L'écrivain marocain d'expression française Mustapha Kharmoudi : “Si on ne sait pas d'où on vient, on ne peut pas savoir où l'on va”


Interview réalisée à Paris par Montassir SAKHI
Mercredi 30 Novembre 2011

L'écrivain marocain d'expression française Mustapha Kharmoudi  : “Si on ne sait pas d'où on vient, on ne peut pas savoir où l'on va”
«Les sauterelles
viennent quelquefois, les sécheresses souvent, les pachas toujours». C'est par cet ancien
proverbe marocain que Mustapha Kharmoudi commence son nouveau roman historique «Maroc : Voyage dans les royaumes perdus».
A Paris, devant un public composé
principalement de
militants marocains en France, il a présenté son œuvre qui mérite une véritable promotion auprès de  la jeunesse marocaine. Par un style fluide et éprouvé, cet originaire de Ben Ahmed (près de Casablanca) a plongé dans le 18ème siècle. Voyageant entre les villes et les tribus, ses héros se sont engagés à rapporter une histoire plus proche de la réalité que celle présentée par les historiographes. Son roman historique nous fait voyager dans le temps avec un suspens à couper le souffle.
Entretien.


Libé: Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre?

M.K: Le Maroc est l'un de mes principaux centres d'intérêt, sinon le premier. J'ai déjà publié deux romans qui évoquent le Maroc contemporain : « une petite vie marocaine », sur les années de plomb, « Ô Besançon, une jeunesse 70 » sur la vie estudiantine des Marocains en France dans les années 70.  J'ai aussi publié un recueil de nouvelles, « La saison des figues », sur le Maroc rural des années 50-60. Mais je n'osais pas remonter dans le temps.
C'est par hasard qu'un ami m'a fait lire un témoignage d'un voyageur européen. C’était le déclic. Alors j'ai plongé dans la lecture de tout ce que cet ami me procurait sur l'histoire du Maroc entre le 16è et le 19è siècles. D'un côté, j'ai été subjugué par la beauté de la nature du Maroc; c'était une nature verdoyante où l'eau coulait de partout. Mais de l'autre, c'était l'enfer : à chaque succession, les princes se faisaient la guerre et saignaient le petit peuple et continuaient à le mépriser  en devenant sultans…

Pourquoi avez-vous choisi le 18ème siècle?

C'est simple, j'ai eu plus de documents sur cette époque. J'aurais aimé choisir le règne du Sultan Moulay Ismaël, car son règne m'a choqué plus que ceux des autres. De tout ce que j'ai pu lire, ce sultan était sans aucun doute le plus violent des sultans du Maroc, du moins des Alaouites. Imaginez qu'il a passé tout son règne à brimer et à asservir nos tribus à la tête d'une armée étrangère faite de 100.000 esclaves.  C'est dire qu'il avait si peu confiance en les siens, et réciproquement.
Mais la fin du 18è s'est avérée fructifiante pour moi. C'est une époque charnière, entre les guerres interminables des successeurs de Moulay Ismaël, et la période qui aboutira à la colonisation. J'ai choisi la fin de règne (interminable) du sultan Mohamed Ben Abdallah. Là je disposais de bons ingrédients romanesques : l'impatience des princes au pied du trône et donc les guerres qui s'ensuivront, mais aussi la présence des nations chrétiennes  qui ont toujours louvoyé les richesses du Maroc.

Considérez-vous que l'enseignement de l'Histoire à travers les manuels scolaires actuels attente à la vérité ? Devrait-on réécrire l'Histoire du Maroc ?

Je ne sais pas si l'enseignement de l'Histoire a changé au Maroc, mais l'enseignement de mon enfance et de ma jeunesse était une honte. Tout était à la gloire des sultans, et leur succession était presque dans l'ordre divin. Rien sur le peuple, rien sur les tribus dépouillées par les sultans et leurs hommes. Un très ancien proverbe paysan dit : « Les sauterelles viennent quelquefois, les sécheresses souvent, les pachas toujours ». Cela dit, ce roman n'est une œuvre d'historien, c'est juste une petite histoire pour donner envie au Marocains de connaître leur histoire, sans complaisance. C'est à la jeunesse marocaine d'aller plus loin. Surtout que les nouveaux médias lui permettent aujourd'hui d'accéder à plus d'informations. Je pense en particulier à la Bibliothèque nationale de France qui a numérisé pas mal de documents concernant le Maroc ancien. Une mine à ciel ouvert puisque le téléchargement est légal et gratuit. Il suffit de varier les écritures des principaux mots clés : Maroc, Fez, Marrakech, Tanger, etc.

