La thalassémie, une maladie héréditaire très mal connue


Dr Anwar CHERKAOUI
Samedi 6 Mars 2010

La thalassémie, maladie héréditaire du sang, est une pathologie de l’hémoglobine disséminée à travers tout le Maroc et dont la forme la plus répandue est la Béta-thalassémie. Le nombre exact des malades n'est pas connu en raison de l'absence de données épidémiologiques et d'un registre national de cette maladie. Il a été estimé dans une enquête à 3500 cas en 2007.
D'après l'OMS, il y a 5% de porteurs sains au Maroc, ce qui supposerait qu’il y ait 30.000 cas d’hémoglobinopathies majeures, et donc un problème de santé publique. C’est ce qui ressort d’un récent travail scientifique publié par Pr. Mohammed Khattab, chef du service d’hématologie oncologie pédiatrique à l’hôpital des enfants du CHU Ibn Sina de Rabat. Un dépistage réalisé en 2005 sur 1000 naissances dans 3 maternités, Rabat-Souissi, Larache et Tétouan a donné un taux allant de 3 à 9% de porteurs de la maladie. Le service d’hématologie et oncologie pédiatrique du CHU Ibn Sina est le seul service au Maroc qui assure un suivi régulier et programmé des patients atteints de thalassémie depuis 1990.
Selon les statistiques du Pr. Khattab, le nombre de malades atteints de thalassémie majeure et qui sont enregistrés dans le service est 197 dont seul 75 sont suivis actuellement et régulièrement. Le nombre de nouveaux patients par an est de 15 à 20 durant les 5 dernières années. Pour le sexe des malades, ils sont 114 garçons pour 83 filles. La répartition des malades par âge montre que 36 sont âgés de moins d’un an, 76 entre 2 et 5 ans, 50 entre 6 et 9 ans et 35 sont âgés de plus de 10 ans. L’étude du statut socio-économique de ces malades montre  que 146 patients sont indigents, 31 patients ont la CNOPS, 7 patients avec assurance privée et 13 sont des patients payants.
L’étude réalisée par l’équipe du Pr. Khattab donne des indications sur les lieux et la nature d’habitats des patients. 89 sont du milieu rural et 108 du milieu urbain selon la répartition géographique suivante. Rabat-Salé : 81, Gharb : 37, Tanger- Tétouan : 34, Taza : 9, Fès-Boulmane : 7, Abda-Doukkala : 7, Chaouia-Ouardigha : 7, Meknès : 6, Oriental : 4, Casablanca : 3, Marrakech : 1 et Tadla-Azilal : 1.
Cette première étude partielle sur la thalassémie au Maroc montre que 95% des malades reçoivent leur traitement sous forme de transfusion sanguine régulière mais que seulement 10 à 15% des malades sont sous chélation du fer. Pr. Khattab précise que les modalités de prise en charge dans le service se font selon des consultations hebdomadaires personnalisées et par groupes, tous les jeudis avec des conseils et des groupes de parole. Et afin d’apporter un soutien à ces patients,  l’Association marocaine de thalassémie et des maladies de l'hémoglobine pour le soutien des familles a été créée en 2002 et essaye d’œuvrer pour informer les malades, les parents et leurs proches de la maladie, faire connaître la maladie au grand public par les médias, organise des manifestations notamment lors de la journée mondiale de la thalassémie (8 mai) et enfin elle travaille pour défendre les intérêts des malades auprès des hôpitaux et du Ministère de tutelle.
Cette association est membre votant de la Fédération internationale de thalassémie et elle un des acteurs principaux du programme thalassémie Maroc 2007-2011 en partenariat des clubs Rotary de Rabat et de Génova en Italie.  