L’Iran et le monde arabe


Par Abdelkarim Nougaoui
Mardi 13 Janvier 2015

L’Iran et le monde arabe
D’après les experts en matière de stratégie de la région et selon même les déclarations de ses constituants, l’axe de la résistance se définit comme la partie qui représente la résistance face à Israël et refuse tout accord ou négociation de paix avec ce dernier. C’est bien l’axe Téhéran-Bagdad-Damas-Hezbollah libanais-Bande de Gaza du Hamas, dont les attributions vont jusqu’à accorder le rôle du cerveau pensant à Téhéran, le corps à la Syrie, les mains au Hezbollah et les pieds au Hamas. Le rôle de l’Irak n’est pas défini jusqu’à présent et ne le sera qu’après l’avoir expurgé de tous les obstacles que pourrait constituer le camp sunnite. Ce sont surtout les richesses énergétiques de ce pays que cet axe souhaite s’approprier en vue de les utiliser dans un processus d’élargissement stratégique de cet axe vers d’autres pays de la région. Les deux pays les mieux placés pour être victimes de cet élargissement sont le Yémen à travers les Houtistes et le Bahreïn à travers le courant de la contestation chiite prédominant. Ces visées iraniennes sont au cœur de la guerre civile en Syrie, de la mainmise du Hezbollah sur l’Etat et la société libanaise, de la soumission des institutions et de la société yéménite à la volonté des milices houtistes et les affrontements par occasion du Hamas avec Israël.

