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La femme est-elle … l’avenir du cinéma marocain ?


Par Youssef Ait Hammou *
Samedi 3 Octobre 2009

La femme est-elle … l’avenir du cinéma marocain ?
Le cinéma fête ses 50 ans sous de bons augures. Il est en constante évolution technique, artistique, juridique et thématique et en perpétuelle conquête des cœurs et des box-offices. Il peut se permettre,  aujourd’hui, avec la nouvelle génération de cinéastes de rêver de trophées aussi prestigieux que les Oscars, les Césars, les Palmes d’or, les Ours d’or…Mais, de tels rêves ne sauraient voir le jour sans cette part de féminité qui est constitutive du 7ème art marocain, sans une réelle osmose entre femme et regard cinématographique.
De plus, on ne naît pas femmes ; on le devient ! On le devient grâce/à cause de  l’imaginaire populaire oral (contes, proverbes…), de l’imaginaire savant et médiatique (littérature, musique, peinture, presse…) et de l’imaginaire audiovisuel (cinéma, télévision, DVD, jeux vidéo…). Et, l’imaginaire cinématographique marocain actuel est appelé à s’articuler parfaitement avec la réalité complexe de la situation de la femme au Maroc de la Moudawana.
Etre femme au Maroc d’aujourd’hui, c’est d’abord avoir une image de femme marocaine. Image artistique, médiatique, filmique, télévisuelle…Et il faut le dire sans polémiquer : une image de femme vaut dix mille proverbes.

Une titrologie féminine

Les titres et les affiches de films sont toujours révélateurs du mode de pensée d’une société, d’une culture et d’un artiste. Ils ont une valeur à la fois sémiotique, pragmatique et symbolique.
Les occurrences  des titres de films comportant une référence explicite à la femme sont peu nombreuses, si on considère l’ensemble des titres de films marocains depuis 1958. En effet, sur la longue liste, une trentaine de titres font allusion à des noms (propres ou communs) de femmes. De plus, force est de constater que le nombre de ces occurrences a augmenté de manière remarquable depuis 1990 : entre 1958 et 1990, 6 titres féminins (Hadda, Amina, Lalla Chafia…) ; de 1990 à aujourd’hui, on peut en dénombrer plus de 20.
Cette évolution numérique est, à notre avis, l’indice de la mutation culturelle que vivent le secteur et l’évolution de la mentalité marocaine qui accorde, certes avec une certaine réticence affichée ou sournoise, une nette visibilité à la femme.
Et l’analyse sémiotique des titres de films est riche d’enseignements et d’indicateurs socioculturels. Elle nous apprend que, le nom propre ( Hadda, Jawhara, Lola…) est quantitativement plus  important que le  nom commun (Femmes…femmes, les voisines d’Abou moussa,Deux femmes sur la route…). Ce qui montre que le cinéaste marocain cherche à individualiser, singulariser, concrétiser le thème de la femme traité. Mais, il convient de signaler que les titres avec des noms communs au pluriel ne sont pas en quantité négligeable(Ruses de femmes, Femmes…femmes, les voisines d’Abou Moussa…) et leur anonymat gnomique et général cherche à toucher toutes les femmes marocaines et maghrébines.
Parfois la référence à la femme se réduit à un simple pronom personnelle (Elle est diabétique…). Comble de la réification et du mépris à l’égard de la femme.
Trois  catégories de noms s’opposent et coexistent : les noms de l’Orient (Les beaux jours de Shéhérazade), les noms marocains ordinaires ( Hadda, Bamou, Amina, Lalla Chafia…) et les noms à consonance étrangère, occidentale (Juanita,Lola, Nancy…). Trois types de noms qui révèlent admirablement la mosaïque interculturelle marocaine et le statut de carrefours des culturels qu’est le Maroc.
La coexistence entre nom féminin et nom masculin sur le titre est très rare ( Ali, Rabiaa et les autres, les voisines d’Abou Moussa, A la recherche du mari de ma femme, Yasmine et les hommes…). A croire que le cinéma est le lieu du divorce virtuel entre l’homme et la femme.
Dans une perspective rhétorique, certains titres constituent une métaphore du personnage (Histoire d’une rose) ou une synecdoque du personnage (Tresses, Poupées de roseau…)
Mais, il est regrettable de constater que, contrairement au cinéma mondial, les titres et les scénarii des films marocains éludent un large éventail de noms de femmes et de personnages féminins qui montrent la diversité et la complexité du thème des Marocaines et qui, sans aucun doute, peuvent activer de manière dynamique le secteur de l’image : sont absentes donc les noms de femmes saintes(à l’exception de Lalla Chafia), des femmes savantes et universitaires, des militantes des années de plomb, des femmes de la résistance à l’occupation espagnole et française, des femmes leaders politiques, des femmes historiques, des femmes de la mythologie maghrébine, et surtout de la mère(exception faite de Adieu, mères !)… et la liste est longue. Simple oubli ? Négligence ? Pudeur ? Les 50 prochaines années du cinéma marocain sont appelées à corriger cette erreur (cette faute !) et à célébrer dans l’imaginaire filmique ces fameuses femmes qui ont construit, dans l’anonymat total,  le Maroc d’aujourd’hui.

