cette analyse-là doit être dépassée.
Notre but est également de faire connaître la pensée de l’élite démocratique pour une reprise du débat au sujet de la démocratisation et ce texte peut servir à dégager les thèmes qui peuvent donner lieu à un programme d’action circonstancié. J’ai voulu donner la perspective d’un islamologue et d’un politologue ; comme j’ai été victime de cet État qui m’a deux fois expulsé de l’université et dont certains hauts fonctionnaires m’ont menacé de mort, il est clair que je suis intéressé au plus haut point par des réformes politiques et suis prêt à croire qu’elles viendront malgré le pessimisme de nombre de mes compatriotes. Ce travail propose une relecture critique des événements importants de l’histoire de ce pays afin de souligner la nécessité d’en réformer les institutions.
On ne peut pas aller de l’avant sans une connaissance du passé d’où le hasard serait banni : de fait, la nécessité qui se déploie en histoire est double et se rapporte à ce qui est advenu et qui se répétera si on n’en change pas les conditions ou les facteurs. De tous temps, un des moyens d’asservir les peuples est de les priver de la connaissance de leur histoire.
En Occident, on reconnaît l’importance et la pertinence des événements de l’Antiquité ; au Maroc, on veut effacer de la mémoire l’histoire des décennies passées. Les Marocains ont une petite mémoire et de grands problèmes, et ils ne voient pas le rapport entre ceux-ci et cela. C’est pourquoi aussi ils ne voient pas de solution à leurs difficultés. L’histoire nous apprend aussi une chose essentielle : tout le monde finit tôt ou tard par invoquer le droit : bourreaux, victimes, indifférents, etc.
Il ne s’agit pas seulement d’attirer l’attention sur toutes les victimes de la confusion des pouvoirs mais de sensibiliser l’ensemble des citoyens, riches ou pauvres à l’intérêt vital d’une évolution décisive vers la séparation des pouvoirs. Je voudrais avant tout extirper les Marocains de leur sommeil dogmatique et aplanir le chemin cahoteux de leur vie politique, en montrer la configuration spécifique et les aménagements nécessaires pour aller d’un pas sûr vers un progrès durable. Je souligne dans cet ouvrage que toutes les dysfonctions proviennent de la confusion des pouvoirs ; et, si je présente un profil sans complaisance des Marocains, c’est pour les inviter à connaître les obstacles à une réelle citoyenneté. Seule la séparation des pouvoirs peut réparer un tissu politique et social qui a grandement souffert de traumatismes graves (1960-1994), à moins que l’on ne veuille que cette réparation soit l’œuvre exclusive de l’islamisme. Finalement, il y a peu d’originalité à parler de séparation des pouvoirs dans le monde islamique ; l’illustre Khair Eddine le fit il y a presque deux siècles.
Mais vu le refoulement massif de son œuvre, et l’état effroyable des libertés dans son propre pays, la Tunisie, notre essai semblera nouveau, voire utopique. 


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