Le conflit syrien
Du côté syrien, les constituants de l’axe de la résistance, alliés du régime de Bachar El-Assad ont l’audace de fréquemment présenter la révolution syrienne comme de nature confessionnelle, les sunnites étant alors considérés comme les responsables d’un conflit par lequel ils chercheraient à s’approprier le pouvoir contre la minorité dirigeante alaouite (12% de la population) notamment. En dépit de réelles persécutions religieuses ponctuelles, le caractère religieux de ce conflit venu dans la foulée de ce qui est appelé depuis Printemps arabe, est vraisemblablement minoritaire face à une véritable rébellion contre un pouvoir oppressant et corrompu.
Tout a commencé le jour du 13 mars 2011 lorsque 15 écoliers sont arrêtés pour avoir tagué des slogans issus de la révolution égyptienne de 2011 et transférés à Damas. Quelques jours plus tard, environ 150 personnes, pour la plupart des militants des droits de l’Homme ont manifesté près du ministère de l’Intérieur à Damas pour demander la libération des détenus politiques. La contestation s’est vite amplifiée et à la fin du mois de mars, le mouvement s’est étendu dans plusieurs grandes villes du pays jusqu’à atteindre Damas la capitale. Au 5 avril 2011, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme avait recensé déjà plus d’une centaine de personnes tuées et le 8 avril, on a compté au moins une trentaine de nouveaux morts à Deraa.
A ces manifestants pacifistes se sont joints très rapidement des groupes armés. Ainsi, le 11 avril 2011, 10 militaires, dont des officiers, sont tués sur la route de Banias. Parallèlement, les combattants islamistes de tout bord (proches des Frères musulmans, d’Al-Qaïda, et des mouvements radicaux) s’activent dès le début des manifestations. Ainsi, dès le mois de mai 2011, un certain nombre de Saoudiens ont rejoint la Syrie et se sont engagés dans ce qui deviendra la brigade Ahrar Al-Sham.
L’ampleur des répressions s’est aussi intensifiée surtout dans la ville rebelle de Deraa, foyer de la contestation contre le gouvernement en Syrie et situé près de la frontière jordanienne où les forces de sécurité ouvrent le feu sur des milliers de personnes. Dans cette même cité martyre complètement coupée du reste du pays, l’eau, l’électricité, la nourriture et les médicaments ont connu un manque suite au blocus exercé par les forces du régime.
Au mois de février 2012, le bilan de la répression en Syrie est réévalué à plus de 7.500 morts civils. Lynn Pascoe, secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des affaires politiques annonce que « des informations crédibles font état d’un bilan désormais souvent supérieur à cent civils tués par jour, dont de nombreuses femmes et des enfants ». Des dates qui sont restées gravées dans la mémoire de l’opinion publique internationale; des massacres par centaines sont perpétrés par l’armée syrienne. Il s’agit du massacre de Houla du mois de mai 2012, du massacre d’Al-Koubeir du mois de juin et celui de Treimsa de juillet de la même année.
Du côté rebelle, le groupe extrémiste le plus redoutable sur le terrain est la branche locale d’Al-Qaïda qui a pris le nom de front Al-Nosra. Des opérations spectaculaires lui sont imputées, en particulier l’attaque de la ville chrétienne de Maaloula par un grand nombre de ses combattants. La ville tombe entre leurs mains le 9 septembre et ils saccagent alors les églises, occupent les monastères, tuent au moins 20 civils et en enlèvent 15 autres. Des chrétiens ont été pris en otages alors que d’autres habitants ont pris la fuite. De tels actes montrent le nouveau tournant de caractère confessionnel qu’a pris ce mouvement rebelle, comme conséquence de la répression sanguinaire du régime.
En août, l’ONU qualifie juridiquement le conflit syrien de guerre civile, ce qui amplifie les qualifications de crimes contre la population susceptibles d’être reprochés aux cadres principaux du gouvernement qui les ordonnent. Elle impute aussi à la rébellion des cas de torture et d’extorsion de fonds à l’égard de civils, l’exécution sommaire de soldats gouvernementaux et de miliciens, l’enrôlement de jeunes garçons mineurs et le harcèlement des communautés chiite, alaouite et chrétienne. A partir de là, la confrontation n’est plus une révolte pour la démocratie, mais l’enlisement vers plus d’obscurantisme. C’est tout à fait naturel, quand la sous-traitance de la situation est délaissée à la bonne volonté des pays du Golfe (Qatar-Arabie Saoudite) et à la Turquie pour organiser, financer, intervenir, traiter et fournir les moyens et l’encadrement aux rebelles.
En novembre 2013, alors que les combats font rage sur le terrain, sept importants groupes islamistes issus de la rébellion annoncent leur volonté de fusionner, dans l’objectif de bâtir un Etat islamique. C’est un appel clair à l’intervention chiite dans le conflit, en particulier les forces du Hezbollah libanais.
Les combattants de la rébellion ont connu une dispersion voire des contradictions sur le projet à tenir pour la future Syrie. Le front Al-Nosra proche d’Al-Qaïda n’a rien à voir avec l’EI en Irak et au Levant qui a annoncé le rétablissement du califat et l’émir est bien Abou-Bakr Al-Baghdadi, Ahrar Acham, l’Armée Libre de Syrie, le front islamique, etc. L’armée gouvernementale profite ainsi des divisions entre les rebelles, dont plus de 60% sont maintenant des islamistes de divers mouvements. Dans tout ce conflit, le soutien apporté au gouvernement par l’Iran ne faiblit pas, tandis que celui que les Occidentaux apportent aux rebelles se fait de plus en plus prudent.
Au début du mois de juin, le groupe de l’Etat islamique en Irak et au Levant lance une importante offensive en Irak qui lui permet de s’emparer d’une large partie du nord et de l’est du pays pour des raisons liées à la répression menée par les milices chiites contre la minorité sunnite commanditée des fois même par le régime d’Al-Maliki. Ce groupe prend alors une nouvelle importance et ses effectifs augmentent sensiblement en Irak comme en Syrie.

