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La corruption tentaculaire à l'origine de la colère populaire au Liban


Samedi 29 Février 2020

Plus de 5.000 fonctionnaires embauchés illégalement, en période électorale et malgré un gel des recrutements. C'est là une des affaires illustrant cette corruption endémique au Liban, contre laquelle les manifestants ont aussi battu le pavé.
Les autorités se disent déterminées à lutter contre la corruption, et le parquet annonce régulièrement l'ouverture de nouvelles enquêtes. Mais experts et contestataires mobilisés depuis le 17 octobre contre l'ensemble de la classe politique, restent dubitatifs.
Comment espérer le changement d'une classe politique profitant directement d'un système gangréné par le clientélisme, les conflits d'intérêts et les pots-de-vin? Ainsi, malgré un gel des recrutements dans la fonction publique adopté en août 2017, plus de 5.000 contractuels ont été embauchés dans des circonstances obscures en 2018, reconnaît une source à l'Inspection centrale, l'autorité surveillant le fonctionnement de l'administration.
La période coïncide avec les législatives de mai 2018.
"Ce sont des achats de voix", estime Assaad Thebian, directeur de l'ONG anti-corruption Gherbal initiative. "Quand tu fournis un emploi à quelqu'un, tu achètes sa loyauté et celle de ses proches."
En décembre l'ONG Transparency international indiquait que, selon un de leur sondage, près d'un Libanais sur deux s'était vu offrir un pot-de-vin en échange d'un vote.
Evoquant des centaines d'embauches similaires à la compagnie de téléphonie publique en 2017 et 2018, des télévisions ont pointé du doigt les principaux partis du pays: le Courant du futur, le Courant patriotique libre (CPL), fondé par le président Michel Aoun, ou encore les deux puissants partis chiites, le Hezbollah et Amal.
"On ne peut pas analyser, c'est pas notre mission. Mais logiquement, c'est une question politique, ça ne peut pas être autre chose", reconnaît le parlementaire Ibrahim Kenaan, le chef de la commission des Finances, qui s'est penché sur le dossier des 5.000 fonctionnaires et l'a envoyé à la Cour des comptes.
"C'était une période électorale, certains ont peut-être eu recours à la facilité de satisfaire les gens avec des emplois", suggère M. Kenaan, sans exclure l'existence d'"une culture, l'habitude, le fait que personne ne demande des comptes".
Sa famille politique, le CPL et ses responsables, sont conspués par les manifestants pour leur bilan au pouvoir.
"Maintenant, on réclame des comptes, en tout cas on essaie", se défend-il. Des projets de loi pour lutter contre la corruption sont à l'étude au Parlement, avec des mesures contre l'enrichissement illégal ou pour récupérer les fonds publics détournés.
Mais pour M. Thebian, il y a "une absence de volonté politique pour mener toute réforme".
"Il est surprenant qu'un Etat qui dit vouloir lutter contre la corruption n'ait pas licencié un seul fonctionnaire, jugé un seul ministre ou député".
Certains politiciens ont des intérêts directs dans le monde des affaires, notamment le secteur bancaire. Avec parfois d'anciens ministres ou leurs proches qui siègent aux conseils d'administration.
C'est le cas notamment du clan de l'ex-Premier ministre Saad Hariri, parmi d'autres.
Un flagrant "conflit d'intérêts", estime l'économiste Jad Chaaban. Le Liban est un des pays les plus endettés au monde, et cette dette est principalement détenue par les banques, rémunérées par des taux d'intérêt très élevés.
"Il est impensable qu'un ministre ou un député agisse contre les intérêts d'une institution dont il est actionnaire", ajoute-t-il.
Les experts évoquent aussi des attributions douteuses de marchés publics. Les cahiers des charges sont rédigés de telle sorte qu'ils "limitent la concurrence" avec des conditions "remplies par une seule entreprise", confirme une seconde source à l'Inspection centrale, dénonçant des "ingérences" de l'exécutif.
Les administrations chargées des grands travaux, le Conseil de développement et de reconstruction, ou le Conseil du Sud, sont également soupçonnés d'opacité et de favoritisme.
C'est là où s'effectue "le partage du gâteau" entre différentes tendances politiques, affirme Jad Tabet, à la tête de l'Ordre des ingénieurs.
Cela se fait "à travers l'attribution de gros marchés de construction ou d'infrastructures à des entrepreneurs liés à ces différentes tendances politiques".
D'après Transparency international, le Liban se classe 137e sur 180 pays à l'indice de perception de la corruption.
Cette corruption, les Libanais la vivent quotidiennement, pots-de-vin et pistons étant souvent nécessaires pour immatriculer une voiture ou enregistrer une propriété. Elle est aussi visible dans le paysage, la côte étant envahie par les constructions illégales.
L'Eden Bay, hôtel de luxe construit en bord de mer à Beyrouth, est au coeur d'une polémique depuis des années.
 Sur demande du président, M. Tabet dit avoir compilé en 2017 un rapport détaillant huit infractions ayant permis au constructeur Achour Holding de "doubler" sa superficie constructible.
Achour Holding, du nom de l'homme d'affaires Wissam Achour, est accusé d'avoir empiété sur le domaine public maritime et d'avoir présenté des plans topographiques erronés.
Des accusations balayées par son avocat, qui souligne la légalité du projet.
"Il n'y a pas un seul appareil étatique, judiciaire, de contrôle, sécuritaire, qui ne se soit pas penché sur le dossier Eden Bay pour l'examiner dans tous ses détails", affirme Bahij Abou Mjahed.
Une plainte déposée par des environnementalistes est toujours devant le Conseil d'Etat, qui avait suspendu la construction de l'hôtel en 2017 avant d'autoriser la reprise des travaux. L'établissement a été inauguré en 2018.
"Malgré les pressions (...) ce monsieur a réussi à s'en sortir", résume M. Tabet, en référence à l'homme d'affaires. "Il semble qu'il a des connexions un peu partout."


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