La Cour béninoise de répression des infractions économiques et du terrorisme menacerait-elle l’Etat de droit ?


Par Ariel Gbaguidi
Mercredi 12 Décembre 2018

La création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) suscite moult critiques au Bénin. Plusieurs professionnels du droit estiment que la loi portant création de la CRIET désorganise la structure de l’appareil judiciaire national, et les principes basiques d’un procès pénal sont violés avec sa mise en œuvre. Des accusations que l’Exécutif béninois tente de rejeter. La loi sur la CRIET menace-t-elle vraiment l’Etat de droit au Bénin ?

Chasse aux opposants politiques

Selon le Garde des Sceaux, Sévérin Quenum, la CRIET n’est pas une «juridiction inspirée par des considérations politiques». Elle a pour mission de lutter contre cinq fléaux : corruption, enrichissement illicite, trafic de stupéfiants, blanchiment des capitaux et terrorisme. «Dans un contexte de réformes où nous devons faire en sorte d’attirer les investissements, nous avons l’obligation d’apporter les solutions qu’il faut, contre ces fléaux…», a-t-il justifié. Cependant, plusieurs faits prouvent le contraire. En fait, la CRIET est érigée comme une justice superpuissante prête à neutraliser toute voix opposée à celle du chef de l’Etat, et empêcher toute concurrence politique afin de lui permettre de facilement renouveler son mandat, s’il le souhaite. Tout laisse penser que les autorités sont en train d’affaiblir l’Etat de droit et in fine la démocratie. Pour la première fois au Bénin, sous l’impulsion de l’Exécutif, quatre députés de l’opposition à l’instar de Valentin Djènontin, ont vu leur immunité parlementaire levée par leurs collègues pro-gouvernementaux pour malversation dans le secteur du coton. Le dossier est vide selon le rapport parlementaire, pourtant leurs immunités ont été levées aux motifs qu’ils doivent laver leur honneur devant la justice. Le député Valentin Djènontin était ministre au moment des faits qui lui sont reprochés. Mais le pouvoir en place souhaite qu’il soit jugé par la CRIET au mépris de la procédure instituée par la Constitution. Jusque-là, aucun proche du chef de l’Etat, impliqué dans ce même dossier, n’a encore été inquiété. Pourtant, des documents montrent que certaines décisions ayant concouru à la mauvaise gestion du secteur du coton, ont été prises par Pascal Koupaki, actuel n°2 du palais de la république, ministre et collègue de Valentin Djènontin à l’époque. Ces faits, entre autres, montrent que le pouvoir actuel nourrit l’ambition de museler tout type d’opposition.

La CRIET totalement inféodée

Les grincements de dents au sujet de cette Cour sont nés le jour même du vote de la loi à l’Assemblée nationale puisque cette adoption a eu lieu nuitamment en séance plénière par une vingtaine de députés sur les 83 que compte le Parlement. Le vote en-soi ne pose pas problème car il s’agissait de la poursuite d’une séance plénière suspendue puis rouverte, et dont le quorum était atteint dès le début. L’absence des autres députés ne pouvait donc pas bloquer la poursuite de la séance. En revanche, l’heure tardive du vote ressemblait à une marche forcée vers la CRIET. Evidemment, cela a accentué les soupçons sur les réelles intentions de cette loi.
Ensuite, s’ouvre le bal des violations de la loi par le gouvernement lui-même et de son immixtion dans le fonctionnement de la CRIET. A titre d’exemple, l’article 13 de la loi stipule que les magistrats de la Chambre des libertés et de la détention sont nommés par le président de la Cour. Mais contre toute attente, ils ont été nommés (au même moment que le président de la Cour) par décret du Conseil des ministres le 25 juillet 2018. Des spécialistes en droit et des acteurs de la société civile estiment que la loi portant création de la CRIET porte atteinte à l’ordonnancement judiciaire du pays et aux principes fondamentaux d’un procès pénal. Ils pensent que la loi morcèle la justice et sème une confusion totale au sujet de la place de la CRIET ainsi que son rôle dans le système judiciaire. Ceci, parce qu’elle prive les juridictions de droit commun de parties entières de leurs attributions alors qu’elles sont bel et bien qualifiées et compétentes pour accomplir les tâches conférées à la CRIET.
D’autres atteintes sont liées au droit à un tribunal indépendant et impartial, au droit à un recours en appel, au principe d’équilibre des droits des parties, de l’égalité des armes entre les parties et au principe du contradictoire. Prenons à titre d’exemple le cas du dossier dit ‘‘trafic de 18 kg de cocaïne’’ dont le principal accusé était Sébastien Ajavon, homme d’affaires et opposant politique n°1 du pouvoir actuel. Il avait été innocenté par le tribunal de Cotonou en novembre 2016, et l’Etat béninois n’avait pas interjeté appel. Malheureusement pour lui, le dossier a été rouvert par la CRIET, fraîchement installée. Sébastien Ajavon a finalement été condamné à 20 ans de prison ferme. A chaque fin d’audience, ses avocats criaient au scandale en conférence de presse vu qu’ils ont été tous muselés sauf leurs confrères de l’Etat béninois. Pire, l’accès au dossier pénal leur a été interdit, car le président de la Chambre des libertés réclamait la présence physique du prévenu, en violation flagrante du code de procédure pénal béninois. Il est clair que cette Cour ne reconnaît ni les droits du prévenu ni les libertés individuelles. Le danger ici, c’est que tout citoyen, qu’il soit opposant politique ou non, n’est plus en mesure de se prononcer contre la gestion du chef de l’Etat, au risque de subir des représailles. Détention arbitraire, verdict démesuré, mandat d’arrêt international, bâillonnement de la défense risquent d’être au menu.
En définitif, la CRIET menace sérieusement l’indépendance et l’impartialité de la justice béninoise. Les conditions de sa création, les violations et immixtions du gouvernement, sa capacité à désorganiser la structure de l’appareil judiciaire et à violer les principes de base d’un procès pénal, ne peuvent que nuire à l’Etat de droit, socle incontournable de la démocratie et de la prospérité économique.

 * Géographe – environnementaliste
et journaliste béninois
Articles publiés en collaboration
avec www.libreafrioque.org


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