Le chercheur anthropologue Morad Riffi : “Le 20 février s’est élevé contre l’échec des politiques publiques”



Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Lundi 19 Septembre 2011

Le chercheur anthropologue Morad Riffi : “Le 20 février s’est élevé contre  l’échec des politiques publiques”
Morad Riffi qui est conservateur en chef au ministère de la Culture fait partie de la nouvelle génération des chercheurs
anthropologues. Libé l’a rencontré pour lui demander  son point de vue sur la nouvelle
dynamique et les grandes mutations dans le monde arabe.

Libé : Sept mois après le début du Printemps arabe, est-il vraiment un printemps et quelles sont les perspectives de ce mouvement?

 
Morad Riffi : La résonance ¨printemps de Prague¨ revient chaque fois qu’on énonce le mot  printemps  qui, à ma connaissance, a été forgé par les médias occidentaux  certes pour désigner  la vague contestataire mais surtout signifier que les arabes acclimatés à leur  inertie ne peuvent  contester, aspirer au changement qu’en s’inspirant de l’Occident ; un jeu médiatique qui fonctionne par injection systématique de biais notamment au niveau des charges sémantiques des mots. Ce n’est à cette heure ni un printemps ni un automne, tout dépendra de la tournure que prendront les événements. D’ailleurs, je suis très  pessimiste pour l’Egypte, car je vois naître certains  indices qui annoncent que le cri de colère est en train de se métamorphoser en fouet de vengeance qui, en l’absence d’un rôle déterminant des élites, risque de flageller et les coupables et les prétendus coupables. J’insinue par là que le mouvement de protestation a été boosté au sein du contexte virtuel de Facebook et Twitter, et qu’il ne s’inscrit point dans le sillage d’un horizon d’expectative bien visible et surtout dont les contours sont bien encadrés. L’intelligentsia et les élites politiques ont du pain sur la planche. Et c’est du respect de l’intérêt général, de l’engagement citoyen responsable, de la capacité de transcender les clivages en tous genres, que dépendra la couleur verte ou grise des perspectives en vue.    
En tant qu’anthropologue, quelle est la part des facteurs internes et externes, de la violence et du pacifisme, dans toute cette dynamique et comment pouvez-vous la comprendre?
Sur le plan interne, les facteurs sont pléthoriques. Les plus saillants sont d’une part, la consécration par les régimes arabes de leur pouvoir léonin au détriment du renforcement de l’Etat de droit et des libertés individuelles et collectives, d’autre part, l’impuissance de ces régimes à réussir des systèmes de production de richesse et de ladite valeur ajoutée tant en capital économique qu’en capital humain. Les deux facteurs mènent tout droit à l’impasse. Les régimes arabes doivent comprendre que des outils souvent empruntés à l’Occident pour dépasser les situations de blocage, tels que les fameux plans d’ajustement, la bonne gouvernance, la rationalisation des architectures budgétaires, la réduction des dépenses publiques, etc, composent  une boîte à outils qui ne sert plus à rien. Si intelligence arabe il y a, elle est appelée à produire cette ingénierie à même d’apporter les solutions aux interminables problèmes spécifiques et interdépendants que connaît chaque pays. Par ailleurs, des processus comme le dialogue des cultures, la coopération Nord/Sud, continuent d’être un maquillage qui s’évertue à cacher le vrai visage du monstre sans foi ni loi, qui ne cherche qu’à conquérir des nouveaux marchés afin de se revigorer. Ma conviction est que la richesse quelle qu’elle soit, en plus du fait qu’elle soit objet de convoitise, n’a jamais été équitablement répartie entre les humains. L’étude du potlatch par Marcel Mauss, a rappelé à l’humanité que même chez les tribus les plus pacifiques, chaque fois qu’il y avait un don, il y avait en contrepartie un contre-don. Marx est aujourd’hui à revisiter puisque la pierre angulaire de son œuvre tourne autour de la répartition de la richesse et de la dynamique qui y est afférente. Les capo de tutti i capi de chaque pays arabe, doivent comprendre que la concentration clanique des richesses mène irréversiblement vers une fracture sociale qui alimente automatiquement la violence qui peut malheureusement prendre des airs apocalyptiques. Nous avons remarqué qu’une fois les deux présidents égyptien et tunisien déchus, on a tout de go évoqué les chiffres astronomiques de leurs fortunes, comme quoi tout est question de justice sociale, et la véritable paix en est la conséquence évidente.

