Jérôme et Jean Tharaud, deux frères écrivains qui ont sillonné le Royaume : Rabat ou les heures marocaines


Par Miloudi Belmir
Mardi 16 Février 2010

Jérôme et Jean Tharaud, deux frères écrivains qui ont sillonné le Royaume : Rabat ou les heures marocaines
Jérôme et Jean Tharaud, deux frères écrivains. Tous deux  débutent dans la littérature par un ouvrage qui parut dans les Cahiers de la quinzaine. En 1919, l'Académie française leur décerne le grand prix de littérature. Successivement, ils font paraître “Le conteur débile”; “Les frères ennemis”; “Danglu l'illustre écrivain”; “La maîtresse savante” ; “La fête arabe” ; “L'oiseau d'or” ; “Fès ou les bourgeois de l'Islam” ; “Marrakech ou les seigneurs de l'Atlas”; “Rabat ou les heures marocaines”. Ces trois derniers ouvrages sont une trilogie consacrée à la peinture de la vie marocaine.
Les    frères Tharaud possèdent un talent merveilleux. Ils sont considérés comme des écrivains classiques. Leurs œuvres déjà nombreuses les ont placés en quelques années au premier rang des écrivains notoires. Grands voyageurs aussi, ils ont  sillonné le Maroc dans tous les sens. L'univers de ce pays s'ouvre à eux comme un labyrinthe à l'intérieur duquel ils ont l'obligation de frayer leur chemin littéraire.
Traversant le Maroc, les frères Tharaud arrivèrent à une grande ville nommée Rabat. A l'époque, elle était une ville « des Mille et une Nuits, Ribat el Fath, le camp de la victoire ». Ces habitants représentaient une grande partie de culture, d'art, de musique, de poésie et de beauté mondiale. En dehors du quartier européen, quelques rues étaient populeuses, le reste n'était que jardins et villas : « Rabat la blanche ». Pour l'importance historique, Rabat avait étonné le monde artistique et littéraire, et avec les frères Tharaud, écrivains de grand talent, cette ville est devenue un centre littéraire où rien ne doit dominer le verbe.
Rabat au temps où ils y étaient, il y avait des mœurs civilisées. Les R'batis qu'ils avaient rencontrés étaient accueillants et affectueux, on ne pouvait pas ne pas les aimer dès qu'on les approchait. Dans leur rondeur un peu bourgeoise, ils cachaient une âme tendre et un esprit d'une finesse fulgurante : « Sous la tente du Pacha, le repas arabe…Dix plats s'alignent sur le tapis, dans des bassins de cuivre remplis d'une eau bouillante et recouverts de capuchons de sparterie noire et rouge, où se cache le mystère d'une cuisine originale et savante».
Le succès de “Rabat ou les heures marocaines” aura permis de découvrir dans les œuvres de Jérôme et Jean Tharaud de très beaux romans oubliés, tels “Fès ou les bourgeois de l'islam” ou “Marrakech ou les  seigneurs de l'Atlas”. Le premier ouvrage a été écrit dans la Kasbah des Oudayas face à la mer, près  «d'un long fleuve africain où la mer entre largement en longues lames frangées d'écume ». “Rabat ou les heures marocaines” est un roman unique, vital voire un chef-d'œuvre car il est extraordinaire sur tous les plans romanesques.
Lire Jérôme et Jean Tharaud, c'est éprouver, de façon presque sensuelle la genèse d'un tableau à plusieurs volets. Leur connaissance du Maroc fait merveille. Ils avaient un excellant goût et savaient choisir leurs paysages : «Il y a là-haut un amoncellement prodigieux de murs rouges  qui plongent à pic dans la mer ou s'appuient sur la falaise, les uns délités et ruineux, les autres surprenants de jeunesse, de force vivace ; des buissons de cactus, des touffes de roseaux, toutes les espèces de figuiers ; un amas de maisons éblouissantes de chaux vive, où les sultans ont installé quelques familles d'une tribu guerrière, la tribu des Oudayas, qui donne son nom au rocher ».
