Le Sommet arabe de Syrte


Libé
Mardi 6 Avril 2010

Le Sommet arabe de Syrte
La Ligue des Etats arabes vient d'organiser, à Syrte, à 500 km à l'Est de Tripoli, en Libye,  le 22ème Sommet des Etats arabes. Comme je m'y attendais, le Sommet a accouché d'une souris. Au vu de la gravité de la situation, on aurait aimé une "déclaration arabe forte", car, comme l'a rappelé, le premier ministre turc, Recep Tayyib Erdogan, invité au Sommet, en tant qu'observateur : "Si Jérusalem brûle, cela signifie que la Palestine brûle. Et si la Palestine brûle, cela veut dire que le Proche-Orient brûle".
Certes les chefs d'Etat arabes  ont conditionné la reprise du dialogue israélo-palestinien à l'arrêt total de la colonisation,  considérée comme un obstacle dangereux dans la réalisation  d'une paix juste et globale, ont appelé le président Barak Obama à ne pas fléchir face à l'arrogance de Natanyahou, et ont même approuvé une aide de 500 millions de $ pour le "sauvetage de Jérusalem", à travers les Fonds Al-Aqsa et Al-Qods.
Mais qu'adviendra-t-il si Israël n'obtempère pas, reste sourd à l'appel des Arabes, insensible aux pressions de la Communauté internationale? Y-a-t-il un plan B ? Une stratégie alternative?  Amr Moussa, Secrétaire général de la Ligue arabe semble dire que oui. Il a affirmé que "le comité de suivi de l'initiative de paix arabe… était sur le point d'élaborer des plans alternatifs". Mais lesquels ? On est laissé dans la supputation.
Que peuvent faire les Arabes si Israël continue à se moquer de  la Communauté internationale, se comporter à sa guise, et à ignorer le plan de paix arabe ? Plusieurs options peuvent être envisagées :
1) Retour à la résistance armée. Brandie comme une menace par le Hamas, qui n'était pas invité à participer au Sommet et soutenue par le Président syrien. Nul doute que toute résistance armée à une occupation illégale est légitimée par le droit international. Cependant, cette option perd toute efficacité si la résistance armée palestinienne ne s'adosse pas à un consensus inter-palestinien et  ou si elle n'est pas soutenue, sous toutes les formes, par les peuples et les dirigeants arabes. A défaut, elle renforce la déchirure palestinienne, accroît les dissensions inter-arabes et suscite un retournement des opinions internationales, aujourd'hui plus sensibilisées à la souffrance palestinienne.
En outre, la Palestine n'est pas le Liban: la topographie est différente, le territoire est cadenassé, et le rapport de forces est tel  que  chaque colon ou chaque soldat israélien tué sera vengé par un déluge de feu.
Par ailleurs, ricanent certains commentateurs, au nom de quoi les Syriens appellent les Palestiniens à résister par les armes à la  colonisation israélienne, alors qu'on n'a pas entendu un seul coup de feu syrien, sur le plateau du Golan, occupé par Israël depuis 1967?  N'y a-t-il pas, là, une surenchère guerrière qui frise le ridicule.
  2) La deuxième option c'est la résistance non-violente. Elle est préconisée par  Mahmoud Abbas, président de l'Autorité Palestinienne. Dans le contexte palestinien, la résistance pacifique est  non seulement plus efficace  mais surtout moralement plus humaine. Elle a l'avantage d'étaler, devant le monde entier, le refus palestinien de l'occupation,  de  dévoiler les pratiques illégales et inhumaines de l'occupant, de ternir son image, sans s'aliéner la sympathie et la solidarité des opinions publiques arabes et étrangères… Pour toutes ces raisons, Mahmoud Abbas a sans doute raison : mais il doit commencer par donner l'exemple :  prendre la tête des manifestations aux postes de contrôle à l'entrée de Jérusalem, faire hisser sur tous les édifices publics un drapeau blanc avec un slogan "Non à l'occupation", "Non à l'apartheid", "Non au bouclage des territoires palestiniens", "Non au siège de Gaza". La société civile palestinienne peut appeler les sociétés civiles d'Europe ainsi que le mouvement de la paix en Israël même à lancer des campagnes de sensibilisation en impliquant cinéastes, artistes, chanteurs, écrivains et sportifs.
3) Dans le cadre de la résistance pacifique, l'autorité palestinienne soutenue par les Etats arabes, peut adresser une requête aux Nations unies pour l'envoi de missions d'observateurs chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'Homme en Palestine occupée : expropriation de terres, détentions arbitraires, dommage aux récoltes, agressions des colons, interdiction de circulation.
