Le goût doux-amer du Ramadan : Entre misère et prière


Par Hakima Laâla (Sociologue)
Jeudi 30 Mai 2019

Le goût doux-amer du Ramadan : Entre misère et prière
S’il y a un constat qui s’impose pendant le mois de Ramadan, c’est bien celui du décalage entre l’idéal religieux et la misère sociale. Pendant ce mois, les Marocains se comportent comme des nouveaux convertis à l’islam ou comme des repentis. Ils cherchent une pratique parfaite de leur nouvelle religion voire une rédemption. Cet engouffrement dans les nouvelles pratiques religieuses est accompagné par une difficulté apparente de transmission intergénérationnelle de la culture de solidarité sociale.  Toute la société doute des anciennes pratiques au profit des nouvelles. Celles-ci prêchent pour une solidarité religieuse contre la misère. Ce fantasme devient même une démarche politique.
Dans ce climat qui veut que ce mois-ci soit essentiellement un temps de spiritualité, un autre s’impose, celui de la pauvreté, de la souffrance humaine. Ainsi on assiste à un défilé des miséreux dans les lieux commerciaux et de prière, la mendicité reste le seul moyen de survie dans une société qui les oublie, ou en fait usage pour pratiquer la charité. La présence de ces miséreux pour plusieurs n’est qu’une possibilité offerte pour l’amplification de la rédemption. Elle est aussi un moyen d’étaler leur générosité envers les plus pauvres, une générosité qui n’est jamais gratuite. Elle a pour but principal la démonstration de leur bonne conduite en tant que bon religieux. Cette scène de pauvreté constante dans la société devient, pendant le mois de Ramadan, impudique. Il est immoral, dérangeant pour plusieurs, il n’a pas lieu d’être. Ces miséreux deviennent des infâmes. Dans un climat d’absence de compassion sociale, ils sont bannis. Les Marocains se détournent totalement de nos pratiques de solidarité traditionnelles, mais par obligation religieuse, leurs dons sont perceptibles, car ils sont pour Allah.                                                 
Il est sûr que tous les cache-misères tombent pendant ce mois-ci, que l’imaginaire social qui prône un mois de Ramadan abondant se disloque par cette réalité vécue au quotidien, car entre le culturel, le religieux et le social, il existe une dissonance. Le Marocain tel qu’il se présente n’a rien de vrai dans sa pratique sociale, on constate de plus en plus une cohabitation difficile entre ce qu’il veut être et ce qu’il est réellement. La société marocaine se cantonne plus dans le «dire» que dans le «faire». Elle qui s’extase à l’approche du mois de Ramadan, s’inscrit plus dans une perception virtuelle construite par des souhaits, des velléités et des désirs, que par une réalité sociale palpable.  La pauvreté apparente d’une bonne partie des Marocains n’a pas lieu d’être dans les fantasmes sociétaux.  La société marocaine se réfugie dans un passé perdu ou dans un présent   inventé, d’un bon Ramadan, qui fait d’elle une société pieuse, charitable et profondément repentie.
Elle est en réalité désemparée et en quête de valeurs et de sens ; elle est dépassée par son quotidien. Les Marocains sont très agités pendant le mois sacré, presque perdus, absorbés par leur quotidien, leurs problèmes et par une nonchalance commune, ils deviennent amnésiques ou colériques. Toute cette paix tant souhaitée pendant ce mois cède le pas à un désordre qui génère des réactions de violence ou d’invective.  La société est consciente que la solidarité sociale traditionnelle est en situation d’effritement, que les temps ont changé.  Alors le conformisme social s’installe malgré tout et contre toute attente, la fuite dans l’imaginaire religieux devient «la roue de secours» ou «un passe-temps». Les Marocains sont persuadés que pendant le mois sacré on peut tout demander à Allah. Ils sont convaincus que seule la prière peut apporter paix et confort et même une solution pour la misère qui les étouffe.   Alors toute la société parle de solidarité, une solidarité «très vendue» comme solution radicale par les nouveaux religieux, qui considèrent que la société marocaine était païenne. Certes, ce discours caresse les émotions, fait jubiler les miséreux du Maroc, fait sûrement sensation, nous fait vivre le fantasme d’un islam pur sans plus. Mais en attendant, la misère continue à faire partie de la réalité de la majorité des Marocains.


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