La mauvaise propagande idéologique d’Abdelilah Benkirane


Par Siham Mengad *
Mercredi 9 Juillet 2014

La mauvaise propagande idéologique d’Abdelilah Benkirane
Lors de son intervention mensuelle à la Chambre des conseillers, le mardi 17 juin, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a affirmé « que les femmes qui travaillent ne trouvent plus le temps pour se consacrer à leurs enfants et à leur famille ». Benkirane ne s’est pas arrêté en si bon chemin et a expliqué qu’il faut « sacraliser les femmes au foyer au lieu de les voir d’une manière condescendante. C’est notre point de vue au PJD (Parti de justice et de développement), si nous avons tort, nous assumons notre erreur », a-t-il conclu.
Benkirane regrette ce qui lui semble être un âge d’or de la famille marocaine, où la femme était, d’après lui, un « astre lumineux » dévoué exclusivement à servir et entretenir son ménage. En se prononçant de la sorte, le chef du gouvernement marocain a fait l’apologie du retour des femmes aux foyers. Pire, il les a chosifiées en les comparants à des lustres.
Avec un tel discours conservateur, Benkirane présente une vision idéalisée des femmes heureuses dans leurs foyers, qui attendent benoîtement le retour des enfants de l’école et des maris après une longue journée de labeur pour leur servir un dîner préparé avec amour et affection.
En effet, l’histoire de la famille marocaine est faite de domination masculine, de violence et surtout de dépendance économique et juridique à l’égard des hommes. Le divorce était perçu comme une honte et une femme devait subir humiliation et brimades pour ne pas vivre la disgrâce d’une répudiation. Le travail de la femme est venu justement la libérer et l’affranchir de cette dépendance qui la réduisait au rang d’être subalterne. C’est grâce à l’accès à l’éducation et à l’emploi que les femmes marocaines se sont affirmées dans leur contexte.
Par son discours, le chef du gouvernement s’oppose à  l’égalité entre femmes et hommes et contredit le contenu clair de l’article 19 de la Constitution. Il touche  aux conventions internationales ratifiées par le Maroc, y compris la CEDAW appelant à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et en particulier l’article n°11 qui considère le droit au travail comme « droit inaliénable de tous les êtres humains » et invite à «encourager la fourniture des services sociaux d’appui nécessaires pour permettre aux parents de combiner les obligations familiales avec les responsabilités professionnelles et la participation à la vie publique, en particulier en favorisant l’établissement et le développement d’un réseau de garderies d’enfants ».
Dans une autre mesure, les propos de Monsieur Benkirane vont à l’encontre de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L’article insiste sur l’égalité des rémunérations et des conditions de travail entre femmes et hommes, et considère surtout que le droit au travail est un acquis inaliénable des deux sexes.
En tant que chef de gouvernement, les déclarations de Monsieur Benkirane ne doivent en aucun cas relever d’un esprit partisan. Ses actes et ses paroles doivent obligatoirement êtres conformes à la constitution. Celle-ci dans son article 19,  prévoit que la femme jouisse, sur un pied d’égalité avec l’homme, de tous les droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social et environnemental, et insiste, dès son préambule, sur l’interdiction et la lutte contre toute forme de discrimination en raison du sexe, race, confession, culture, appartenance sociale ou régionale, langue, handicap ou toute autre situation personnelle. La constitution prévoit en outre la création d’une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination qui sera chargée du suivi et de l’évaluation des politiques publiques visant l’égalité du genre dans les domaines politique, économique et social.
Rappelons aussi que les femmes rurales en particulier n’ont jamais été des femmes au foyer, s’échinant dans le travail agricole, pastoral et autre quand elles ne sont pas engagées comme employées de maison. Dans son rapport « Prospective Maroc 2030 »,  le haut commissariat au plan,  (organisme publique) indique que la proportion des femmes qui dirigent un ménage atteint dans les villes 22,5% et au milieu rural : 10,3% (et ce pourcentage peut-être expliqué par le fait que leur travail champêtre et autre n’est pas reconnu).
Pour ce qui est du prix à payer pour ce rôle, les femmes sont souvent les premières victimes des licenciements et du chômage, elles acceptent des travaux refusés par la plupart des hommes de leur entourage (pères, frères, maris, beaux-pères, etc.),  qu’elles se retrouvent ainsi à devoir entretenir.
Elles peuvent par nécessité cumuler plusieurs petits boulots pour arriver à joindre les deux bouts, sans jamais être déchargées du travail domestique et du rôle d’éducatrices une fois de retour à la maison. Elles n’ont  pas plus la possibilité d’avoir des exigences concernant la nature et les conditions du travail qui se présente sur le marché.
En conséquence, le rôle d’un gouvernement n’est pas de formuler des discours de propagande idéologique, ni d’instrumentaliser le statut des femmes dans une compagne électorale anticipée, mais de garantir le droit au travail dans la dignité, la sécurité et l’égalité des chances et des salaires sur la seule base du mérite. Il doit mettre en place des structures d’aide à la prise en charge des enfants à domicile, dans les crèches, les garderies,  les écoles et sur le lieu de travail.
Les femmes marocaines ont le droit de choisir librement leur rôle au sein de la famille. Etre femme au foyer, qui est un travail à part entière aussi et qui doit être valorisé au sein de la société, ou travailler dehors, ressort finalement de la liberté de la femme marocaine. Personne n’a le droit de leur imposer quoi que ce soit.
Lorsque le chef de gouvernement conclut que les valeurs universelles qui garantissent aux individus leur dignité,  sont des « valeurs étrangères », il doit aussi remettre en cause les notions de démocratie, de séparation des pouvoirs, de règne de la loi et de la Constitution, qui constituent le cadre légal institutionnel du Maroc du troisième millénaire.
 
* Docteur en droit public 
et analyste pour 
www.libreafrique.org 


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