Le bon capitalisme : Ce qui devrait changer après la crise (II)


Par Sebastian Dullien, Hansjörg Herr et Christian Kellermann
Vendredi 10 Décembre 2010

Le bon capitalisme : Ce qui devrait changer après la crise (II)
3. Pas de pas en arrière, deux pas en avant
L'important dans le  "bon capitalisme" est de trouver le juste équilibre entre le marché, l'Etat et la société. Le capitalisme financier a de nouveau besoin de plus d'Etat sur bien des points. Mais tout cela ne doit aucunement signifier le retour au vieux modèle de l'Allemagne des années 1970.  "Plus d'Etat", cela ne veut pas non plus dire rogner sur les libertés conquises au fil des ans dans nos sociétés. Dans le  "modèle allemand" des années 70, on avait certes intégré l'idée d'une réflexion à long terme impliquant étroitement l'industrie et les banques, regroupées autour d'un objectif : faire avancer  "l'entreprise Allemagne". Mais ce modèle perdit ses fondations avec la construction européenne et la mondialisation de la production. En outre, le modèle figeait des structures de pouvoir douteuses, qu'il fallait dépasser. Bien des groupes se retrouvaient exclus du marché du travail, ou du moins de certains postes. Pour les femmes, avoir un emploi était plus difficile dans les années 70 qu'aujourd'hui. Le retour au modèle des années 70 n'est donc ni souhaitable, ni possible, pas plus qu'on ne peut envisager de copier le modèle anglo-saxon qui vient de subir un échec criant, celui-ci ayant pour objectif principal l'augmentation à court terme de l'intérêt des actionnaires, la Shareholder value, et donnant au marché financier un poids excessif dans l'économie. Adopter un nouveau modèle économique représente un projet extrêmement ambitieux. De nombreuses composantes du modèle ne peuvent pas êtres mises en oeuvre dans une démarche purement nationale, et certainement pas par un pays qui, comme l'Allemagne, est membre de l'Union européenne, et donc étroitement lié à ses voisins, tant aux plans économique que juridique. En outre, dans de nombreux domaines, l'échelon supranational semble le niveau de régulation le plus approprié, pour des raisons économiques essentielles. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les marchés financiers et leurs acteurs. Les capitaux sont extrêmement mobiles, et recherchent en permanence le site optimal (du point de vue capitalistique) ; celui-ci se trouve souvent sur une  "place offshore" déréglementée, dans laquelle la fiscalité et les organismes de surveillance sont quasi-inexistants. Abstraction faite des injustices que cela représente, un tel  "arbitrage en faveur de la déréglementation" mine toute réglementation effective. Il faut donc parvenir à coordonner la réglementation des marchés financiers à l'échelle mondiale. Sur d'autres points aussi, et notamment sur la question des déséquilibres mondiaux, il est absolument nécessaire de parvenir à une coordination à l'échelon international. Il n'en est pas moins vrai que dans de nombreux domaines, chaque pays peut commencer à effectuer son passage à un nouveau modèle économique. Par exemple, la diminution de l'énorme excédent de la balance des paiements courants de l'Allemagne pourrait démarrer par une inflexion de la politique salariale allemande et par un renforcement de la redistribution fiscale au plan national. Sur ces deux points, la coordination avec l'étranger n'est pas nécessaire, et ces sujets ne susciteraient pas de conflits avec nos partenaires européens. En outre, moins de déséquilibres au sein de la troisième ou la quatrième puissance économique mondiale signifie nettement moins de déséquilibres à l'échelle mondiale.  
