Latefa Aherar : Mon rôle est de soulever des questions sociétales passées sous silence par d’autres





Je suis bien sûr fière de mes anciennes mises en scène, mais “1.2.3…” constitue un univers à part, où je m’attaque à un texte qui frôle l’absurde et le rend quotidien.

Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Lundi 24 Août 2015

On la connaît engagée, audacieuse, persévérante. Voilà qu’on découvre aussi son regard pertinent qui capte ce que les autres ne peuvent percevoir. Une perspicacité rare. Elle ne reconnaît que les normes de l’art. Une chercheuse inlassable du beau. Une passionnée du bel art. A travers le théâtre, elle entend sonder les maux de toute une société. Elle interroge les composantes, les déséquilibres et les dysfonctionnements de la société marocaine. Une pièce qui fera à la fois dans la sociologie et la psychologie. Quoi de beau qu’un couple pour mettre cet univers en relief.
Absente depuis peu de temps, Latefa Aherar, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, adapte cette fois-ci une nouvelle pièce intitulée: «1.2.3…». Et puisque c’est sa nature d’être au four et au moulin, il arrive qu’elle soit actuellement en tournage à Marrakech. Un feuilleton à suivre et un rôle à apprécier… Dans cet entretien avec Libé, elle revient sur la pièce, le texte de fond, son auteur.


Libé : On a appris qu’une nouvelle pièce est fin prête pour être présentée au public ?
Latefa Aherar : Effectivement, ma nouvelle pièce est intitulée « 1.2.3 ... ». Mais là, je dois, tout de suite, expliquer que bien que j’en sois la metteuse en scène, je reste, cette fois-ci en dehors de la scène. Je n’y joue pas. Et rassurez-vous, c’est aussi un vrai plaisir de voir son propre travail joué par d’autres comédiens.
Qu’en est-il de la pièce adaptée?
Il s’agit d’un texte dont la qualité et la pertinence m’avaient interpellée depuis bien longtemps. Un texte de son auteur le dramaturge anglais Harold Pinter, connu souvent par ses dialogues au cinéma et ses créations pour la radio british. C’est un réel défi que d’adapter cette pièce au contexte actuel.
Quel thème aborde la pièce ?
 «Old Times» est un texte très compliqué car la trame n’est pas classique et les personnages sont plongés dans un long soliloque. Ils parlent, se racontent leur passé ainsi que leur présent. Ils sont otages de deux temps, tour à tour psychologique et réel. Donc, de mon côté, j’ai essayé de travailler sur ce fond qui peint des personnages complexes et compliqués et les ouvrir sur un temps/ton darija marocain traduit par Mouhcine Zeroual. C’est un peu l’histoire de tout un chacun.
Quelle est votre démarche pour adapter la pièce ?
Mon travail se voulait investigateur. Je me suis attelée à puiser dans la nature du couple marocain et ses références sociétales. N’oublions pas que la pièce fut écrite en 1970, soit deux ans après mai 68, avec son environnement et ses impactes  culturels : hippisme, «living theatr»…  Actuellement, je pense que nous vivons les mêmes problématiques, sous-tendues par des conflits entre progressistes et conservateurs.
Evoquer la vie d’un couple par trois personnages n’est-il pas ambigu ?
Un couple et trois personnes sont un microcosme d'un univers où  règne le flou dans les relations. Un univers où le non-dit prime et laisse le public construire, selon son imaginaire, des univers de fantasmes, de paroles, de silences et de hiatus. Permettez-moi donc d’inviter le public à venir voir «1,2,3...», car je voudrais bien qu’il se penche sur des facettes de notre vie quotidienne souvent passées sous silence.
Qui interprète donc les trois rôles de cette pièce ?
Je suis heureuse et chanceuse de travailler avec les jeunes actrices Hajar Elhamidi et Rajae Kharmaz, ainsi que le talentueux Adil Abatorab. Quant à la conception des costumes, elle revient à Tarik Ribh. Pour ce qui est de la scénographie et la lumière, elle est signée Youssef El Arkoubi, et enfin, pour la conception sonore, elle est l’œuvre de Zouheir Atbane.
Après «Capharnaüm» et «La Pianiste», que vous  apporte la nouvelle pièce en tant que metteuse en scène ?
Je suis bien sûr fière de mes anciennes mises en scène, mais cette pièce est un univers à part, où je m’attaque à un texte qui frôle l’absurde et le rend quotidien. C’est un défi qu’on a bien réussi, fort heureusement.
Au fait, chacun à part, comment faites-vous pour faire voyager le public en allant de l’individu au couple?
C’est un choix de mise en scène minimaliste, un jeu intimiste, des  chuchotements, des sons et bruits, sans oublier le dispositif scénique. Enfin, le public est fort présent, dans la mesure où il intervient aussi et fait partie du spectacle.
Seriez-vous en train de donner des réponses aux maux de la société ?
Je pense que le rôle de l’artiste comme celui de tout intellectuel n’est pas d’apporter des réponses aux maux de la société, mais plutôt de poser des questions. Pointer du doigt là où cela fait mal et découvrir les coins d’ombre qu’on omet souvent de mettre en lumière. Il s’agit aussi d’une façon subtile de mettre au devant de la scène des sujets qui rentrent dans le cadre des tabous et non-dits pour les interroger. Je pense que cela vaut mieux que de s’atteler à apporter des réponses. Car sincèrement, cela relève d’une autre responsabilité qui n’est pas la mienne. Déjà j’y contribue par des interrogations, et c’est bien sage de la part des artistes et des intellectuels.
Quand le public pourra-t-il découvrir cette pièce ?
Nous avons déjà joué cette pièce à deux reprises, à la salle Kanfaoui de Rabat, mais nous donnons rendez-vous aux férus des planches en octobre prochain. Une tournée nous emmènera dans plusieurs villes marocaines notamment Tanger, Tétouan et Marrakech.
Vous êtes donc très occupée par le théâtre. Quand allons-nous vous voir à la télé ou au cinéma ?
J’y suis déjà. Actuellement, je suis en plein tournage d’un feuilleton dirigé par Brahim Chakiri et où je joue un rôle principal. J’y incarne le personnage de Feth Zhar, la rivale de Aicha Sayyeda lhorra. Un rôle nouveau dans mon répertoire. Je trouve un plaisir à le jouer et qui me rappelle les manigances de Iago dans «Othello», afin de récupérer son mari et partant de conserver son statut de femme au pouvoir. Bien sûr, pour parvenir à cette fin, il faut user de ruses, de manœuvres et de charlatanisme. Je vous assure que c’est un feuilleton qui plaira beaucoup aux téléspectateurs.

 



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