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Le bon capitalisme : ce qui devrait changer après la crise


Par Sebastian Dullien, Hansjörg Herr et Christian Kellermann
Lundi 13 Décembre 2010

Le bon capitalisme : ce qui devrait changer après la crise
Quatrième pilier : Le monde
Nous plaidons pour un modèle économique qui soutienne les gains de productivité et l'innovation, caractérisé par un système financier à la fois stable et dynamique, et qui s'appuie sur une croissance des pays du monde ; cette croissance repose fondamentalement sur une croissance de la demande intérieure ou régionale, financée par les hausses des revenus, et qui empêche ainsi les grands déséquilibres de la balance des paiements courants des pays. L'économie mondiale devrait être caractérisée par un système de taux de change relativement stables, qui peuvent être ajustés en cas de déséquilibres majeurs. Les déséquilibres des balances des paiements courants doivent être combattus par des politiques monétaires et budgétaires appropriées - et aussi par les évolutions salariales correspondantes au sein des unions monétaires telles que l'Union économique et monétaire européenne. Si de trop grands déséquilibres apparaissent dans les balances des paiements courants, il faut envisager des ajustements des taux de change. Au sein des unions monétaires, ces ajustements ne sont pas possibles ; une plus grande intégration et une plus grande coopération sont donc nécessaires entre les pays membres de ces unions monétaires. 
Ce qu'il faut faire :
o Revenir à des taux de change stables avec un ensemble de règles d'ajustement claires lorsqu'apparaissent des déséquilibres dans les balances des paiements courants, en coordonnant mieux les politiques monétaires et budgétaires entre les pays, en contrôlant les mouvements de capitaux et en intervenant sur les marchés des changes ; o renforcer le rôle du Fonds monétaire international dans la coordination de la politique économique, après l'avoir réformé en profondeur ;
o instaurer un comité international fort chargé de la surveillance des marchés financiers internationaux auprès de la Banque des règlements internationaux à Bâle ;
o renforcer le rôle des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international pour la  "monnaie internationale" ;
o mettre en place une Cour internationale de la dette des Etats, pour favoriser une répartition équitable des dettes entre les créanciers (privés) et les débiteurs dans les cas de surendettement d'un pays ;
o apporter un soutien mondial à la fourniture de biens publics internationaux, comme par exemple des solutions aux problèmes globaux d'environnement ;
o à l'échelle européenne, promouvoir le dialogue macro-économique entre les partenaires sociaux pour permettre une meilleure coordination des négociations salariales sur les marchés nationaux du travail. Le  "bon capitalisme" offre des conditions de vie économique relativement sûres. Il n'est pas acceptable que les salariés ou les entreprises deviennent les pions de marchés totalement déstabilisés
- comme nous l'avons vu après la crise des subprimes. Les emplois précaires et le chômage de masse affaiblissent les syndicats et les salariés. Il faut donc poursuivre des politiques qui maintiennent le chômage à un niveau bas et qui interdisent les emplois précaires. L'extension des droits de co-détermination et des droits des salariés est essentielle à l'équilibre des forces entre le travail et le capital. Même si les réformes que nous proposons étaient mises en oeuvre, il existerait encore suffisamment de place pour les marchés, qui constituent par divers aspects un élément de la liberté des individus. Il ne s'agit donc pas de supprimer les marchés ou de les remplacer, mais plutôt de les inscrire dans des institutions et des réglementations, en particulier en ce qui concerne les marchés financiers et les marchés du travail.
 5. Le bon capitalisme est possible !
Nombreux sont les lecteurs qui auront pensé, à divers endroits du texte : oui, c'est une bonne idée, mais elle est malheureusement totalement irréaliste. Des taux de change fixes à l'échelle planétaire ? Les Américains n'accepteront jamais. Augmenter les impôts pour une meilleure redistribution des richesses en Allemagne ? Les lobbies patronaux sont bien trop puissants pour que cela fonctionne, voyons ! Renforcer le poids des conventions collectives nationales en Allemagne ? Des centaines d'économistes allemands inonderont les boîtes aux lettres des hommes politiques de lettres de protestation… On pourrait continuer cette liste à l'infini. Nous croyons que ce scepticisme n'est pas de mise. L'histoire économique est pleine de rebondissements spectaculaires. Ainsi, pendant longtemps, on a considéré comme inconcevable le fait que la monnaie puisse ne pas être couverte par des métaux précieux. Aujourd'hui, plus aucune monnaie importante dans le monde n'est échangeable en or ou en argent auprès des banques centrales. Au début de la grande dépression, dans les années 30, on considérait que l'Etat ne pouvait ni ne devait rien faire contre les coups du sort de la conjoncture. Moins d'une demi-décennie plus tard, avec sa  "théorie générale", John Maynard Keynes renversait totalement cette façon de penser. Jusqu'au début de la crise, en 2007, on n'aurait pas davantage imaginé que les gouvernements britannique et américain deviennent actionnaires des grandes banques privées de leurs pays respectifs. Aujourd'hui, des pans entiers des systèmes financiers de ces deux pays dépendent de l'Etat ou en sont devenus la propriété. Si une telle évolution s'accompagne de changements durables dans les rapports entre le marché et l'Etat, de profonds