Le business des faux pasteurs en Afrique


Par Fangnariga Yeo *
Mercredi 29 Mai 2019

Les faux pasteurs défraient régulièrement l’actualité en Afrique. Leurs prescriptions suivies trop religieusement par les fidèles frisent l’aliénation. En Afrique du Sud, le pasteur Alph Lukau a prétendu avoir ressuscité un jeune homme, Brighton Moyo, trois jours après sa mort. La fausse résurrection a été mimée le dimanche 24 février dernier. Le poteau rose découvert, le pasteur s’est excusé. Toutefois, les dérives récurrentes des faux pasteurs continuent d’engendrer des conséquences dramatiques. Est-ce un manque de scrupule de la part de quelques individus ou existe-t-il un terreau favorable ?

L’émergence du business
de la religion


La religion occupe une place importante dans la vie des communautés africaines depuis longtemps. Cet attachement à la religion confère un rôle majeur aux intermédiaires entre Dieu et les hommes. En effet, aujourd’hui, beaucoup de personnes s’attribuent ce titre d’intermédiaire, renommé  «pasteur» dans le christianisme protestant, pour se faire de l’argent.
Dans le christianisme protestant,  toute personne peut créer son église et la gérer de façon indépendante contrairement aux catholiques, où le prêtre suit une formation au séminaire avant d’être affecté dans une église/paroisse après son ordination. Les prêtres obéissent et rendent compte à leur supérieur hiérarchique l’Evêque qui peut, en cas de manquement, les sanctionner. Dans un pays, les évêques  forment une conférence épiscopale qui veille au respect des normes religieuses. Tous les évêques sont sous l’autorité du Pape. L’existence d’une chaîne hiérarchique permet le contrôle et la sanction des contrevenants. Cela contribue à moins d’instrumentalisation des fidèles et à endiguer le business de la religion.
Cependant, chez les protestants, il y  a une absence de véritable chaîne hiérarchique. D’où le risque d’abus notamment l’instrumentalisation et le business de la religion. La formation préalable n’étant pas requise, beaucoup de pasteurs ignorent la théologie du christianisme protestant. Bien sûr qu’il faut être appelé par Dieu. Mais rien ne permet de prouver rationnellement qu’une personne est réellement appelée ou non par Dieu à le servir, ce qui laisse la porte ouverte à tous les abus. C’est pourquoi, dans les grandes villes africaines, les églises protestantes foisonnent, les faux pasteurs aussi.

Le beurre au pasteur
et le labeur aux fidèles


Par ailleurs, le foisonnement des églises protestantes engendre une véritable concurrence entre les pasteurs pour remplir leurs églises et tirer profit des retombées financières. Les fidèles peuvent verser jusqu’à 30% de leurs revenus chaque mois, comme c’est le cas au sein de l’église du pasteur nigérian David Oyedepo, dont la fortune est estimée à 150 millions de dollars. La manne financière collectée est souvent accaparée par des pasteurs eux-mêmes. Pourtant ironiquement le pasteur camerounais Dieunedort Kamdem a affirmé, au cours d’une interview, qu’il ne gagnait que 400.000 francs CFA par mois.
En février 2018, le média afro-américain MTO a révélé que le pasteur sud-africain,  Alph Lukau, était le pasteur le plus riche du monde avec une fortune nette de 1 milliard de dollars. Son église a plusieurs milliers  de fidèles en Afrique du Sud, Congo, Zambie, RDC,  Namibie, Angola, Europe et Amérique du Sud. Il possèderait un jet privé, des voitures  de luxe dont Rolls-Royce, Range Rover, Bentheley, Mercedez Benz. Dans cette concurrence, une promotion excessive de l’intermédiation du pasteur entre Dieu et les fidèles constitue leur fonds de commerce. Etant celui qui présente les besoins des fidèles à Dieu, il ne doit  manquer de rien.  Cette ouverture permet aux pasteurs de s’enrichir par tous les moyens. Pour conserver leur cagnotte, ils doivent être plus ingénieux que la concurrence, et le meilleur moyen pour y parvenir demeure les miracles.
Certains vont vers les féticheurs, marabouts et autres devins afin d’avoir des pouvoirs pour singer des miracles. D’autres comme le pasteur Alph Lukau mettent en scène de faux miracles. Par exemple, en 2016, le blogueur nigérian, Chinasa Nworu, a révélé que le pasteur Emmanuel Esezobor aurait offert à un commerçant la somme de 500.000 Naira pour qu’il prétende être mort afin qu’il puisse effectuer un miracle en le réveillant. Malheureusement, il est mort dans le cercueil avant qu’il ne puisse atteindre le stade où le pasteur tenait sa croisade à Abuja.  La femme du commerçant décédé a informé la police et le faux pasteur a été arrêté. Mais, il a été libéré grâce à l’aide de ses amis influents à Abuja et il est retourné à son business.

Absence d’esprit critique des fidèles

L’offre des faux pasteurs rencontre une demande toujours grandissante. Ainsi, l’extrême pauvreté, le chômage et les vicissitudes de la vie poussent plusieurs Africains à rechercher des solutions miraculeuses. Surtout dans un contexte d’exclusion, de vulnérabilité et de défaillance des services publics.
Selon la Banque mondiale, la pauvreté extrême touche 41,1% de la population en Afrique subsaharienne, et même ceux qui ont un travail sont pauvres (70% en 2016 selon l’Organisation internationale du travail). A toutes ces personnes, les faux pasteurs  proposent des alternatives miraculeuses à chaque coin de rue. Quand elles tombent dans leurs filets, elles sont amenées par la manipulation à suivre chacune de leur prescription sans rechigner. Petit à petit, elles sont aliénées au point de perdre la raison et l’esprit critique. Cela résulte de l’analphabétisme élevé en Afrique (45%), d’un manque d’instruction religieuse et de l’ignorance de l’essence du christianisme.
Cette vulnérabilité «complice» des fidèles permet aux faux pasteurs de les exploiter. Ainsi, des femmes sont violées par des pasteurs parce qu’elles veulent enfanter et des fidèles acceptent d’offrir des fortunes aux pasteurs. C’est l’exemple du footballeur international ivoirien Emmanuel Eboué qui a avoué, en 2018, avoir été escroqué et ruiné par un  pasteur nigérian.  En outre, la culture du gain facile et la recherche de pouvoir sans effort finissent par conduire de nombreuses personnes dans le piège des faux pasteurs.
Somme toute, le business de la religion prend de l’ampleur. Comment l’endiguer? Des alternatives au chômage et à la pauvreté grandissante sur le continent sont nécessaires. De même, des mesures pour rehausser l’alphabétisation permettraient de réduire l’instrumentalisation. Sans cela, les populations pauvres continueront d’engraisser des faux pasteurs vivant dans une opulence insolente aux antipodes de l’évangile.

 * Activiste des droits de l’Homme et blogueur
Article publié en collaboration
avec Libre Afrique


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