Laila Miyara, présidente de l’Association de femmes chefs d'entreprises du Maroc

Pour la création d’un réseau inclusif ouvert sur les préoccupations des femmes dans le milieu des affaires


Propos recueillis par Meyssoune Belmaza
Lundi 9 Mars 2015

Laila Miyara, présidente de l’Association de femmes chefs d'entreprises du Maroc
«Investir dans les femmes est l’un des moyens les plus efficaces 
d’accroître l’égalité et de promouvoir la croissance économique inclusive et durable», tels sont les maîtres-mots de Laila Miyara, qui porte 
également sur le haut du pavois la femme dont la performance ira 
crescendo si les barrières discriminatoires sont levées.



Libé: En tant que présidente de l’AFEM, quelle lecture faites-vous du rôle de la femme entrepreneure dans la sphère économique ? Et quelles sont les actions engagées par votre association pour permettre justement à la femme de jouer pleinement son rôle?

Laila Miyara: Tout d’abord, je tiens à signaler que le Maroc, durant ces dernières années, a opté pour la promotion du rôle de la femme au sein de la société et une plus grande contribution au développement économique et social, notamment à travers la réforme du Code de la famille, du Code du travail, de l'intégration de l'approche genre dans toutes les politiques économiques et sociales et du Code de la nationalité. Ensuite, la Constitution de 2011 est venue à son tour, insuffler du renouveau en institutionnalisant et en renforçant le rôle des femmes dans la société. 
Elle a, en effet, décrété, dans son article 19, la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ainsi que l'instauration d'une instance de la parité.
Les réformes conduites, sous la clairvoyance de SM le Roi, ont ouvert le champ des possibles aux femmes, forces vives de la Nation et vecteurs de croissance pour contribuer en tant que composantes incontournables de la société à cette dynamique de changement engagée par notre pays. A coup de réformes et de lutte, en termes des droits des femmes,  l'entrepreneuriat féminin a connu un saut qualitatif et s'est nettement développé ces dix dernières années en contribuant, ainsi, à la création d'emplois et de plus-value. Aujourd'hui, 10% des entreprises marocaines sont féminines, soit 15.000 entreprises.
Ce chiffre reste, bien sûr, très faible par rapport à d'autres pays et par rapport au potentiel féminin et aux aspirations et attentes des femmes. Nous devons redoubler d'efforts, militer, se battre pour voir un jour ce nombre porté au moins à 30 %.
La présence de plus en plus importante de la femme dans la sphère économique et grâce à l'effet d'exemplarité, permet de développer l'esprit entrepreneurial chez les jeunes diplômées qui représentent aujourd'hui un grand pourcentage (entre 50 et 60 %) des lauréats des grandes écoles et universités.
En faisant de leur autonomisation un objectif prioritaire, les femmes en général, entrepreneures dans l'âme, sont favorables à l'auto-emploi et participent, par le biais des coopératives et des activités génératrices de revenus, à lutter contre la pauvreté et à prendre en charge leurs familles.
L’Association de femmes chefs d'entreprises du Maroc (AFEM) œuvre pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin et encourager la création d'entreprises par des femmes en tant que levier de développement économique durable au Maroc. Elle met en avant, ainsi, les services aux membres  dans une relation client/fournisseur en favorisant le networking, le B to B,  la formation, l'information, le partage des expériences, la transmission de connaissances, le renforcement des capacités de ses membres  pour le développement d'entreprises productives et plus compétitives.
Dans ce sens, l’AFEM se veut aussi un lieu privilégié de réflexion collective, de valorisation de la réussite, de réseautage et de développement de partenariats d’affaires, constituant ainsi, depuis 15 ans, l'association de référence en matière d’entrepreneuriat féminin.
L'AFEM en tant qu'association professionnelle, s'inscrit avec détermination, dans cette dynamique qui tend à consolider les bases d'une société démocratique, équitable et garantissant l'égalité des chances entre hommes et femmes.
L'AFEM en tant que force de proposition auprès des pouvoirs publics, milite pour porter la voix des femmes et pour permettre une meilleure représentation au niveau des organes de décision. 
Notre Association regroupe des entreprises de différentes tailles dans un élan de solidarité et de progrès. En lien avec sa mission et dans une perspective d’économie durable, l’AFEM se donne comme objectifs notamment de proposer des occasions de réseautage par des activités pertinentes, accessibles et créatives; favoriser la synergie entre les membres offrant des produits ou services complémentaires; déployer des actions propices au développement d’affaires; susciter des débats constructifs sur des questions concernant les femmes d’affaires; mettre en valeur les succès des femmes entrepreneures; promouvoir la création d'entreprises par des porteuses de projets  grâce à nos incubateurs qui sont disséminés dans plusieurs régions du Maroc; contribuer à la relève entrepreneuriale en favorisant le mentoring et le transfert d’expertises pour soutenir  les femmes qui lancent leur business; développer des partenariats d’affaires avec les entreprises nationales et étrangères et créer un réseau inclusif ouvert sur les préoccupations et les réalités diversifiées que rencontrent les femmes d’ici et d’ailleurs œuvrant dans le milieu des affaires.