4. Le "bon capitalisme", un modèle qui repose sur quatre piliers L'idée que le capitalisme est un système autorégulé conduisant à la stabilité et à la prospérité de tous a été une erreur, et restera à jamais une erreur. Les marchés doivent toujours s'inscrire dans un cadre institutionnel et un système de réglementations, sous peine de développer des forces destructrices. La question n'est donc pas de savoir si l'Etat doit intervenir dans le fonctionnement des marchés, mais comment. Afin de déployer sa ( "bonne") dynamique productive tout en s'affranchissant le plus possible de ses tendances destructrices, le capitalisme doit être tenu en bride, à la fois par l'Etat et par la société. La bride ne doit être ni trop lâche, ni trop serrée. Dans un monde idéal, le capitalisme mondial doit aussi avoir une réglementation ou une bride mondiale, pour filer la métaphore. Mais même sur le plan national ou régional, quelques précautions utiles peuvent déjà être prises. Un pays comme l'Allemagne dispose de marges de manoeuvre suffisantes pour organiser ses propres priorités économiques internes et son propre degré d'implication dans la mondialisation. Voilà à quoi ressemble selon nous une solution alternative faisable pour l'Allemagne, en appui sur les quatre piliers suivants :
Premier pilier : Les banques et le système financier
 Les systèmes financiers constituent le  "cerveau" des systèmes économiques. Ils revêtent une importance cruciale pour leur développement dynamique, mais peuvent aussi conduire l'économie à sa perte. De fait, un système financier en bon état de marche remplit dans une économie moderne au moins quatre fonctions indispensables à un processus durable de croissance. En premier lieu, en créant du crédit, il permet aux entreprises, et en particulier aux entreprises innovantes, de procéder à des investissements et de mener à bien leurs productions. Deuxièmement, en assurant une meilleure répartition globale du risque, il contribue à ce qu'un plus grand nombre d'entreprises puissent prendre des risques, ce qui conduit tendanciellement à davantage d'innovation et de croissance économique. Ensuite, un système financier qui fonctionne correctement devrait accorder des crédits aux secteurs et aux entreprises les plus à même de générer avec ces fonds une croissance durable. Enfin, il aide à collecter de petites sommes auprès d'un grand nombre d'épargnants, et à les rendre disponibles pour de grands projets d'investissement. Le système financier devrait donc prêter aux entreprises suffisamment de fonds, et aider les entreprises innovantes, même en prenant des risques plus élevés. Mais pour ce faire, la pléthore de produits financiers actuels, finalement très similaires, n'est pas nécessaire, pas plus que l'ampleur prise par les marchés des produits dérivés, dont la croissance est gigantesque. Par ailleurs, à travers la spéculation et les actions à court-terme, les marchés des actions et de l'immobilier et les stratégies d'entreprises, axées sur la maximisation du bénéfice immédiat, n'ont en rien soutenu le développement à long terme des économies. Des systèmes financiers relativement solides suffisent pour financer les investissements et l'innovation par l'expansion du crédit.
Ce qu'il faut faire
o Maintenir des systèmes bancaires à plusieurs branches avec un secteur public fort (caisses d'épargne et banques coopératives) ; 1Vous trouverez les explications détaillées et motivées de chacune des mesures au chapitre 4 du livre  "Le bon capitalisme".
o mettre en place des règles plus strictes pour les capitaux propres des institutions financières concernant tous les risques à porter au bilan ; les risques élevés doivent apparaître de façon transparente et s'appuyer sur des fonds propres adéquats ;
o concevoir des aménagements anticycliques de la réglementation des marchés financiers (réduction du rôle des modèles de risque quantitatifs propres aux banques, réforme de la convention Bâle II); o créer une instance européenne de surveillance des banques ;
o strictement interdire les activités avec des places offshore ;
o établir une réglementation applicable à l'ensemble des instituts financiers selon les fonctions qu'ils exercent sur le marché ; o mettre en place de nouvelles règles de titrisation, notamment à travers une agence d'homologation ou un  "contrôle technique" des produits financiers, et imposer la conservation du risque auprès du premier titulaire en cas de cession de créances, pour les tranches de risque les plus élevées ;
o installer une chambre de compensation pour les produits dérivés et strictement interdire les transactions non soumises à la surveillance des marchés boursiers (activités OTC) ;
o étendre les compétences des organismes de surveillance des banques et des marchés financiers, qui devront à l'avenir collecter et agréger des données sur les marchés financiers et intégrer une perspective macro-économique ;
o abandonner la  "comptabilité en juste valeur" et adopter le principe de la valeur minimale ;
o réformer les agences de notation et créer des agences publiques ;
o mettre en place des règles strictes encadrant les bonifications des dirigeants ;
o juguler le court-termisme des marchés financiers et ses effets sur l'ensemble de l'économie : renoncer au principe de la Shareholder- Value (l'intérêt de l'actionnaire prioritaire) dans la gestion d'entreprise et accroître le rôle de tous les acteurs (stakeholders) dans l'entreprise ;
o élargir la palette d'outils dont dispose la banque centrale : ajouter à l'action sur les taux d'intérêts des règles variables en matière de fonds propres pour les crédits immobiliers (modulées par secteur et par région), le contrôle des mouvements de capitaux, et l'intervention sur les marchés des devises.