Quel rôle pourrait jouer l'Histoire dans la construction d'un avenir de démocratie et de  citoyenneté au Maroc ?

C'est simple : si on ne sait pas d'où l’on vient, on ne peut pas savoir où l'on va. Pendant des siècles, les sultans et les historiens officiels ont essayé de gommer des aspects importants et visibles du Maroc : notre origine berbère par exemple. Mais cela a été contre-performant. Certes ils ont réussi à traumatiser des générations entières, mais ces générations ont cessé de croire en eux. D'où le blocage actuel.
Cela dit, j'ai confiance en la jeunesse d'aujourd'hui : elle est en train de briser des murs qu'on lui avait présentés comme autant de tabous. C'est la bonne direction. Et la connaissance de l'Histoire y contribuera.

Quelles sont les données historiques qui vous ont marqué lors de votre recherche sur l'histoire des villes marocaines?

Encore une fois, je ne me suis pas attaqué à l'Histoire du Maroc en tant qu'historien, mais uniquement avec le regard d'un romancier. Mais je trouve dommage que certains éléments historiques ont été gommés, ou en tout cas pas enseignés en tant que tels.
Je vous livre à la hâte quelques exemples:
- Idriss 1er est mort avant le début de la construction de la ville de Fez, alors que son héritier n'était pas encore né. Qui a donc assuré le suivi de la construction de cette merveilleuse cité ? L'histoire enseignée dit-elle que c'était l'esclave et régent Al Rachid ?
- J'ai découvert avec stupéfaction l'histoire de la ville de Salé, dont on ne m'avait soufflé mot durant toute ma scolarité. Le fait-on aujourd'hui ? Jugez-en vous-même. Il y a eu une république au Maroc, et pas uniquement celle du Rif (dont on ne nous disait rien non plus !). La petite cité de Salé avait été par le passé, et pour une longue période indépendante du Maroc. On l'appelait la République de Salé. On dit aussi (est-ce pour la dénigrer ?) République des pirates. Quoi qu'il en soit, Salé était un État, avec toutes les prérogatives d'un Etat de l'époque. Cette République signait de vrais traités avec les puissances chrétiennes, au même titre que l'État (ou Etats) du Maroc. C'était dans un passé proche, jusqu'aux temps des Alaouites.  Ce qui m'a étonné dans cette expérience, c'est surtout la forme démocratique de son organisation, notamment des élections libres pour désigner le chef d'Etat, alors que les princes et les sultans n'entendaient rien à la démocratie.
- Dernier exemple : dans ma région natale il y avait eu par le passé un royaume très spécial : les Boughouatas. On dit qu'ils avaient résisté aux Arabes et aux musulmans pendant quatre siècles. Qu'on imagine l'exploit : l'Espagne était déjà islamisée depuis quatre siècles et ma région restait réfractaire à toute invasion musulmane. Depuis je me suis renseigné d'un peu plus près. On dispose de très peu d'éléments sur eux, mais tout de même, il y a de quoi nous questionner : où sont passés les quarante villes dont nous ont parlé les anciens historiens ? Où sont les documents les concernant? Fait-on vraiment des recherches archéologiques pour sortir de terre leurs traces, et depuis quand ?
Ce sont là des pistes que j'ai découvertes en glanant des informations çà ou là. Au cours de mes recherches, on m'a dit que des universitaires s'intéressent aujourd'hui à ces questions. Je les félicite, mais je les féliciterai vraiment quand leurs travaux auront intégré l'enseignement de l'Histoire destiné aux petits Marocains.


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1.Posté par voyage au maroc le 08/12/2011 15:14
Je suis vraiment heureux de lire cet article, votre blog m’intéresse beaucoup, votre sujet est tres bien.

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