Sinon, d’après votre opinion personnelle, l’approche genre est réellement prise en compte dans la pratique au Maroc? Et selon votre avis professionnel, quelles sont les actions à entreprendre pour garantir la parité homme/femme entrepreneure?

Malheureusement l'approche genre n'est pas toujours respectée au Maroc, que ce soit au niveau des salaires, dans les avancements de carrières, dans l'octroi de financement, dans l'adjudication des marchés publics, dans la représentativité dans les organes de décision politiques ou économiques (Conseil d'administration) ou dans le networking. 
C’est un fait patent. A compétences égales avec les hommes, les femmes continuent à se heurter au plafond de verre qui inhibe leur évolution de carrière. A compétences égales, les nominations aux postes de responsabilité concernent rarement les femmes même dans les établissements publics (même aujourd'hui où notre Constitution prône la parité, les nominations de femmes aux postes de responsabilité ne dépassent pas les 14%). Les femmes dans les organes de décisions ne dépassent pas les 7% dans le secteur public et 5% dans le privé.
Afin de dépasser ces aléas, il faudrait, à mon sens, renforcer la discrimination positive au niveau politique, mais aussi économique et imposer un certain nombre de femmes dans les Conseils d'administration publique et privée (administrateurs et administrateurs indépendants) et sanctionner les organisations qui ne se conforment pas à cette règle.
Le jour où le principe de la parité sera effectif, nous n'aurons plus besoin de quotas.
Parallèlement, il est également essentiel d’éliminer les aspects discriminatoires, des politiques, programmes et pratiques économiques et sociales qui peuvent entraver la pleine participation des femmes à la chose publique et privée.
Afin d'améliorer l'employabilité au féminin (25,5%) et encourager la création des entreprises par des femmes, il faudrait favoriser les conditions nécessaires et un environnement propice tenant compte de leurs besoins, à savoir inciter les entreprises à mettre en place des crèches; déduire les charges du personnel de maison, des impôts à payer par les femmes, afin de leur permettre de travailler à l'aise et dans la sérénité; renforcer  la budgétisation sensible au genre dans toutes nos politiques économiques et sociales où les questions du genre sont considérées avec plus de rigueur et de mesure; utiliser la discrimination positive au niveau de l'octroi des marchés publics : on parle de 20 % pour les PME;  lobbyer et réseauter entre femmes davantage afin de mieux se positionner sur l'échiquier économique; développer des réseaux d'influence entre elles à l'instar de ceux des hommes qui fonctionnent le soir au moment où elles s'occupent de leurs enfants et de leurs tâches domestiques et adapter les lois pour garantir les droits des femmes en matière de représentation au niveau des Conseils d'administration

Pensez-vous que la femme marocaine entrepreneure rencontre des obstacles pour être un acteur déterminant pour le développement économique de son pays? Si oui, quels sont vos conseils et attentes pour remédier à la situation?