Les stéréotypes de la laideur

 Seules la psychanalyse et la sociologie peuvent expliquer cette image sombre, monolithique,  dysphorique et dévalorisante que donne le cinéma marocain de la féminité. Images de femmes, dialogues de femmes, situations dramatiques… tout concourt à montrer des clichés dépréciatifs de la femme marocaine, en prolongement d’une certaine  littérature orale et d’une certaine culture savante. A croire qu’il n’existe aucun modèle positif de femme, idéalisée, exemplaire, imitable. Mother India, Mère courage, Rosa Luxembourg, Catwoman…ne sont pas encore marocaines. Et c’est dommage ! Car l’imaginaire n’aime pas le vide : si les images positives des femmes marocaines n’occupent pas l’imaginaire marocain, ce sont les autres femmes des cinématographies étrangères qui le feront.
En effet, depuis 1958, la thématique,  la dramaturgie et même la mise en scène placent la femme marocaine toujours dans des situations dramatiques d’échec, de crise inexcitable, de processus de dégradation, de victime, de conflit avec l’homme et avec la société. Prolongement naturel de l’imaginaire populaire et de la réalité de certaines femmes. Mais pas de  toutes les femmes !Les femmes (Ni putes, ni soumises) qui réussissent avec des prouesses intellectuelles, sportives, sociales, même dans l’imaginaire fantastique sont carrément absentes de la fiction et du documentaire marocains. Et c’est révoltant. C’est indigne d’une nation qui s’inscrit dans la modernité et qui s’est dotée de la Moudawana.
D’ailleurs, dans la plupart des films de notre corpus, on constate avec amertume une réduction abusive de la thématique liée à la femme à deux points majeurs : la substance sexuelle et physique (viol, prostitution, castration, adultère, frustration, sida, laideur…), la violence contre la femme( voile, femmes agressées, femmes répudiées, femmes craintives, femmes victimes…). Les images de la vieille mégère, de la sorcière, de la  femme malade… colonisent nos écrans et nous font croire que la femme marocaine est tout et rien que ça. Mais, la réalité est beaucoup plus complexe  que cela. Et puis, il existe, dans la littérature et dans la culture orale, des modèles de femme positive et valorisée qui peuvent constituer de bonnes sources d’inspiration pour notre jeunesse désorientée, démoralisée, décalée et surtout dont les archétypes féminins sont soit hollywoodiens, soit bollywoodiens, soit égyptiens, soit turcs, soit libanais. Le cinéma de demain est appelé à réhabiliter et à célébrer les mères courages du Maroc, les héroïnes de l’histoire et les modèles de la beauté  marocaine (nos Vénus, nos Aphrodite…). La femme qui conquiert les planètes, qui sauve l’humanité d’un désastre naturel, qui part au secours des damnés de la terre, la femme qui a du cran et de la détermination…la femme universelle. Voilà le rêve de la jeunesse marocaine d’aujourd’hui fortement imprégné de modèles comme celui de Meryl Streep dans la Rivière sauvage ou de Jody Foster dans La chambre forte. L’originalité et la conquête des cœurs et des box-offices est à ce prix-là, à mon avis. Il n’est surtout  pas question de recréer à la marocaine les deux archétypes hollywoodiens de la femme fatale et de la pin up, mais de rendre visibles nos propres archétypes de femmes combattantes et courageuses.
Et, il est déplorable de constater que le traitement des questions de la femme est loin d’atteindre l’universel et le profondément humain. Un grand nombre de films se bornent aux aspects superficiels, anecdotiques ; ils peinent à s’extraire du reportage éphémère pour briguer une portée gnomique, universelle.
On peut déplorer également le regard masculin, pour ne pas dire machiste et patriarcal,  qui parcourt encore sournoisement les films écrits et réalisés par des cinéastes femmes du Maroc. L’écran est encore le lieu des projections masculines. Et le travelling  ne s’est pas encore imprégné de la mixité et de la parité.
Toutefois, certains films tels que Les yeux secs, L’enfant endormi… sont investis d’un caractère subversif, dérangeant qui révèle une mutation du regard féminin sur la condition de la femme et sur la société marocaines!