bouleversements dans la manière actuelle de concevoir l'économie peuvent apparaître. L'Union monétaire européenne constitue un autre exemple : lorsque le  "Plan Werner" proposait en 1970 d'introduire une monnaie unique en Europe, cela semblait totalement utopique. Même lors de la négociation du traité de Maastricht au début des années 90, rares étaient ceux qui considéraient l'idée d'une monnaie européenne unique comme réaliste. On disait souvent que les Allemands ne seraient jamais prêts à renoncer à leur mark. Aujourd'hui, payer en euros est devenu une évidence pour tout le monde. Naturellement, cela ne veut pas dire que l'architecture de l'euro n'apporte aux gens que de bons services et correspond à notre vision du  "bon capitalisme". Mais la monnaie commune pourrait faire avancer l'intégration politique de l'Europe face à la crise actuelle, ce qui constituerait le point de départ d'une avancée supplémentaire vers notre nouveau modèle économique. Les crises offrent des opportunités : les crises soudaines montrent souvent que quelque chose ne fonctionnait pas dans la pensée dominante. Elles offrent l'occasion de s'interroger sur toutes les théories et tous les intérêts qui n'ont jamais été remis en cause pendant longtemps et qu'on a considéré comme généralement admis juste parce qu'ils étaient très répandus. Ainsi, la crise offre la chance de revenir un pas en arrière et de vérifier les dysfonctionnements de l'économie au cours des dernières décennies et les raisons qui expliquent pourquoi notre système économique n'a pas toujours contribué à accroître le bien-être du plus grand nombre. Le projet de mondialisation néo-libérale n'a pas vraiment permis à beaucoup de personnes, y compris en Allemagne, de participer à la création de richesse dans la société ; au contraire, il a engendré la précarité et le risque d'exclusion sociale. Les systèmes de protection sociale ont, au moins partiellement, été soumis aux humeurs des marchés financiers ; les projets de vie, tant professionnels que privés, ont été bouleversés par les crises et les nouvelles méthodes de management. Une part importante et croissante de la société a au moins le sentiment d'être un pion, une balle avec laquelle joue un marché de moins en moins contrôlé et de plus en plus violent. La cohésion sociale est menacée par la résignation ou les troubles sociaux. Au vu de ces dangers, la nécessité de mieux réguler la mondialisation ne fait aucun doute. Nous considérons en outre que le capitalisme financier, tel qu'il est apparu au cours des dernières décennies, mais aussi la déréglementation des marchés du travail et d'autres éléments du projet néo-libéral, ont contribué à rendre l'économie mondiale beaucoup plus fragile et exposée aux catastrophes économiques et sociales du type de la grande dépression des années 30. La crise des supprimes en est la démonstration. Dans les pays riches, cette crise a déchaîné de la manière la plus brutale le côté destructeur de ce capitalisme, tandis que dans les pays en développement et les pays émergents, l'effondrement de l'économie faisait, depuis longtemps déjà, partie de la réalité. Puisque ce type  "d'accidents" est potentiellement capable de précipiter des millions de personnes dans la pauvreté et de réduire à néant les progrès économiques et sociaux d'années, voire de décennies entières, il faut réguler le capitalisme de façon à le rendre moins vulnérable aux crises. Même si, de prime abord, l'objectif à long terme d'un  "bon capitalisme", jugulé par des institutions et des règles, peut sembler irréaliste, bien des étapes sur cette voie sont parfaitement concevables et font déjà l'objet d'un débat politique aujourd'hui. Et puisque tout long chemin doit commencer par un premier pas, d'autres propositions plus ambitieuses pourront être mises en oeuvre à la suite de ces premières évolutions. C'est une question de volonté politique - et naturellement de possibilités politiques. Tout dépend des rapports de force au sein des sociétés et entre elles, car c'est sur ces rapports de force que se bâtiront les marges de manoeuvre politiques. Il est donc important d'engager dès à présent les premières réformes, pour pouvoir à plus long terme en envisager d'autres, et les mettre en oeuvre. L'essentiel est de savoir vers quoi nous tendons. Au cours des décennies écoulées, tous les responsables politiques ne semblent pas avoir toujours eu une vision claire de ce à quoi devraient finalement ressembler notre société et notre système économique à l'issue des réformes engagées. C'est ainsi que bien des réformes ont été présentées sur un mode défensif ; on a ainsi dit qu'elles étaient nécessaires pour préserver ce qui restait de l'Etat social. Au bout du compte, les changements n'ont pas accru la capacité de résistance de l'économie ; ils ont même au contraire accentué les déséquilibres économiques mondiaux - notamment parce que leur mise en oeuvre ne s'accompagnait pas d'une vision d'ensemble suffisante. Mais le modèle que nous esquissons ici le montre : le "bon capitalisme", une solution alternative à la logique économique libérale des rapports entre Etat, entreprises et société, n'est pas seulement envisageable ; il est surtout possible ! 

 
(Sebatian Dullien enseigne à l'Ecole supérieure de technologie et d'économie (Hochschule für Technik und Wirtschaft) de Berlin ; Hansjörg Herr enseigne à l'Ecole supérieure d'économie et de droit (Hochschule für Wirtschaft und Recht) de Berlin ; Christian Kellermann dirige le bureau scandinave de la Fondation Friedrich-Ebert à Stockholm). Article publié en collaboration avec la Fondation Friedrich-Ebert 


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