  4) Une 4ème option serait  la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien dans les frontières du 4 juin 1967. Cet Etat sera d'emblée reconnu par la majorité des membres des Nations Unies. Certains Etats européens y seraient favorables. L'Amérique rechigne  pour l'heure, mais si le bras-de-fer avec Israël continue, elle pourrait s'y résoudre. Après tout, Israël s'est toujours comporté de manière unilatérale, sans se soucier, le moins du monde, de la réaction de la Communauté internationale. N'a-t-il pas annexé Jérusalem–Est  ou le Plateau du Golan de manière unilatérale ? Sharon n'a-t-il pas démantelé les colonies dans la Bande de Gaza sans concertation préalable avec l'Autorité palestinienne? La colonisation, elle-même, n'est–elle pas  une décision unilatérale ?
Naturellement, l'idéal est que la création d'un Etat palestinien soit  le fruit d'une négociation aboutie. Mais jusqu'ici toutes les négociations ont été  dilatoires.
5) Si toutes les précédentes options ne prouvent pas leur efficacité,  les Etats arabes qui ont signé un Traité de Paix avec Israël pourraient reconsidérer leur position. Déjà la Mauritanie a coupé les relations diplomatiques avec Israël et  certains autres Etats, notamment dans le Golfe, ont mis fin à la "normalisation tranquille". La pression populaire sur la Jordanie et l'Egypte pourrait les forcer à faire de même : il est tout de même insensé de maintenir des relations normales avec un pays qui bafoue, de manière si éhontée et si systématique, la dignité des Arabes. Il faut qu'Israël se rende compte qu'il ne peut poursuivre dans sa politique de colonisation, en toute impunité. Agiter la menace d'une rupture des relations diplomatiques est une manière de  lui faire comprendre que l'occupation n'est pas un cadeau, mais un fardeau.
6) Comme ultime option : les Etats arabes pourraient brandir la menace économique et énergétique: par exemple, boycotter les pays qui continuent à soutenir l'Etat d'Israël, en tant que puissance d'occupation. Je doute personnellement de l'efficacité de cette option dans la mesure où les Etats arabes producteurs d'énergie ont autant besoin de vendre que les autres d'acheter, et dans la mesure où de nombreux Etats producteurs de pétrole doivent leur propre protection à ceux-là mêmes qui, jusqu'ici, ont soutenu l'Etat d'Israël, notamment l'Amérique… Mais qu'il n'y ait pas un groupe de pression arabe capable de peser sur les décisions politique des pays occidentaux  en ce qui concerne le conflit israélo-arabe, cela demeure incompréhensible quand on connaît la toute puissance de l'Aipac, ce lobby pro-israélien aux Etats-Unis et tous les groupes de pression pro-israéliens, plus discrets certes, mais très présents dans les institutions européennes et au sein de chaque pays membre.
Si les Etats arabes veulent être crédibles, il faut qu'ils pensent à un Plan B. Le Plan A c'est "l'initiative de paix arabe". Si Israël refuse la main tendue, il faut qu'il en assume toutes les conséquences. Mais il ne peut vouloir le beurre et l'argent du beurre. Les dirigeants arabes ont fait montre, jusqu'ici, de leur incapacité à faire la guerre, ou même à faire la paix. Un tel étalage de faiblesse ne fait que renforcer le sentiment d'immunité et d'invulnérabilité d'Israël. Il faut donc un grand sursaut : c'est une question de dignité, de respect de soi. Il y va de l'image des Régimes arabes aux yeux de leurs peuples et du rôle des Etats arabes dans le concert des Nations.
Arrêtons de pérorer sur les divisions des Arabes et leur faiblesse : rien n'est congénital ou consubstantiel à la nature des Arabes. Les divisions sont entretenues et la faiblesse est nourrie par l'appétit du pouvoir à tout prix et l'action solitaire. Prenons exemple sur des pays voisins, comme la Turquie, alliée de l'Occident, toujours fière sans être hautaine, digne sans être arrogante, souple mais jamais servile. Et n'oublions jamais que dans le désert de l'existence, le fou marche en solitaire, et le sage accompagne la caravane.


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