C’est quoi donc la thalassémie? C’est une maladie héréditaire de transmission récessive. Les enfants atteints de cette maladie naissent de parents en bonne santé et sans aucun signe physique de la thalassémie. Ces derniers sont appelés des porteurs sains. La thalassémie majeure est la forme la plus grave et mortelle en l'absence de traitement. Il s'agit d'un déficit de la production de l'hémoglobine normale adulte. Or cette hémoglobine est le constituant essentiel du globule rouge qui transporte l'oxygène des poumons vers tous les tissus et organes assurant ainsi leur fonctionnement. Il résulte de ce déficit une anémie chronique sévère entraînant des déformations faciales ("faciès mongoloïde"), un nanisme, un gros ventre, à cause d'un gros foie et d'une volumineuse rate). En l'absence totale d'un traitement spécifique, le décès survient en général avant l'âge de 8 ans. Le traitement de base est donc la transfusion sanguine de concentrés de globules rouges Cet acte est mensuel et à vie. Les conséquences dramatiques de la maladie elle-même, destruction continue des globules rouges mal formés et les transfusions sanguines mensuelles sont la surcharge de l'organisme en fer. L'excès de ce métal va se déposer au niveau de la peau, le foie, les glandes endocrines, le cœur …etc. Ce phénomène appelé hémochromatose va se manifester par une coloration noire de la peau, un nanisme, un diabète, une insuffisance cardiaque. Et enfin le décès avant l'âge de 20 ans. La seule possibilité thérapeutique d'éliminer l'excès mortel de ce fer à plus ou moins brève échéance est de donner au patient un chélateur du fer. Au total, sans la transfusion sanguine, le thalassémique meurt avant l’âge de 8 ans et sans chélation du fer, le décès survient en général entre 18 et 20 ans. Les chélateurs du fer actuellement disponibles dans le monde et au Maroc sont soit des médicaments sous forme d’ampoules injectables en perfusion sous-cutanée à raison de 10 heures par nuit. Le coût de ce traitement varie de 3000 à 10000 DH par mois selon l'âge. Soit des médicaments sous forme comprimés en 3 prises quotidiennes ou une forme plus récente mais très coûteuse des comprimés solubles en 1 prise unique. Pour qu'elle soit efficace, la chélation du fer doit être quotidienne et à vie. Ainsi, le traitement conventionnel de la thalassémie est institué à vie et repose sur la transfusion sanguine mensuelle et la chélation du fer. Avec ce mode thérapeutique, la survie est longue et quasi-identique aux non malades.
L'autre alternative thérapeutique repose sur l'allogreffe de moelle osseuse qui reste le seul traitement curatif à ce jour. Il consiste à injecter des cellules souches à partir d'un donneur HLA identique, en général un frère ou une sœur.  Par ailleurs, qui dit maladie génétique transmissible, dit possibilité de dépistage et prévention. Ainsi, la prévention demeure l'axe le plus important. Il s'agit de dépister dans la population les porteurs sains et de les informer du risque de leur mariage: avoir des enfants thalassémiques. Les pays qui ont adopté cette politique ont pratiquement éradiqué celle maladie handicapante et redoutable. Ils ont institué les tests avant le mariage, la naissance ou avant la conception. Ainsi, si la mère et le père sont des porteurs sains, ils peuvent donner naissance à une forme majeure grave (Risque 25%), ou une forme mineure asymptomatique (risque 50%) ou des enfants sains (probabilité 25%). Donc pour être malade, l'enfant doit hériter 1 gène anormal du père et 1 gène également anormal de la mère. L'héritage d'un seul gène déficient n'entraîne pas la maladie. La consanguinité, quel que soit son degré, augmente le risque de transmission de cette maladie.
En résumé, la thalassémie est une maladie mortelle en l'absence d'une prise en charge très coûteuse et à vie de la forme majeure: transfusion sanguine mensuelle; prise d'un médicament chélateur tous les jours; bilans biologiques et radiologiques de surveillance périodiques et assistance psycho-sociale. Par ailleurs, il est indispensable d’assurer une prévention de la naissance de nouveaux thalassémiques par le dépistage des porteurs sains parmi la population et leur information des risques du mariage entre les porteurs sains.  Qu’en est-il des statistiques et de l’état épidémiologique de la thalassémie au Maroc?  


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