Rôles du Hezbollah
libanais

Devant la menace qui pèse sur l’avenir des chiites en Syrie, au Liban et en Irak, le Hezbollah, comme milice libanaise chiite pro-iranienne, ne va pas rester les bras croisés à observer le conflit s’approcher de lui sans intervenir. Rappelons à ce sujet qu’il s’agit d’une milice à laquelle Damas assure jusqu’à l’heure actuelle un important soutien logistique dans sa lutte contre Israël. Son intervention aux côtés des forces syriennes a été soulevée à plusieurs reprises par l’opposition syrienne, en l’accusant d’envoyer des combattants en soutien aux forces gouvernementales, ce qui a été démenti par le président Bachar El-Assad dans un premier temps. Mais la confirmation la plus tangible est venue des agences de presse internationales qui assignent au Hezbollah de jouer un «rôle central» dans la répression, sans que ces affirmations soient vérifiables dans un premier temps.
Comment est-il venu à l’existence en tant que parti? C’est un parti qui s’est métamorphosé entre deux chartes : celle de 1985 et celle de 2009. En 1985, c’est la révélation de son existence par la publication de son manifeste fondateur. Il est estimé qu’à partir de cette année, les groupes le composant ont fusionné en une organisation unifiée. Sa plate-forme a juré fidélité à l’Ayatollah Khomeiny, exhorte la mise en place d’un régime islamique, et a appelé à la destruction de l’Etat d’Israël.
Actuellement, ce parti est sur la liste officielle des organisations terroristes de la plupart des pays occidentaux ainsi que les pays du Golfe. A vrai dire, il jouissait d’une certaine popularité dans le monde arabo-musulman du fait de ses actions au Liban-Sud contre l’armée israélienne et ses attaques contre le territoire israélien. Depuis son intervention dans le conflit interne syrien à côté de l’armée loyaliste, il est contesté ainsi que son chef Hassan Nassrallah dans un monde arabe à majorité sunnite. Sa doctrine s’inspire d’un principe cher à l’Iran : Wilayat Al-Fakih, c’est-à-dire la primauté du théologien sur la communauté comme partout ailleurs dans le monde arabe. L’ONU ne classe pas le Hezbollah dans sa liste des organisations terroristes mais elle appelle clairement à son désarmement.
Sur le plan militaire, le Hezbollah a une branche armée financée, entraîné et armée par l’Iran. Pendant la guerre de 2006 contre Israël, le nombre de fusées et projectiles fournis par l’Iran a été estimé à 12.000 unités. Selon des sources officielles d’information, plus de 10.000 membres de cette branche ont suivi une formation en Iran, qui comprend toutes sortes d’actions, le tir des missiles et d’artillerie, l’utilisation des drones, la guerre maritime ainsi que toutes les opérations de guerre conventionnelle. Des experts occidentaux estiment que cette branche armée est devenue une véritable armée conventionnelle et confessionnelle d’une grande réserve de jeunes chiites formés dans ses camps ainsi que d’un important arsenal militaire.
Après le retrait israélien du Sud-Liban en 2000, un vaste réseau de tunnels a été construit pour l’acheminement et l’approvisionnement en armements sophistiqués. Ces infrastructures et matériels militaires ont visiblement eu de l’effet quant à la victoire militaire obtenue face à Israël pendant la guerre de 2006. Même après cette confrontation, l’Iran n’a pas cessé de fournir des moyens de plus en plus sophistiqués qui sont acheminés via la frontière syrienne dans cette région. Le nombre de fusées et roquettes accumulées dans les villages chiites du sud proche de la frontière avec Israël, serait, selon des experts, de l’ordre de 40.000, ces derniers temps. Cela montre à quel point est l’engagement du Hezbollah dans le conflit syrien, sachant bien que si le régime syrien tombe, les répercussions sur ce dernier sont bien évidentes, non seulement pour son approvisionnement en armes, en passages d’hommes et d’argent, mais aussi sur le plan politique car il ne bénéficierait d’aucun autre soutien des pays limitrophes.
La filiation du Hezbollah à l’Iran est historique, son idéologie se base sur celle développée par Khomeiny, le fondateur de la République islamique iranienne. Après sa mort, la majorité des membres du Hezbollah reconnaissent le nouveau guide A. Khamenei non seulement comme guide mais aussi comme référence (marjiî), même si une petite minorité lui préfère l’autre marjiî d’Irak, Ali Sistani. L’Iran soutient le Hezbollah en moyens financiers et il est son principal donateur, et influence même ses décisions. Dans ce même sens, le guide suprême de la République islamique intervient dans les décisions stratégiques et garde aussi une influence sur ces agences de sécurité et de renseignements. Ce n’est pas un hasard si en janvier 2011, divers médias ont rendu publiques des rumeurs sur une mise en cause de ce guide suprême dans l’assassinat de Rafiq Hariri en 2005.