La caméra au féminin marocain

Il y a si peu,  les génériques affichaient des noms de femmes comme simples actrices ; aujourd’hui, la femme est aussi bien devant qui derrière la caméra. Et ce sont de nouvelles responsabilités éthiques et artistiques que doivent se conjuguer au féminin aussi.
Corrélativement à la mutation des titres, des thèmes et des dramaturgies, on assiste à l’émergence de cadres féminins qui président à l’énonciation cinématographique (production, distribution, exploitation, administration) et qui est en nette et constante évolution depuis un peu plus de 30 ans. Une génération de jeunes femmes cinéastes (Belyazid, Nejjar, Kessari, Marrakchi, Bourquia…) font une percée fulgurante dans un secteur naguère propriété privée de la gente masculine. Et ce n’est pas seulement au niveau de la réalisation que les cadres se féminisent, c’est aussi dans les secteurs du montage, du scénario, du cadrage, des effets spéciaux, du maquillage, de la production, de la distribution , de l’exploitation, de l’administration…Qu’on compare les génériques des films des années 70 et ceux des années 2009 et l’on s’estimera heureux de constater que la femme n’est pas seulement actrice, elle est aussi derrière la caméra et dans les postes de décision où il faut faire des choix artistiques, politiques et culturels.
Aujourd’hui, le public, la critique, les festivals et les professionnels attendent beaucoup de ces femmes cinéastes et vidéastes qui viennent bousculer et dépoussiérer le secteur des images et des sons. La question actuelle est de savoir si la caméra au féminin va aboutir forcément à une modification du regard sur la femme. La réponse n’est pas facile.
En effet,  le nouveau regard féminin ne se contente pas de dénoncer la condition de la femme marocaine, il va plus loin : il apporte un point de vue subversif tant sur le plan des thèmes (aspects intimes de la psychologie intérieure de la femme, critique du malaise social) que sur celui de l’esthétique de la mise en scène (construction du plan, plastique du montage, diversification des genres et des tons…) que sur celui de l’idéologie ( la femme est une personne, refus des schémas hollywoodiens de la féminité (femme idiote,  garce, romantique).
Au Maroc, trois regards féminins sont en concurrence dans le paysage audiovisuel (cinéma, télévision, court métrage, documentaire) : le regard de la sage (F. Belyazid, Izza Genini, F. Bourquia), le regard de la rebelle ( N. Nejjar), le regard de l’impertinente ( L. Marrakchi),le regard de la soumise (Y. Kessari).
Le cinéma marocain, qui reste en quête de son identité propre pour mieux s’intégrer dans la mondialisation, a besoin du regard dérangeant et incisif des femmes. Il a besoin de découvrir de nouveaux espaces et de nouvelles vibrations intimes pour mieux dépasser et neutraliser les vieux clichés accumulés sur la femme par les différents modes de récit. Le regard féminin doit nécessairement constituer l’antithèse du regard des hommes pour aboutir, au fond du problème : parler de l’être marocain. Le renouveau du cinéma marocain passe par ce regard typiquement féminin. Mais, cela ne nous empêche nullement de poser une question archéologique de taille : quand a débuté le cinéma féminin marocain ? Quand va-t-on fêter son cinquantenaire ? Quelle est la doyenne des cinéastes marocaines ?

