Jean Pierre Elong Mbassi : Les élus locaux ne doivent pas rester indifférents face aux changements climatiques


Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Samedi 11 Novembre 2017

Lors du Sommet mondial “Climate Chance”  qui s’est tenu entre le 11 et le 13 septembre dernier à Agadir, les élus africains avaient signé la “Déclaration des élus locaux et régionaux d’Afrique” où ils avaient pris l’engagement de mener à bien des “Plans climat” et d’impliquer tous les acteurs des territoires locaux (citoyens, associations, acteurs économiques…). Ils ont également réaffirmé leur engagement à lutter contre le dérèglement climatique en anticipant l’évolution de leurs propres
territoires, en particulier les zones urbaines, afin d’éviter une croissance significative de leurs
émissions de gaz à effet de serre et de prendre, dès aujourd’hui, les mesures d’adaptation nécessaires.  
Le document  avait également rappelé l’engagement de l’Accord de Paris visant à limiter
le réchauffement de la planète en deça des 2°C, ainsi que “l’Appel à l’Action” lancé lors de la COP22 de Marrakech pour la mise en œuvre dudit accord, en particulier à travers des contributions déterminées au niveau national (NDCs) et des plans nationaux d’adaptation.
Retour sur cet engagement des élus locaux africains avec Jean Pierre Elong Mbassi, secrétaire
général de Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique (CGLU Afrique) dans cet entretien
axé sur le rôle des élus locaux dans la lutte contre le dérèglement climatique.



Libération : Faut-il considérer la «Déclaration d’Agadir» comme une déclaration de plus?
Jean Pierre Elong Mbassi :
Je ne le pense pas. En fait, il y a une dynamique mondiale qui consiste à mettre sur la table de discussion les problèmes épineux  afin de trouver un consensus minime. Une fois cet accord trouvé, les protagonistes le marquent souvent par des déclarations et la prise d’engagements. Et la Déclaration d’Agadir s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. Il y a eu la participation de près de 5.000 personnes et de l’ensemble des acteurs clé qui œuvrent dans le domaine de la lutte contre les dérèglements climatiques  à travers le monde. Il y a eu aussi la présence d’élus locaux venus des Etats-Unis et de l’Asie, parties du monde qui sont fortement liées aux conséquences des changements climatiques. Ils ont été des témoins oculaires d’inondations,  de pertes de vies humaines,  de glissements de terrain, etc. Et c’est pourquoi ils se sont engagés à établir un plan d’action pour les années à venir.  Donc, ce n’est pas une déclaration de plus.

Qu’en est-il donc de la valeur ajoutée de cette déclaration?  
L’Accord de Paris transmet un message clair, à savoir, que nous sommes  tous en danger et qu’il est temps de se mettre d’accord pour lutter contre ce danger. Il est donc urgent de limiter le réchauffement de la planète dans la limite des 2°C et de définir une trajectoire qui puisse permettre à chacun de contribuer à cette baisse. Ainsi si le Sommet de Paris a-t-il été celui des engagements et celui du Marrakech celui de l’action avec la mise en place du  Marrakech Partnership et la mise en avant de la question des financements, la Déclaration d’Agadir a eu pour objectif de rappeler à la communauté internationale que l’Afrique qui ne participe pas à l’émission des GES ou fort peu a d’autres priorités, à savoir, l’adaptation et l’accès à l’énergie car sans accès à celle-ci, il n’y aura pas de développement. Il faut arrêter de se focaliser sur le volet atténuation imposé par les pays développés.

Comment des élus locaux peuvent-ils prétendre assumer un tel rôle dans des pays où le pouvoir de l’Etat  est fort et centralisé ?
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Désormais, les Etats éprouvent un besoin urgent  d’avoir des collectivités locales plus autonomes. Le centre est incapable de se charger avec la proximité nécessaire des problèmes des citoyens sur l’ensemble de son territoire. Quand il y a une inondation dans une région, le gouvernement envoie souvent  ses ministres  dans les zones sinistrées. Mais ces derniers  se contentent de prendre des photos et de quitter les lieux dans les heures qui suivent,  et c’est aux élus locaux de prendre en charge les conséquences des catastrophes naturelles survenues. Tout le monde sait aujourd’hui que le traitement au quotidien des problèmes relatifs au climat relève de la responsabilité des autorités locales. Et c’est pourquoi, nombreux sont les élus locaux qui exigent un partage plus équitable des ressources publiques entre le centre et la périphérie.  

