La prospérité de l’Afrique passe par l’Afrique


Par Daniel Knowles Economiste analyste pour Fee.org Article publié en collaboration avec Libre Afrique
Lundi 23 Avril 2018

Lorsque les pays africains sont évoqués dans la politique occidentale, c’est toujours à propos de l’aide et du commerce. En septembre 2016, Barack Obama a organisé à New York un forum destiné à promouvoir le commerce entre l’Amérique et l’Afrique. « Du Sénégal à l’Afrique du Sud, les Africains insistent sur le fait qu’ils ne veulent pas seulement de l’aide, ils veulent du commerce », a déclaré l’ancien président. En octobre 2016, la nouvelle secrétaire britannique du DFID, Priti Patel, a évoqué l’utilisation du budget d’aide de la Grande-Bretagne pour promouvoir les accords commerciaux post-Brexit. L’idée est que l’aide crée une dépendance, alors que le commerce crée des gains durables. C’est vrai mais encore faut-il définir quel genre de commerce!

Quel genre de commerce 
en Afrique ?
Le problème de l’Afrique n’est pas qu’elle n’échange pas assez avec le monde mais c’est plutôt que les échanges commerciaux intra africains sont trop faibles. La géographie économique de l’Afrique est encore très semblable à ce qu’elle était à l’époque coloniale: la richesse est concentrée dans des villes portuaires telles que Lagos ou Dar Es-Salaam. Les matières premières issues de ces pays sont exportées vers l’extérieur, vers l’Europe, ou, de plus en plus, vers l’Asie. L’arrière-pays rural - et les pays enclavés - restent désespérément pauvres.

Agonie de l’intégration 
africaine
Selon les chiffres de l’ONU, seulement un dixième des exportations des pays africains va vers le reste du continent. Le chiffre équivalent pour l’Union européenne est de 60%. En 2014, le Nigeria, deuxième économie du continent, importait davantage des Pays-Bas que du reste de l’Afrique. Il exportait plus vers la Suède que vers son voisin, le Cameroun. Le marché unique européen prévoit des règles unifiées, ce qui signifie que les entreprises n’ont qu’à adhérer à un ensemble de règles communes pour vendre à 500 millions de clients fortunés. En Amérique du Nord, par exemple, le NAFTA a créé un marché similaire pour les entreprises américaines, mexicaines et canadiennes. L’Afrique n’est cependant pas un grand marché intégré. Il y a 54 marchés minuscules, divisés par les contrôles aux frontières, les infrastructures médiocres, et pire encore, les différents systèmes de corruption et de favoritisme. Pour de nombreux pays africains, vendre en Europe ou en Amérique est plus facile que de vendre à leurs voisins.

La malédiction du pétrole
Malheureusement, ce genre de commerce porte principalement sur les ressources naturelles. Le Nigeria, par exemple, exporte principalement une chose, et une seule chose: le pétrole. Les emplois créés sont pour la plupart destinés aux expatriés, tandis que les devises étrangères profitent fortement aux super-riches qui les utilisent pour importer du luxe. Dans les années 1970, avant que le pétrole ne coule, le Nigeria avait une industrie textile florissante et était un exportateur agricole notable. Maintenant, il importe à la fois des vêtements et de la nourriture. Avec le prix du pétrole actuellement à la moitié de ce qu’il était en 2014, au Nigeria, les devises se font rares et le Naira est en chute libre !
Et le Nigeria n’est pas le seul à en souffrir. Tout un ensemble de producteurs de pétrole et de minerais en Afrique occidentale et centrale - de l’énorme Angola au minuscule Gabon - sont en déclin. Selon la Banque mondiale, en 2016, à cause de la chute des prix des produits de base, la croissance du PIB en Afrique subsaharienne est tombée à seulement 1,6%. C’est le taux le plus bas depuis le milieu des années 1990, quand une grande partie de l’Afrique était embourbée dans la guerre. Il est également inférieur au taux de croissance démographique, ce qui signifie que les Africains pourraient redevenir pauvres si la tendance se poursuit.

La force des pays pauvres sans matières premières
Finalement, les pays africains qui se portent le mieux sont ceux qui ne vendent pas de ressources naturelles. Le Kenya, malgré une corruption rampante, continue de croître rapidement, en partie grâce à la baisse des coûts d’importation du pétrole ; tout comme la Tanzanie et le Rwanda (bien que tous deux dépendent fortement de l’aide). Dans ces pays, sur papier beaucoup plus pauvres que leurs homologues maudits, les gens s’enrichissent visiblement: ils achètent des panneaux solaires, des motos et des smartphones. Selon le World Factbook de la CIA, bien que le PIB par habitant du Kenya soit la moitié de celui du Nigeria, son taux de pauvreté est inférieur de 25 points de pourcentage. Ce n’est certainement pas une coïncidence si ce sont aussi les économies les plus intégrées. Les plus grandes exportations du Kenya sont les fleurs coupées, le café et le thé, qui vont encore principalement vers l’Europe. Mais la croissance la plus rapide a été enregistrée dans les exportations vers le reste de l’Afrique, qui représentent maintenant 45% du total. C’est en partie grâce au travail de la Communauté de l’Afrique de l’Est qui, depuis 2010, s’oriente vers un véritable marché unique à l’intérieur de ses frontières. Mais les agences d’aide occidentales ont aussi aidé en finançant des groupes tels que Trademark East Africa qui identifient les goulots d’étranglement et essayent de les desserrer.
Le problème est qu’en dehors de l’Afrique de l’Est, nombre de ministres des Finances africains n’ont d’autre stratégie que d’attendre une nouvelle augmentation du prix des matières premières. Le gouvernement du Nigeria a tout essayé au cours de l’année écoulée pour éviter d’admettre que le pétrole n’a plus la même valeur sur la scène internationale: interdictions d’importations ; contrôles de devises ; règles bancaires bizarres. En revanche, il n’a rien fait qui puisse stimuler ses perspectives à long terme. Si les prix du pétrole remontent, l’économie reprendra certes de la vigueur et les importations recommenceront à flotter, comme dans une douzaine d’autres pays. Mais si l’Afrique veut une croissance réelle, ses économies doivent commencer à travailler davantage ensemble et se diversifier.
 


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