Rabat séduit les frères Tharaud. C'est à Rabat qu'ils découvrirent : «le temps, les hommes, les vents du large ». Par leur œuvre “Rabat ou les heures marocaines”, ils ont écrit l'histoire de Rabat, c'est un portrait exact. A l'époque, cette ville, belle et gaie, était un paradis avec sa plage, son beau fleuve bleu, ses cafés qui prêtent à la vie littéraires, ses bars animés le soir, ses villas princières, ses jardins toujours pleins de fleurs, sa vieille bibliothèque…Rabat était vraiment une ville moderne d'aspect, une très belle ville propre, clair, bien rangée : «Est-ce mon imagination ou mes yeux qui voient dans cet endroit un des plus beaux lieux du monde ? Pareil aux grands oiseaux, mon regard se pose tour à tour, sans jamais se lasser, sur toutes ces beautés dispersées».
D'œuvre en œuvre, l'image projetée par Jérôme et Jean Tharaud de l'homme r'bati est celle d'un seigneur, d'un esprit amusant et distrayant, on peut franchement dire qu'il représentait l'esprit du viveur marocain, le plus fertile et le plus amusant : «Pendant que les plats se succèdent sur le plateau de cuivre, un violon, une guitare et un tambourin à sonnettes jouent des airs d'Andalousie…Tout à l'heure, visible encore par la porte de la tente, la lune a monté dans le ciel et ne laisse plus voir que la nuit qu'elle illumine et les reflets de clarté sur les mendiants, qui attendent dehors la fin de notre repas pour s'en partager les restes ».
Tout à Rabat était légende. Il suffisait d'errer dans les espaces, et l'on trouvait les plus belles choses du monde : «Partout, la guitare appelle, le violon gémit, le tambour se démène…l'Andalousie refleurit sur ces tapis étendus dans le sable ». Les frères Tharaud qui écrivaient dans une ambiance littéraire, il leur faut un long séjour pour gagner le cœur de cette ville : «De près, cet étonnant décor, sous la lumière du plein midi, découvre bien son indigence…Mais qu'on s'éloigne ou que vienne le soir, et le magique Orient refait aussitôt ses prestiges sur la Kasbah des Oudaya». Tout est témoignage, Jérôme et Jean Tharaud l'ont voulu aussi. Pendant des dizaines de pages de leur œuvre, ils ne parlent que de cette ville magique qui alimente le temps d'un rêve éveillé ou d'un roman entier : «Mais la plus part de ces maisons de toile sont des chambres de musique, des pavillons de poésie».
Le génie des frères Tharaud consiste à concilier autobiographie et documentaire historique. Ils ont tenté de brosser un tableau des années vingt de la vie sociale marocaine. Cette nouvelle orientation littéraire est  approfondie dans “Fès ou les bourgeois de l'islam” et dans “Marrakech ou les seigneur de l'Atlas” voire dans “Rabat ou les heures marocaines”. Ces ouvrages sont inspirés d'éléments autobiographiques, mais structurés autour de deux axes : à partir de l'aventure de deux frères qui regagnent le Maroc, et toute l'histoire de ce pays à travers l'ouverture à l'étranger, le lien avec la France.
L'œuvre de Jérôme et Jean Tharaud compte ainsi une trentaine de romans, elle comprend aussi une importante littérature documentaire composée d'essais et de reportages, tous témoignages directs de la réalité ; en ce sens aussi, l'itinéraire de ces écrivains classiques. Ils font sans conteste les premiers romanciers voyageurs qui connaissent à fond les Marocains. Leurs ouvrages s'échelonnent de 1898 à 1953. Il faut bien reconnaître aujourd'hui, même si cela a pris du temps, que les frères Tharaud sont rarement cités et lus. Pourtant, ils ont beaucoup produit et ils ont créé une belle œuvre.
Les écrivains étrangers comme Anaïs Nin, Joséphine Baker, John Knittel, Paul Bowles, Tennessee Williams, Jane Bowles, Mme Henriette Célarié, Henry Bordeaux, Jérôme et Jean Tharaud, etc. ont contribué plus que tous à faire connaître le Maroc du passé. Grâce à ces écrivains qui ont connu des triomphes marocains, la littérature marocaine a profondément influencé le style de son époque. Enfin, il convient de faire une place toute spéciale aux frères Tharaud. Avec eux, le roman documentaire s'élève à la hauteur d'une véritable littérature de l'histoire.


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