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Enjeux profonds
Pour Mohamed Chaoui, spécialiste des politiques publiques, « les mesures sévères annoncées par le ministre de l’Intérieur Laftit, visant à lutter contre l’appropriation illégale des biens collectifs, révèlent des enjeux profonds liés à la gouvernance locale et aux responsabilités des élus ». « En mettant l’accent sur la restitution volontaire des biens ou la contrainte judiciaire, le ministre adresse un message clair de tolérance zéro envers la corruption et les abus, en particulier dans la gestion des ressources publiques au niveau territorial », nous a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « Cette posture stricte traduit une volonté politique de renforcer le contrôle sur les élus et agents locaux, souvent perçus comme les premiers acteurs responsables de la bonne gestion des territoires. Cependant, cette pression accrue peut avoir des effets pervers. Elle risque de générer des tensions, notamment si cette surveillance rigoureuse est perçue comme une forme de défiance ou un contrôle excessif des cadres locaux, limitant leur marge de manœuvre et leur capacité d’initiative. Par ailleurs, la stigmatisation d’une minorité d’élus peu coopératifs souligne une fracture potentielle au sein des collectifs territoriaux, susceptible d’affaiblir la cohésion nécessaire à la mise en œuvre efficace des politiques publiques. Cela soulève la question de la formation, de l’encadrement et du soutien des élus pour qu’ils puissent conjuguer leurs responsabilités avec les exigences croissantes de transparence et de redevabilité ».
Importance d’un partenariat équilibré
« Sur le long terme, ajoute notre interlocuteur, ces mesures pourraient contribuer à assainir la gestion locale et à restaurer la confiance des citoyens dans leurs représentants. Mais pour que cet objectif soit atteint, il est essentiel d’accompagner ces sanctions par des dispositifs d’appui, de dialogue et de participation des élus aux grandes orientations stratégiques, comme le prévoit la nouvelle génération de programmes de développement territorial intégré. En somme, la politique annoncée cherche à bâtir un Etat plus fort et plus respectueux des règles au niveau local, tout en mettant l’accent sur l’importance d’un partenariat équilibré entre l’État central et les élus territoriaux, garants d’une gouvernance démocratique et efficace ».
Effets pervers
En outre, il estime que « les mesures strictes annoncées par le ministre de l’Intérieur auront des répercussions directes sur la relation entre les élus territoriaux et les citoyens. En insistant sur la nécessité de restituer volontairement les biens ou de subir des poursuites judiciaires, le gouvernement cherche à restaurer la confiance publique dans la gestion locale, souvent entachée par des scandales et des accusations de corruption. Cette volonté de transparence et de responsabilité vise à améliorer la perception que les citoyens ont de leurs représentants, ce qui est essentiel dans un contexte de décentralisation où les élus sont au cœur des dynamiques locales ». Et de nuancer : « Cependant, cette démarche peut aussi créer des tensions. D’un côté, les élus intègres peuvent voir en ces mesures un soutien à leurs efforts pour combattre les dérives, renforçant ainsi leur légitimité et leur crédibilité auprès de la population. D’un autre côté, certains élus risquent de se sentir sous pression, voire stigmatisés, ce qui pourrait affecter leur mobilisation ou les pousser à adopter un comportement plus prudent, voire hésitant, dans l’exercice de leurs fonctions. Cette double dynamique, entre responsabilisation et défiance, est délicate à gérer et nécessite un équilibre fin ».
Mohamed Chaoui soutient que pour que ces effets positifs se concrétisent, « il est indispensable que les mesures coercitives s’accompagnent également d’actions de formation, de soutien et de dialogue pour outiller les élus, renforcer leurs capacités et encourager leur coopération avec les autres acteurs territoriaux. La prise en compte des attentes citoyennes, dans le cadre des projets de développement territorial intégré, sera alors un élément clé pour bâtir une gouvernance locale renouvelée, efficace et légitime ».
Débat sans fin
De son côté, Mounir El Hajjaji, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Settat, indique qu’il faut placer l’ensemble des mesures lancées par le ministère de l’Intérieur, dans le débat sur la décentralisation et la déconcentration. Selon lui, « le discours actuel sur le renforcement de la décentralisation au Maroc met en lumière un enjeu majeur: la nécessité d’articuler décentralisation et déconcentration pour garantir une gouvernance efficace ». « En effet, explique-t-il, la décentralisation, qui vise à transférer les compétences aux collectivités territoriales, ne peut pleinement réussir sans une déconcentration parallèle, laquelle assure la présence opérationnelle de l’Etat localement à travers ses agents d’autorité. Ces deux dimensions doivent impérativement avancer de concert ». Et de préciser : « Dans ce cadre, les programmes régionaux doivent s’inscrire dans une logique contractuelle claire avec l’Etat, qui définit une orientation stratégique globale. Cette contractualisation garantit que les projets mis en œuvre au niveau régional s’alignent sur les priorités nationales tout en tenant compte des spécificités locales. Par ailleurs, pour être pleinement efficaces, les initiatives de l’État dans les régions doivent impérativement se coordonner avec les collectivités territoriales. Cette coordination évite la dispersion des efforts et des ressources, qui pourrait sinon fragiliser la mise en œuvre des politiques publiques ».
« Ainsi, un plan de développement intégré, cohérent et durable exige que la décentralisation institutionnelle s’accompagne d’une déconcentration administrative forte. Ce double volet permet non seulement de renforcer la capacité d’action locale, mais aussi d’assurer une meilleure synergie entre les différents niveaux de gouvernance. Le simple développement économique ou social ne suffit pas sans une implication conjuguée de l’Etat et des collectivités territoriales, garantissant un partage clair des rôles, une mobilisation coordonnée des moyens, et une gouvernance plus proche des citoyens », affirme-t-il.
Pour le professeur Mounir El Hajjaji, l’exemple français des contrats de plan Etat–Région (CPER) constitue à cet égard une référence instructive. « Ce modèle repose sur une contractualisation pluriannuelle entre l’Etat et les régions, définissant des engagements financiers, des objectifs stratégiques et des mécanismes d’évaluation partagée. Adapté au contexte marocain, un dispositif similaire — par exemple un contrat-programme Migration–Développement associant l’État, les régions et les communes— pourrait permettre de clarifier les responsabilités et les engagements de chaque acteur; d’assurer une planification budgétaire stable; de réduire la dispersion des initiatives et d’aligner les projets internationaux sur les priorités nationales et territoriales », précise-t-il. Et de conclure : « Un tel mécanisme favoriserait une véritable cohérence des politiques publiques, renforcerait la capacité des régions à porter des actions structurantes, et réduirait la dépendance actuelle aux projets conçus de manière externe et souvent déconnectés des réalités locales. À terme, cette approche contractuelle pourrait constituer un levier majeur pour transformer les dynamiques locales en opportunités de développement local, tout en consolidant la gouvernance multiniveau indispensable à la réussite des politiques publiques contemporaines ».
Hassan Bentaleb








