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La Turquie, un refuge de moins en moins sûr pour les Ouïghours


Libé
Jeudi 11 Mars 2021

Après avoir croupi pendant 20 ans dans une prison chinoise, Abdullah Abdulrahman a trouvé refuge en Turquie, longtemps un havre pour des dizaines de milliers d'Ouïghours, une minorité musulmane persécutée en Chine. Mais alors qu'Ankara est dépendant des investissements de Pékin et du vaccin chinois contre le nouveau coronavirus, ce réfugié âgé de 46 ans redoute d'être renvoyé en Chine, pays accusé d'avoir interné plus d'un million d'Ouïghours. "Nous ne sommes plus en sécurité ici", regrette M. Abdulrahman, qui participe depuis deux mois à des manifestations quotidiennes devant le consulat chinois à Istanbul. "Si la Turquieme renvoie (en Chine), les Chinois ne me laisseront pas en vie", ajoute-t-il. "Nous avons peur d'être expulsés". Ces craintes ont été renforcées depuis la ratification en décembre par le Parlement chinois d'un accord d'extradition avec la Turquie datant de 2017.

Les députés turcs ne se sont pas exprimés sur ce texte, mais les Ouïghours vivant à Istanbul dénoncent un climat de plus en plus hostile qui a poussé plusieurs milliers d'entre eux à plier bagage pour aller en Occident. Emprisonné en Chine dans les années 1990 pour avoir pris part à des manifestations contre le régime, M. Abdurrahman a rejoint la Turquie en 2014. AIstanbul, il a trouvé paix et sécurité au sein de la diaspora ouïghoure, qui partage avec la population turque des racines culturelles et linguistiques. Mais le répit a été de courte durée: depuis 2018, sa vie est de nouveau plongée dans l'incertitude. Arrêté par des policiers turcs le soupçonnant d'"activités terroristes", ce dont l'accusent les autorités chinoises, il a été enfermé pendant un an dans un centre de rétention pour migrants dans l'ouest de la Turquie. Malgré son acquittement par un tribunal turc, M. Abdurrahman s'est vu refuser le renouvellement de son permis de résidence, indispensable pour se faire soigner, utiliser les transports en commun ou ouvrir un compte en banque. "Beaucoup se retrouvent sans papiers comme moi, à cause des pressions de la Chine", ditil. "Nous avons fui la Chine et placé nos espoirs dans la Turquie. Si la Turquie nous expulse, personne ne nous protégera, sauf Allah", ajoute-t-il.

Le chef de la diplomatie turque MevlütCavusoglu a bien tenté de rassurer les réfugiés en affirmant qu'une ratification du traité d'extradition par Ankara ne signifierait pas "que la Turquie va renvoyer les Ouïghours en Chine". Mais Ankara est déjà accusé d'expulser des Ouïghours de façon détournée, en les envoyant vers des pays tiers, comme le Tadjikistan, d'où ils sont ensuite emmenés en Chine.

Le président Recep Tayyip Erdogan, qui était autrefois l'un des seuls dirigeants à dénoncer le traitement des musulmans par Pékin, allant jusqu'à l'accuser en 2009 de "génocide", est aujourd'hui muet sur cette question. Son silence contraste avec l'indignation publiquement exprimée par des pays occidentaux, alors que la situation des Ouïghours est de plus en plus documentée. Après l'avoir initialement niée, la Chine a fini par admettre l'existence des camps au Xinjiang, les présentant comme des "centres de formation professionnelle".

Pour SeyitTumturk, militant indépendantiste ouïghour, la Chine utilise le levier des vaccins contre le coronavirus --le seul disponible en Turquie à ce jour-- et l'érosion des relations entre Ankara et l'Occident pour "élargir son influence". Selon lui, quelque 3.000 Ouïghours ont quitté la Turquie depuis 2019, redoutant une dégradation de leur situation dans ce pays.

Obul Tevekkul, un agent immobilier dans le district stambouliote de Sefakoy, où vivent de nombreux Ouïghours, a l'impression que sa communauté est devenue un "instrument politique". Il se dit "déçu par ces accords commerciaux et politiques (sur le vaccin et l'extradition) avec la Chine". Malgré tout, Semsinur Gafur, âgée de 48 ans, espère encore que M. Erdogan endossera le rôle de défenseur des musulmans opprimés qu'il affecte tant. Les larmes aux yeux, elle évoque le coup d'éclat du président turc qui, en 2009, avait accusé Israël de "tuer des enfants palestiniens" lors du forum de Davos. "One minute!" ("uneminute"),s'était exclamé M.Erdogan alors que le modérateur voulait le couper. Mme Gafur éclate en sanglots. "Tout ce que nous voulons, c'est que le président turc dise +One minute!+ à la Chine".


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