Le temps des spectatrices

Faire des films, pour qui ? Pour quoi faire ?
Malgré la mutation des mœurs, l’évolution des mentalités, les salles de cinéma, notamment les salles populaires, restent, encore en 2009, exclusivement réservées aux hommes. La présence des femmes est encore un événement rare.
Toutefois, il importe de remarquer que, comparativement aux années 70, les jeunes filles (particulièrement les élèves,) et les  femmes accompagnées  constituent une population en nette progression dans les salles dites « respectables ».
C’est que la fréquentation des salles de cinéma est encore de l’ordre de « Hchouma » et obéit aux conditions matérielles des spectatrices (autonomie financière, proximité de la salle, sécurité…) et intellectuelles (alphabétisation…). Dans notre imaginaire, le cinéma n’est  et ne peut être qu’un lieu de divertissement. L’idée de salles comme espaces culturels est quasiment absente dans les préjugés des Marocains. En conséquence, l’imaginaire populaire formule un verdict sévère: seules les filles à la moralité douteuse fréquentent les salles de cinéma. Comment changer les mentalités ? Comment faire en sorte que le cinéma soit aussi un espace mixte ? A notre avis, la solution se trouve forcément du côté de l’éducation et de l’école. Il faut une réelle pédagogie pour que les femmes investissent elles aussi les salles de cinéma. De la pédagogie, mais aussi de bons films qui traitent réellement les problèmes de la femme marocaine contemporaine. En attendant, les femmes restent parmi les plus grands consommateurs de DVD, de télé satellite !
 
Que conclure ?

On ne naît pas femme cinéaste ; on le devient . L’enjeu actuel du cinéma marocain est fortement lié à la formation et à l’éducation : former une nouvelle génération de femmes cinéastes capables de répercuter les souffrances et les espoirs de la femme et de la société marocaines.
L’avenir du cinéma marocain ne peut en aucun cas être radieux, glorieux sans le regard féminin. L’histoire des cinématographies occidentales et orientales l’ont prouvé : la sensibilité féminine contribue positivement à la création d’un nouveau cinéma, inédit et compétitif.
De plus,il convient d’insister sur l’idée selon laquelle on ne peut corriger les stéréotypes négatifs galvaudés par le cinéma (national, étranger, colonial) à l’égard de la femme marocaine qu’au moyen d’un cinéma féminin exigeant, honnête et vigilant . Car, en effet, le propre du cinéma est de poser des questions, de nuancer les réponses et de faire des œuvres pérennes. Mais, pour que cet optimisme soit payant, la maîtrise des outils artistiques et surtout des mécanismes de la narration doit être parfaite. Il y a quelques années, le cinéma marocain était borgne (œil masculin) ; aujourd’hui, il est en train de retrouver sa vue normale (regard mixte). Et c’est par la dialectique des regards croisés (femme/homme) et interculturels (endogène/exogène) que le cinéma marocain de demain relèvera les défis et les enjeux qui l’attendent.

* Université Cadi Ayyad-Marrakech


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