Les élus locaux ont-ils les moyens de leurs ambitions ?
Poser la question en ces termes signifie que les peuples n’ont pas le droit d’être ambitieux.
Les élus locaux représentent les populations et il n’y a pas de raison pour que la population ne soit pas ambitieuse par rapport à l’avenir. Mais que signifie avoir des moyens  aujourd’hui?  Pour moi, ce terme renvoie d’abord à la volonté de changer sa vie et de prendre des initiatives pour cela. Moyens veut dire également tentative de valoriser le potentiel qu’on a. Et cela ne peut se faire qu’à travers la mobilisation des forces vives locales. Une mission que seuls les élus locaux peuvent assumer puisqu’ils représentent la communauté locale. Donc, en l’état actuel des choses, on peut faire la politique de ses moyens mais cela n’empêche pas le fait de se donner plus de moyens et de continuer à placer la barre très haut. Il faut donc rêver, être ambitieux et trouver les moyens de ses ambitions.
Je me rappelle que durant les années  80 et lors d’une mission afférente à la planification urbaine dans la ville de Sefrou, le super caïd avait refusé que je puisse m’entretenir avec le président de la commune tout en indiquant que lui seul représentait le pouvoir local. Une situation qui semble insensée aujourd’hui et impossible à envisager puisqu’il y a eu conquête du pouvoir local par les élus locaux. Et ce n’est pas un don car la population a de plus en plus envie de  prendre son destin en main et lorsque S.M le Roi Mohammed VI avait lancé la régionalisation avancée, ce fut pour répondre à ces revendications. C’est une conquête de chaque jour, et ce n’est pas donné. C’est également le cas pour la démocratie qui est  un apprentissage de tous les jours.

Mais est-ce que les élus locaux sont formés et outillés pour mener à bien leurs missions ?
Je me demande comment nos villages étaient  anciennement gérés. Est-ce que les personnes qui les géraient étaient polyglottes ; technocrates et managers ? Allez voir comment les médinas étaient gérées depuis les temps les plus reculés. L’illettrisme de certains élus locaux ne remet pas en question leurs capacités à gérer la chose locale. Le leadership n’est pas une affaire de diplômes universitaires mais plutôt de comportement vis-à-vis des populations locales.

Mais il y a des questions techniques et des enjeux internationaux  qui demandent un certain savoir-faire
Un élu n’a pas besoin de tout savoir. On ne doit pas opposer la connaissance et le pouvoir. La plupart des chefs d’Etat et des ministres n’ont pas les qualifications requises pour gérer tel ou tel secteur, mais ils arrivent à s’en sortir en faisant appel à des experts et à des spécialistes.

Les élus sont-ils au moins conscients de cette nouvelle responsabilité qu’ils sont appelés à assumer ?
Evidemment puisqu’ils sont confrontés chaque jour à la réalité des changements climatiques.  Une inondation  qui se solde par la mort de plus de 500 personnes et fait près de 800   disparus à Freetown en Sierra Leone ne peut pas laisser indifférents les élus locaux de cette ville ou d’autres cités face aux véritables risques engendrés par les dérèglements climatiques.  Il est vrai que le degré de conscience n’est pas le même chez tout le monde.  En fait, ceux qui en sont le plus conscients réfléchissent aux nouvelles directions à prendre.

La Déclaration d’Agadir évoque les spécificités des pays africains, pouvez-vous nous en dire plus sur cette exception africaine ?  
Il faut savoir que les pays africains sont les  premiers à souffrir des effets des changements climatiques, et du coup, notre priorité  demeure  l’adaptation et nullement l’atténuation.  L’accès à l’énergie reste également une priorité. Il y a une relation étroite entre l’eau, l’agriculture et l’énergie. La question des déchets, de la mobilité et de la planification des villes s’impose aussi. En effet, les cités africaines croîtront à une vitesse effrayante.  Si on ne prend pas une trajectoire basse en carbone, le monde n’atteindra  pas ses objectifs. L’avenir se joue en Afrique et c’est pourquoi, ce continent a aujourd’hui une responsabilité importante alors qu’il s’agit de la partie du monde la moins riche. Donc si l’on veut que l’Afrique arrive à atteindre les objectifs fixés, il faut se porter  à son secours.

… Ce qui pose la question des financements.
 L’accès aux financements est encadré et exige le respect de certains critères pour y être éligible. Beaucoup de pays africains ne bénéficient pas de ces fonds faute de présenter des dossiers répondant aux critères de sélection. Et c’est pourquoi nous avons demandé un programme de renforcement des capacités techniques pour que les pays africains soient en mesure de préparer des dossiers éligibles aux financements. A ce propos, les élus africains ont demandé la mise en place d’un guichet  pour les collectivités locales au sein du Fonds vert pour le climat. Nous allons réitérer cette  demande lors de la COP 23 (Ndlr. dont les travaux se déroulent actuellement à Bonn).

