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Justice internationale : Le long chemin vers la compétence universelle


Par Adolphine Dibangui *
Jeudi 3 Juin 2010

Justice internationale : Le long chemin vers la compétence universelle
Adolphine Dibangui – Le 31 mai 2010. La conférence de Kampala (Ouganda) du 31 mai au 11 juin, se penchera sur les avancées de la justice internationale. Les participants, représentants des 111 États parties à la Cour Pénale Internationale (CPI), des États non membres, des Nations Unies et d’ONG, tenteront de faire le bilan pour la première fois depuis la création de la CPI et d’adopter une définition du crime d’agression. Espoir pour la justice dans le monde, la compétence universelle constituerait une opportunité pour les peuples privés d’état de droit de bénéficier d’une justice quand celle de leurs pays d’origine n’existe pas. Mais alors pourquoi certains États, notamment occidentaux, semblent-ils freiner des quatre fers ?
Alors que la compétence des juridictions nationales vis-à-vis d’un crime se limite à la territorialité et à la nationalité de son auteur et de sa victime, les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels établis au lendemain de la 2nde guerre mondiale pour punir les crimes graves perpétrés par le régime nazi vont bien au-delà, en leur permettant de poursuivre les auteurs de crimes graves et notamment de crimes contre l’Humanité. En effet, peu importe la nationalité des auteurs et des victimes et le territoire sur lequel le crime contre l’humanité a été commis, du moment où l’État a adhéré aux Conventions de Genève, et à ses protocoles, ses juridictions sont compétentes pour juger un crime contre l’humanité.
La compétence universelle, appliquée équitablement, renforcerait le caractère humaniste que revêtent les Conventions de Genève et le Statut de Rome chargés de garantir la protection des Hommes quels qu’ils soient contre les crimes odieux. Elle pourrait servir de justice palliative dans ces cas. Par exemple pour les 400 victimes togolaises lors des élections de 2004, ou encore les 150 morts durant les émeutes de la faim au Cameroun de février 2009. La liste est longue… Encourager la compétence universelle des juridictions nationales permettrait à ces peuples de voir en théorie plus de justice dans leur nation, puisqu’on enjoindrait leurs gouvernants « délinquants » de respecter les droits de l’Homme et d’instaurer l’état de droit.
Pourtant, à ce jour, si de nombreux pays ont adhéré et ratifié les Conventions de Genève, on trouve parmi eux des États … qui sont souvent pointés du doigt pour leur manque de volonté ou leur inaptitude à instituer l’état de droit sur leur territoire : le Cameroun, le Soudan, le Togo, ou encore la RDC. Signerait-on donc pour la photo ? Le cas du chef de l’État soudanais El Bechir, sous mandat d’arrêt de la CPI depuis le 4 mars 2009 pour génocide et dont les poursuites pourraient être réexaminées, démontre l’inefficacité actuelle de la justice internationale. Mais, c’est aussi paradoxalement certaines démocraties dites avancées qui n’adhèrent pas toujours à la portée du concept de compétence internationale.
La justice belge, grâce à la loi de compétence internationale incluse dans la loi pénale en 1993, étendue au génocide en 1999, a condamné en 2001 quatre génocidaires à des peines allant de douze à vingt ans. Toutefois, soumise à de nombreuses pressions - notamment du gouvernement américain qui avait menacé de déménager le siège de l’OTAN situé à Bruxelles après l’inculpation d’Ariel Sharon pour crimes graves contre les palestiniens, la Belgique a retiré de son Code de procédure pénale la loi sur la compétence universelle.
Dix ans après avoir ratifié le statut de Rome pour la création de la CPI, la France n’a toujours pas adopté le texte de loi permettant aux juges français de juger d’office sur son territoire les crimes les plus odieux. Par ailleurs jusqu’à la récente visite du chef de l’Etat français au Rwanda en février 2010 des génocidaires vivaient en toute quiétude en France, et n’avaient pas été poursuivis. De même l’affaire des biens mal acquis avait été étouffée par la Cour d’appel de Paris, alors que la juge au pôle financier Francoise Desset avait donné son feu vert à l’ouverture d’une enquête.
Le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale devrait, il est vrai, très bientôt être voté en France. Malheureusement, il réduit considérablement la portée de la compétence universelle. Ses quatre conditions sont en effet : « l’auteur des faits doit résider habituellement en France ; les faits reprochés doivent être passibles de poursuites dans le pays où ils ont été commis ; le Parquet seul peut engager les poursuites ; la Cour pénale internationale doit explicitement décliner sa compétence. » Autant dire que les génocidaires peuvent dormir tranquille.
On comprend que des élites corrompues de pays en développement rechignent à faire avancer la justice internationale. Mais comment expliquer que des démocraties prônant l’état de droit et des valeurs humanistes sabordent le projet ?
Il y a sans doute la peur d’être poursuivies elles-mêmes. Par exemple la guerre en Irak pour «délivrer» le peuple irakien d’un dictateur sanguinaire… longtemps soutenu, armé et financé par l’occident (et notamment les Etats-Unis), a été lancée sur un « mensonge » concernant les armes de destruction massive. La justice internationale ne pourrait-elle poursuivre un George W. Bush et des personnalités de son administration ? La question n’est pas si déplacée, d’autant que la définition du crime d’agression reste à être débattue.
La « justice à géométrie variable » s’explique aussi souvent par la politique et la géostratégie. Quand des intérêts géostratégiques sont en jeu, les valeurs de justice sont souvent reléguées au deuxième plan. Un exemple parmi d’autres : la très timide réaction occidentale à l’action inconstitutionnelle de Mamadou Tandja au Niger en juin 2009 ne pourrait-elle se comprendre par le fait que ce pays est un producteur d’uranium de premier plan ?
Ce faisant, en plaçant la politique au-dessus de la justice, ces démocraties foulent aux pieds l’idéal de l’état de droit alors qu’elles sont censées montrer la voie, étouffant un peu plus le développement.

* Diplômée de Master en Droits de l’Homme
Articles publiés en collaboration avec www.unmondelibre.org



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