Deuxième pilier : Les salaires et le marché du travail Le pouvoir d'achat, qui constitue la principale source de la demande dans les économies développées, devrait s'appuyer sur une répartition relativement équilibrée des revenus, et pas sur une extension des crédits à la consommation. Pour obtenir une telle répartition équilibrée des revenus, plusieurs mesures sont nécessaires: premièrement, inverser la tendance à la baisse de la part relative des salaires dans le revenu national, due essentiellement à la montée en puissance, au débordement et à la voracité du système financier en termes de risque et de rendement. Deuxièmement, modifier la structure des salaires en relevant les salaires les plus bas. Troisièmement, l'Etat doit intervenir dans la répartition des revenus imposée par le marché, par le biais des impôts et des dépenses publiques, y compris en mettant à disposition des biens publics. Les régimes publics de protection sociale ont à cet égard un rôle important à jouer, mais ils ne sont pas les seuls.
Ce qu'il faut faire
? Orienter l'évolution des salaires par rapport à la productivité de l'ensemble de l'économie et aux objectifs d'inflation fixés par la banque centrale ;
? mettre en place des salaires minimums légaux et harmonisés, pour limiter les inégalités dans la répartition des revenus, et pour écarter les menaces déflationnistes ;
? renforcer les conventions collectives nationales en rendant obligatoire l'affiliation des entreprises aux fédérations professionnelles, ou en déclarant obligatoire l'application générale des conventions collectives qui sont signées ;
? renforcer les droits de co-détermination des salariés dans les entreprises ;
? conditionner les attributions de commandes publiques au respect de normes minimales en matière de salaires et de conditions de travail ;
? créer une assurance chômage commune à l'échelon de l'Union monétaire européenne, afin notamment de renforcer la cohésion régionale ;
? définir un ancrage européen du salaire minimum (le salaire minimum doit représenter 60% du salaire moyen national) et créer une commission européenne du salaire minimum ;
? coordonner la politique salariale sur la base de lignes directrices européennes en matière de salaires ;
? soutenir la constitution de syndicats européens, de fédération patronales européennes, et les négociations entre partenaires sociaux européens ;  
Troisième pilier : Les budgets publics
 Dans un capitalisme réformé, avec de nouvelles réglementations, on ne saurait concevoir un engagement plus fort de l'Etat sans qu'il puisse s'appuyer sur des recettes financières justes et solides, qui permettent de maîtriser la dette publique par rapport au produit intérieur brut. La fiscalité sert d'une part à corriger la répartition des revenus, mais aussi à investir, en particulier dans les domaines de l'éducation, de la recherche, des infrastructures et de la protection sociale. La solidité du financement des Etats est la condition nécessaire à une stabilisation anticyclique de l'économie par des stabilisateurs automatiques, et à la fourniture de services publics de la meilleure qualité possible.
 Ce qu'il faut faire :
? Faire adhérer les titulaires de tous revenus aux régimes obligatoires d'assurance retraire, maladie et chômage ;
? mettre en place des taux minimums européens d'imposition des entreprises ; ? centraliser davantage la politique financière dans la zone euro, par le biais d'impôts européens et en créant des possibilités d'endettement au niveau de l'UE ;
 ? utiliser une politique budgétaire anticyclique à l'échelon européen, notamment en coordonnant la politique budgétaire dans l'Union économique et monétaire ou dans l'Union européenne ; ? développer la péréquation financière au sein de l'Union européenne, pour pouvoir mieux venir en aide aux pays qui traversent des phases difficiles ;
? mettre en place un nouveau pacte de stabilité de l'euro pour corriger les déséquilibres de la balance des paiements courants.  


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