Le Maroc, après validation de la Constitution, a-t-il réussi enfin sa transition?

Loin s’en faut! La Constitution validée ouvre, on va dire, le bal. Il ne faut pas perdre de vue que la transition au Maroc n’est pas à son début, et que la nouvelle Constitution vient couronner un long processus de revendications renforcé crescendo  depuis deux décennies, et qu’à ce propos, la tournure qu’a prise la protestation sociale ces derniers mois est à définir comme un aboutissement de ce processus plutôt  que comme le fruit ex-nihilo d’un quelconque mouvement, celui du 20 février en l’occurrence. Maintenant, il va sans dire que les leviers de la réussite de cette transition, dont les plus importants ont été rappelés par le discours Royal du 20 août dernier, consistent entre autres, à redonner à la pratique politique sa crédibilité en agissant dans la transparence et en faisant du clientélisme, du tribalisme du népotisme une ère révolue. Cela n’est possible que par le truchement d’un renouvellement des élites politiques sur la base de la méritocratie. Cela dit, la pierre angulaire de la réussite de cette transition est indéniablement notre système judiciaire qui, en l’absence d’une réelle et profonde réforme, porte préjudice à tout l’édifice de la démocratie et ses corollaires. Bientôt, si nos juges assument mal leur mission réprobatrice de sanctionner les fraudeurs aux prochaines élections législatives, les Marocains auront beaucoup de mal à croire en la véracité des promesses données.     

Le Maroc constitue-t-il vraiment une exception dans un monde arabe instable et quels sont les changements à attendre au niveau de ses structures profondes ?

La contagion fonctionne à plein régime en ces temps de crise, et aucun pays arabe n’est entièrement protégé contre le virus, mais je peux avancer que le Maroc dispose d’un système immunitaire qui l’avantage si toutefois il respecte certaines préventions. Au premier chef, le poids de l’histoire érige notre monarchie en institution centrale garante de l’équilibre et de la pérennité des grands piliers de l’Etat. Ensuite, la chance géographique a construit des siècles durant, la richesse de cette société marocaine amazighe, andalouse, africaine, arabe et juive. Un substrat qui fait tout le génie et la force latente du Maroc que les péripéties n’arrivent pas à extirper. Toutefois, il faut distinguer les changements urgents à opérer des changements structurels. Le Roi a jeté la pierre dans la mare du prochain gouvernement, de la société civile, des partis et syndicats. Il me semble que la plus grande attente du peuple consiste à voir les régions créer de l’emploi, et à ce propos, le gouvernement est appelé à faire cesser la croyance en un Etat providentiel capable d’absorber toutes les attentes dans ses services publics. L’encouragement des PME, des investissements intérieurs et extérieurs, l’incitation fiscale, la formation, l’accompagnement financier, l’exploration de secteurs en friche tel que le secteur minier, etc, sont autant d’armes que l’Etat doit déployer au niveau régional afin de créer de l’emploi.  La deuxième grande attente est la fin de l’impunité. Des dossiers comme ceux de la CNSS, de la Banque populaire, de la RAM, de la Mutuelle générale, entre autres, doivent connaître une issue judiciaire. La troisième grande attente urgente est la sécurité sanitaire. Et la quatrième, la sécurité publique. Quant à la corruption, je ne l’ai pas évoquée parce que je crois qu’elle est structurelle et que sur le long terme, des facteurs exogènes et endogènes pourront atténuer son emprise.

La forte demande sociale, politique et morale pourra-t-elle être satisfaite par le seul texte constitutionnel ?