La femme entrepreneure continue à avoir des difficultés pour accéder  au financement sans garanties qu'elle ne possède pas en général. La pertinence du projet ou le capital immatériel (diplôme, compétences, idées...) sont rarement pris en considération par les banques pour octroyer des fonds d'amorçage ou de développement des entreprises. Malheureusement, l’essentiel du financement des entreprises féminines est constitué par l’autofinancement, l’épargne personnelle et l’aide familiale, fonds qui ne permettent pas une accélération des "outcomes " de l'activité. La femme entrepreneure n'a pas toujours la formation et l'information nécessaires pour être compétitive.
Elle a souvent des difficultés à accéder au marché, car elle ne sait pas toujours utiliser les mêmes armes de networking et de lobbying que les hommes. Les mesures pour la lutte contre toutes  les formes de discrimination à l'égard des femmes ne sont pas toujours appliquées.
Les femmes continuent à subir l'effet négatif des stéréotypes  et de la  pensée archaïque qui n'ont rien à voir avec nos traditions et notre religion, et qui sont imposés par les conservateurs et les machistes.
Les hommes font la loi par rapport aux nominations et aux avancements de carrière car dans les jurys et les comités de sélection, très peu de femmes siègent.
Dépasser ces obstacles évoqués pourrait offrir davantage de possibilités de croissance durable aux entreprises dirigées par des femmes.
Plusieurs études ont prouvé qu'il y'a une grande corrélation entre la présence des femmes dans la gouvernance et la performance des entreprises.
La Banque mondiale parle de 25 % d'augmentation de la performance quand les barrières discriminatoires sont levées.
Afin de pallier à la situation, il faudrait, à mon sens, mettre en place des outils de veille, de suivi et d’anticipation pour permettre un accompagnement efficace de la femme entrepreneure; réaliser des études de recherche-action sur la situation de la femme entrepreneure dans chaque secteur et sous-secteur économique, en mettant en valeur les bonnes pratiques; lancer des campagnes actives de sensibilisation et d’information sur l’entrepreneuriat féminin, ainsi que sur les mécanismes d’appui aux PME, destinées notamment aux lauréates des grandes écoles (c'est ce que nous faisons au sein de notre association).
Dans la foulée, il s’agirait également de favoriser le rapprochement entre les organisations de femmes entrepreneures et les universités pour, entre autres, introduire des modules sur l’entrepreneuriat ainsi que sur le "genre"; promouvoir une image équilibrée du rôle des femmes dans les médias, dont celui des femmes entrepreneures, et ainsi contribuer à lutter contre les barrières sexistes et discriminatoires qui existent à l’égard des femmes; lancer un prix annuel de la meilleure femme entrepreneure nationale; renforcer les politiques sociales avec des services d’accompagnement qui permettent aux femmes de combiner vies professionnelle et personnelle; sensibiliser et former les femmes sur les opportunités offertes par de nouveaux créneaux, tels que l’économie verte, les énergies renouvelables, les services sociaux, …; développer l’utilisation "des Technologies de l’information et de la communication " (TIC) pour accroître l’accès des femmes à l’information et la formation, ainsi que pour leur faciliter la commercialisation de leurs produits; multiplier les mécanismes d’appuis financiers aux femmes entrepreneures (fonds féminins, banques de financement pour les PME, guichets uniques, fonds de garantie, lignes de crédits, capital-risque, business angle féminin...)
Pourquoi pas également de créer des services intégrés de proximité et d’accompagnement à l’attention des femmes, en particulier celles des milieux rural et périurbain, à travers la mise en place de réseaux d’encadrement (administratif, fiscal, technologique, commercial) et de structures sociales d’accueil d’enfants en bas âge (garderies, crèches....) et d’appuyer les organisations de femmes entrepreneures telle que la nôtre, afin qu’elles puissent jouer le rôle d’interface entre les pouvoirs publics et les femmes entrepreneures.
Pour finir, il est prouvé aujourd'hui, qu’investir dans les femmes est l’un des moyens les plus efficaces d’accroître l’égalité et de promouvoir la croissance économique inclusive et durable. 
Les investissements réalisés dans les programmes spécifiques aux femmes peuvent avoir d’importantes répercussions sur le développement, puisque les femmes consacrent généralement une plus grande part de leurs revenus à la santé, à l’éducation et au bien-être de leurs familles et de leurs communautés que les hommes.


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