Qu’en sera-t-il, selon vous, de la lutte contre les effets des dérèglements climatiques à l’avenir ?
Nous n’avons ni le droit ni le loisir de ne pas nous engager. Faute de volonté et d’anticipation, on subira les foudres de la nature. On est dans l’obligation d’agir  en concertation. Il faut mettre en place une fiscalité carbonne et encourager les énergies renouvelables. Je crois que c’est l’une des batailles que nous devons engager aujourd’hui.

Sommet Climate Chance : Déclaration des élus locaux et régionaux d’Afrique

Nous, élus locaux et régionaux d’Afrique, réunis ce mardi 12 septembre 2017 à Agadir, au Maroc, dans le cadre du Sommet Climate Chance,
- Considérant l’engagement de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement de la planète en dessous des 2 degrés Celsius, et si possible de tendre vers 1,5 degré Celsius ;
- Soutenant l’Appel à l’Action lancé lors de la COP22 de Marrakech au Maroc, pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris, en particulier à travers la réalisation effective des contributions déterminées au niveau national (NDCs) et des plans nationaux
 d’adaptation ;
- Constatant que la feuille de route adoptée à Marrakech le 14 novembre 2016 par le Sommet des élus locaux et régionaux a défini un cadre d’action mondial vers la localisation de la finance climat;
- Réaffirmant notre adhésion et notre soutien aux récents engagements et déclarations des élus locaux et régionaux pour le climat, en particulier : la Déclaration du Sommet des villes et régions d’Afrique, à Yamoussoukro (juin 2015) ; la Déclaration du Sommet mondial climat et territoires, à Lyon (juillet 2015); la Déclaration du Sommet des Elus locaux et régionaux pour le climat, à Paris (décembre 2015) ; la Déclaration des élus locaux et régionaux d’Afrique, lors du Forum préparatoire de la COP22 à Cotonou (septembre 2016); la Feuille de route de Marrakech pour l’action des villes et régions du monde pour le climat (novembre 2016);
Déclarons ce qui suit:
1) Nous réaffirmons notre engagement à lutter contre le dérèglement climatique en anticipant l’évolution de nos propres territoires, en particulier les zones urbaines, afin d’éviter demain une croissance significative de nos émissions de gaz à effet de serre et de prendre dès aujourd’hui les mesures d’adaptation nécessaires. Nous nous engageons à mener à bien ces “plans climat” et à impliquer tous les acteurs de nos territoires: citoyens, associations, acteurs économiques, etc.
2) Nous encourageons les villes et les régions d’Afrique à rejoindre la Convention mondiale des maires pour le climat et l’énergie, qui vise à mettre en œuvre une vision de long-terme de leur territoire, en matière d’accès à l’énergie, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’actions d’adaptation au dérèglement climatique, et d’adoption de solutions bas-carbone
3) Nous soulignons l’importance de reconnaître la spécificité des défis du dérèglement climatique en Afrique, qui justifie, au niveau territorial, de donner la priorité à l’accès à l’énergie, à l’aménagement du territoire et à la planification urbaine, et à des actions d’adaptation. C’est dans le cadre de la mise en œuvre de ces stratégies d’accès à l’énergie et d’adaptation au dérèglement climatique que les stratégies d’atténuation doivent être développées
4) Nous rappelons que la majorité des contributions déterminées au niveau national (NDCs) devrait se concrétiser au niveau des villes et des territoires, ce qui requiert l’implication des gouvernements locaux et régionaux afin de faciliter la mobilisation et la collaboration de tous les acteurs du territoire pour leur mise en œuvre effective sur le terrain. Nous renouvelons notre volonté de travailler étroitement avec nos gouvernements nationaux pour identifier les actions prioritaires, renforcer l’ambition et répondre effectivement aux enjeux d’adaptation
5) Nous appelons, en conséquence, à l’adoption et la mise en œuvre d’un programme de renforcement de capacités et d’assistance technique à destination des gouvernements locaux et régionaux d’Afrique, pour leur permettre de maîtriser le processus MRV (Mesurer, Rapporter, Vérifier), et de préparer des demandes éligibles à la finance climat, notamment au Fonds vert pour le climat
6) Nous renouvelons notre attachement au cadre de coopération multi-acteurs qu’offre Climate Chance, et nous encourageons ses initiateurs à continuer à développer les synergies et la complémentarité entre les acteurs pertinents, afin que leurs actions concertées soient à la hauteur des défis et opportunités du dérèglement climatique dans nos villes et territoires. Nous appelons les divers acteurs des sociétés civiles africaines à rejoindre cet appel et ce processus d’engagement collectif, à échanger bonnes pratiques et priorités d’action, à définir ensemble les scénarios d’action qui répondent aux enjeux du dérèglement climatique pour le continent africain.
Nous ferons un premier bilan de cette mobilisation collective lors du Sommet Africités qui se tiendra à Brazzaville en Décembre 2018.


Lu 7861 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services