Le texte constitutionnel pose les jalons afin de définir les limites du terrain de jeu, mais la qualité du jeu dépend de la performance des joueurs. Je vais être plus terre à terre. A trois mois des élections législatives, les partis politiques s’agitent encore autour de problèmes tout à fait secondaires pour le citoyen marocain. Certaines grandes figures de la politique marocaine ont même eu le culot d’annoncer qu’ils ont besoin de temps pour préparer leurs programmes électoraux, de quoi avoir honte, parce que de deux choses l’une : ou bien les politiques sont beaucoup plus préoccupés par leur part du gâteau, ou bien ils n’ont  pas encore affiné depuis des années leur programme. Plus est, le silence scandaleux et complice des partis politiques face à l’anarchie totale que connaît le domaine public complètement squatté par le commerce informel, donne l’impression que ces partis sont taillables à merci, et qu’ils n’ont pas de propositions à faire concernant les véritables problèmes des citoyens. Il faut dire que ça s’annonce très mal pour voir exaucée cette forte demande sociale et politique. Quant à la demande morale, je trouve que c’est une expression ambiguë, et je vous propose qu’on l’explicite dans un entretien ultérieur.

La démocratie est-elle, à votre avis, une denrée à livrer au goutte-à-goutte, ou un état de fait à vivre pour en développer la teneur ?

Prenez l’exemple d’une contrée rurale où se présentent deux types de candidats aux élections législatives: un brillant universitaire fils du douar, mais qui n’est visible dans les parages que pendant quelques jours de vacances, et un fellah analphabète mais riche propriétaire terrien vivant au quotidien avec les vieux, les adultes, les jeunes et moins jeunes du douar, et profitant du souk pour inviter à tour de rôle, les chefs de famille autour  de la fameuse kafta. L’universitaire  peut toujours rêver d’aller parlementer et cogiter sur les lois du pays. La démocratie se construit sur le socle d’une société consciente de ses obligations et ses droits, se consolide par un système d’enseignement qui construit des esprits bien faits, et par des structures civiles et politiques engagées dans la voie de l’encadrement des citoyens. Il n’existe pas de démocratie toute faite qu’un régime gratifie quand bon lui chante, c’est un processus que toutes les forces vives de la Nation construisent et ajustent.

La nouvelle dynamique sociétale après le 20 février conditionne désormais l’espace public, quelles mesures l’Etat devrait-il prendre impérativement à votre sens?

Le 20 février c’est un non contre une accumulation d’échecs des politiques publiques. Mais ce non est loin d’être mature et structuré, et il va tous azimuts et passe parfois du coq à l’âne. Le mouvement est, à mes yeux, le clapotis de la vague dudit printemps arabe. C’est pourquoi j’estime que son seul mérite que l’histoire retiendra, c’est d’avoir réussi à insuffler une nouvelle dynamique de revendications sur la place publique. Mais cette dynamique doit être encadrée par la société civile et les partis politiques au risque de voir naître comme des champignons des groupuscules scandant Zanga Zanga leurs revendications.
Par ailleurs, l’Etat doit axer son action sur la clé de voûte : la confiance. Redonner confiance au fonctionnaire compétent qui voit sa carrière se consumer sans pouvoir avoir sa chance face à une médiocrité gagnant du terrain ; redonner confiance au jeune qui veut monter son entreprise mais bute sur une infinité de procédures dissuasives ; redonner confiance au jeune qui veut exprimer ses idées au sein d’un parti ou d’une association ; redonner confiance à la victime d’un abus d’aller sereinement porter plainte et attendre justice ; redonner confiance à la femme violentée et aux familles des enfants violés …


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1.Posté par ex enseignant le 20/09/2011 08:32
si l'enseignement n'est pas orienté vers les métiers divers créateurs de richesses pour pouvoir résorber le chomage cause de tous les dégats ,alors la constitution n'aura rien résolu :
1) la langue françaire doit etre rétablie de plein droit pour toutes les sciences et ceci dès le primaire ,
2) concours d'entrée dans toutes les facultés et les écoles avec possibilité à tout téchnicien d'acceder au grade supérieur

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