Même si le Hezbollah se veut un mouvement d’abord nationaliste et marque parfois ses distances avec cette filiation, ses déclarations ne cachent jamais que son mouvement combat Israël pour l’Iran, et non pour la cause palestinienne. C’est le cas d’une déclaration lors du premier anniversaire de la guerre de 2006, où Hassan Nassrallah a affirmé que son organisation avait combattu pour l’Iran, propos qui ont été censurés même par la télévision iranienne, qui les a jugés embarrassants. Ses adversaires politiques libanais ne cessent d’affirmer depuis longtemps, que la loyauté de ce dernier est envers l’Iran et que le Liban et la Palestine ne sont pas sa priorité. Il est à craindre que le mouvement Hamas ne soit entraîné aussi dans la même spirale de servir les intérêts iraniens dans la région.
Sur le plan de politique intérieure, Hezbollah revendique la représentativité de 27,4% parmi les populations chiites libanaises. Concernant les équilibres politiques intérieurs du Liban, le Hezbollah prône l’entente et le dialogue et se prononce pour ‘’un gouvernement d’unité nationale‘’. Le protocole d’entente mutuelle passé avec le parti chrétien de Michel Aoun constitue un démenti et un défi contre toute option de rejet du chrétien en terre d’islam.
Malheureusement, c’est l’option qui a la primauté dans la plupart des courants au sein des mouvements islamistes radicaux, comme le front d’Al-Nosra et ses exactions contre les chrétiens en Syrie et l’EI contre les chrétiens d’Irak. Par cette pratique politique très pragmatique, le Hezbollah se démarque complètement de la barbarie de ces groupes qui sont malheureusement comptés parmi les rangs du camp des sunnites, qui se donnent même le droit de tuer les chrétiens comme mécréants et de s’approprier leurs biens, femmes et enfants selon la vieille tradition du butin.
La position politique du Hezbollah s’est nettement affaiblie en 2005, suite à l’assassinat de R. Hariri. La capture et l’emprisonnement des deux soldats israéliens en 2006 comme piège tendu à Israël, pour intervenir au sud du Liban, a eu comme effet de le positionner comme champion de la résistance arabe contre Israël. Cette légitimité acquise en 2006 va être utilisée contre le gouvernement de Fouad Sanioura, qui refuse que le Hezbollah constitue un Etat dans l’Etat libanais. Ainsi en tant que Premier ministre, il annonce le démantèlement du réseau de communication du Hezbollah et le limogeage du chef de sécurité de Beyrouth. En représailles à cette mesure, les troupes du Hezbollah occupent la grande partie de la capitale en bloquant les grands axes routiers notamment celui de l’aéroport. Les hostilités de ces événements ont fait plus de 80 morts, et c’est à partir de cette date que les Libanais ont compris que le Liban n’appartient plus aux Libanais mais à une milice commandée directement par l’Iran. Le pays vit de crise en crise, car toute la problématique réside dans l’armement du Hezbollah et sans démantèlement de cette armée, la crise libanaise persistera car on ne peut admettre de négociation avec un partenaire qui fait de son arme, un paramètre supplémentaire sur la table des pourparlers. Donc le vrai problème du Liban, ce sont les armes du Hezbollah, qui sont utilisées en dehors du Liban, et en particulier en Syrie et en Irak.
Dans les pays du Golfe, le Hezbollah est qualifié ‘’de milice terroriste’’ par intervention directe aux côtés de l’opposition chiite du Bahreïn. La ministre de l’Information de ce dernier a déclaré qu’un membre important de l’opposition bahreïnienne a rencontré récemment le chef Nassrallah au Liban. Elle a estimé que le Hezbollah interfère dans les affaires de son pays en affichant bien son soutien à la révolte de l’opposition chiite dans ce royaume depuis 2011.
Pour la Syrie, la ligne de la propagande officielle est que ‘’ la Syrie est victime d’un complot ourdi par les Etats-Unis, avec la complicité des pays du Golfe pour servir l’Etat d’Israël’’. Bachar El-Assad est qualifié‘’ de résistant ayant appuyé politiquement, matériellement et moralement le Hezbollah ainsi que le Hamas et le Jihad islamique’’. Selon une des déclarations de Nasrallah ‘’les 4500 missiles et roquettes lancés sur Israël pendant la guerre de 2006 lui ont été livrés par la Syrie que l’Occident veut punir pour cela’’. Ceci nous ouvre la voie sur le sujet épineux de l’intervention cruciale du Hezbollah en Syrie. Il est accusé d’avoir envoyé près de 7000 combattants dans le but de ‘’mater les rebelles sunnites’’. Des unités spéciales de combat sont envoyées à Homs, Qousseir, Rastane et Alep.


* Professeur de physique
à l’Université Mohammed
Ier d’Oujda et membre
du Conseil national du secteur de l’enseignement supérieur de l’USFP.


Demain :
IV- Les tandems Syrie-Hezbollah et Iran-Houtistes



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