La Colombie dispose d'une solution de rechange à la guerre contre la drogue


Libé
Samedi 23 Décembre 2023

La Colombie dispose d'une solution de rechange à la guerre contre la drogue
Lorsqu’en août 2022 le premier gouvernement de gauche est parvenu au pouvoir en Colombie, beaucoup ont espéré voir changer radicalement la stratégie du pays en matière de lutte contre les stupéfiants. Le président Gustavo Petro avait promis, lors de la campagne électorale, de renoncer à l’éradication de la coca, premier ingrédient de la cocaïne, et dans un discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, tenue peu après son entrée en fonctions, il avait invité les pays d’Amérique latine à joindre leurs forces pour une autre politique que celle de la « guerre irrationnelle contre la drogue ».

Selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies sur les drogues et le crime, l’offre et la consommation de cocaïne dans le monde connaissent une croissance rapide et prolongée, avec un marché mondial de 22 millions de consommateurs. La Colombie, premier producteur de cocaïne, a un rôle essentiel à jouer pour déterminer l’avenir de cette industrie illicite en pleine expansion.

Mais la nouvelle politique sur dix ans de lutte contre les stupéfiants, lancée début octobre, demeure probablement trop timide pour les partisans de la réforme. Malgré les vœux exprimés par ceux-ci de voir la Colombie prendre la tête d’un débat international sur l’échec de la guerre contre la drogue, la nouvelle stratégie du gouvernement colombien s’inscrit toujours dans une cadre prohibitionniste. Surtout, elle ne tente pas de réguler le marché de la cocaïne, alors qu’un programme pilote aurait pu permettre au pays de faire l’expérience d’une légalisation.

La nouvelle politique s’attache à réduire les cultures de coca, certes sans recours à la force ni à la criminalisation des cultivateurs. Ainsi n’envisage-t-on pas de recourir aux fumigations aériennes de glyphosate, pratique interdite en 2015, avec laquelle l’ancien président, Iván Duque Márquez, avait tenté de renouer en 2019. Aujourd’hui, le gouvernement vise au contraire à la mise en place d’un programme de développement rural associé à un remplacement graduel des cultures avec l’aide des finances publiques, dans les régions où est cultivée la coca. Le programme de substitution, qui a largement échoué, mis en place dans le cadre de l’accord de paix de 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) implique en revanche l’éradication immédiate.

Du côté de la demande, le gouvernement poursuivra la mise en œuvre des mesures de réduction des dommages associés à la consommation, en accordant une attention particulière aux groupes vulnérables comme les détenus. On peut s’étonner de l’importance nouvelle donnée à la prévention de l’usage illicite des opioïdes et à la réduction des risques associés – peut-être cette politique a-t-elle subi l’influence de celle que mènent les Etats-Unis, alors que l’usage d’opioïdes n’est pas particulièrement répandu en Colombie. L’addiction au crack, en revanche, pourtant plus commune, notamment chez les sans-abri, ne fait pas l’objet d’une attention particulière.

Cela dit, cette politique comprend aussi des volets progressistes qui prennent mieux en compte les besoins des communautés rurales les plus touchées par le trafic de stupéfiants et traduisent le processus de consultation inclusive avec les cocaleros (les cultivateurs de coca) et les producteurs de cannabis, ainsi qu’avec les ONG et les scientifiques, qui soutient, notamment, la légalisation de l’usage du cannabis chez les adultes. La création d’un marché régulé nécessite toutefois l’approbation du Congrès colombien.

La nouvelle approche promeut, point particulièrement significatif, la légalisation des usages non psychoactifs de la feuille de coca, que les communautés indigènes de l’Amazone et des Andes considèrent depuis longtemps comme sacrée.

Le ministre de la Justice a récemment présenté un projet de loi qui régulariserait les usages médicaux, scientifiques, industriels et pour la recherche des semences, de la culture et des plantations de pavot, de cannabis et de coca.

Le marché pour d’autres usages de la coca est mieux établi en Bolivie et au Pérou, car les populations indigènes y sont beaucoup plus importantes. En outre, la feuille de coca pourrait apporter des bénéfices dans les domaines de l’alimentation, de l’agriculture et de la médecine, raison pour laquelle la nouvelle politique tente aussi d’éliminer les freins à la recherche scientifique sur la plante.

Enfin, cette politique pourrait contribuer aux objectifs environnementaux puisque 49% des plants de coca sont situés dans des zones de conservation stratégique.
Il ne sera pourtant pas facile de mettre en œuvre ces réformes. La nouvelle stratégie en matière de stupéfiants n’a pas de plan d’action et ne dispose pour l’instant ni d’un budget défini ni d’outils de contrôle et d’évaluation de son efficacité.

Son succès dépend en outre de la capacité à mobiliser les ressources financières suffisantes et à améliorer la coordination entre les agences publiques – deux considérables points de blocage par le passé. Faute d’engagements contraignants, cette politique pourrait être dénoncée si un parti de droite revenait au pouvoir à la faveur des élections de 2026.

Afin d’institutionnaliser sa stratégie et d’atteindre ses objectifs, l’administration Petro aura besoin de s’assurer du soutien des législateurs, tout comme du maintien d’une forte relation avec les Etats-Unis et l’Europe. Heureusement, la nouvelle approche globale adoptée par la Colombie correspond largement à la stratégie de lutte contre les stupéfiants privilégiée par l’administration Biden et ne devrait probablement pas provoquer de tensions bilatérales, d’autant moins qu’elle comprend des mesures contre le blanchiment d’argent et d’autres instruments de rétorsion contre le crime organisé.

Il est néanmoins tout aussi important que la Colombie s’allie avec les autres pays d’Amérique latine pour répondre aux difficultés structurelles qui alimentent le trafic de cocaïne dans la région.

En tant que premier producteur mondial de cocaïne, la Colombie aurait des arguments à faire valoir en faveur d’une réforme de la politique mondiale de lutte contre les stupéfiants. La nouvelle approche envisagée par le pays, qui s’appuie plus sur le développement rural que sur la répression, représente un pas en avant.

Mais pour obtenir de meilleurs résultats, le gouvernement doit remplir ses promesses, notamment celle d’une régulation des marchés du cannabis et de la feuille de coca. Il y faudra de la détermination politique et un dévouement inébranlable à la cause de cette ambitieuse réforme.

Par María Alejandra Vélez
Professeur au Département d'économie de l'Université de Los Andes à Bogotá.


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