Il n’y en aura pas pour tout le monde !


Par Michel Tarrier *
Mercredi 24 Février 2010

Le roseau pensant n’était qu’un nénuphar… La société des hommes vit un peu comme ces nénuphars de l’étang. Les premiers nymphéas commencent par occuper une fraction infime de la surface de l’eau, puis la plante double de taille et se multiplie jusqu’à envahir une moitié de l’espace. A la génération suivante, l’étang en est rempli, le nénuphar ne peut plus croître.
« Je ne puis concevoir l'homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute (…) Penser fait la grandeur de l'homme. L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. (…) Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale», écrivait Blaise Pascal (Pensées, 1670)
Il s’avère que bien trop d’hommes laissent les autres penser à leur place, ou bien, qu’ils pensent à bien autre chose qu’à ne pas devenir des nénuphars. Écologiquement, notre modèle d’homme est une brute. Nous avons colonisé la majeure partie de la surface terrestre, nous en sommes au point où il convient de se questionner sur notre modèle démographique. Au lieu de cela, nos préoccupations sont infiniment saugrenues.
L’humanité ne saurait vivre sans crise et ces crises sont habituellement d’ordre économique, plus qu’idéologique ou religieuse. L’idéologie philosophique, politique ou spirituelle, vient, comme le nationalisme, en réaction à une économie qui ne comble pas.
Quand les hommes sont rassasiés, bien peu se posent des questions, ou bien il s’agit de préoccupations existentialistes « d’après-guerre ». La montée des extrémismes, l'ébranlement des institutions politiques, la plupart des instaurations de dictatures, de coups d’Etats et autres juntes trouvent presque toujours leurs justifications dans un retournement de situation économique, dans un krach succédant au dégonflement d’une bulle spéculative, dans une récession se traduisant par l’effet domino des faillites en chaîne, de la baisse du pouvoir d’achat, de la montée du chômage et des inévitables tensions sociales.
« Quand le foin manque au râtelier, les chevaux se battent… », dit un proverbe. Certains tyrans l’ont parfaitement compris par leur politique de compenser la terreur par un minimum nutritionnel. On ne crève pas dans la rue. On a ainsi toujours retardé la révolution. Les famines sont le ferment des jacqueries. C’est le ventre creux que l’on habille ses revendications aux couleurs des idéologies qu’on laissait infuser, par temps calme, aux comptoirs de nos cafés philosophiques.
Les populations flouées se tournent toujours vers un tribun charismatique, supposé gérer la crise par une brutale austérité, quitte à suspendre les libertés et à engager une quelconque chasse aux sorcières intérieure ou étrangère, d’ordre idéologique, religieux ou racial.
Il en est de même de l’actuel extrémisme islamiste, terroriste ou résistant, dont les agissements sont assimilés trop souvent à la formule culturelle et religieuse fourre-tout d’un irrationnel « choc des civilisations ». Tout le monde sait qu’il puise prosaïquement ses racines haineuses dans la brèche trop profonde des disparités entre deux modèles économiques, dont les infinies frustrations sont attisées et orchestrées par quelques mollahs, parfois hauts nababs et richissimes émirs. S’en référer aux croisades d’une guerre de mille ans, pèlerinages armés d’un tout autre contexte historique, est tentant mais assez illusoire. Du moins, et s’il y a guerre sainte, elle se limite à des vétilles comme le port du voile en terre chrétienne, ou l’outrage stigmatisé contre trois caricatures.
La réponse par un affrontement sur un modèle idéaliste « civilisation » contre « barbarie » est sotte et ne vise qu’à mobiliser les opinions contre l’Autre, tout en se voilant la face (!) et en légitimant les injustices au nom d’un chaos. L’antagonisme des « sages de Dieu » ou « axe du bien » contre les « fous de Dieu » ou « axe du mal », correspond à la mauvaise foi du sermonnaire « chrysologue » d’un catéchisme malin, les extrémistes ou les infidèles étant toujours les autres.
Rien de tout cela dans la méga crise planétaire qui nous préoccupe ici. Strictement écologique en amont, elle résulte d’une lamentable gouvernance des ressources dont l’ego de tout un chacun est implicitement responsable. Cette menace des ressources emboîte immanquablement et en cascade les mêmes misères que celles-ci-avant citées, mais ce n’est qu’à notre collectif occidental qu’il faut s’en prendre.
A l'heure du grand mea culpa d'une île martyre, nous sommes tous pris la main dans le sac et nous nous retrouvons auto-inculpés face à un mur.
Que celui qui s'estime sans péché (écologique) jette la première pierre ! Ce n’est donc pas, cette fois, une accusation avec le dos au mur pour fusiller quelques coupables-innocents, mais un mur des lamentations pour quelques milliards d’humains, pour le moins ceux du monde dit avancé, auteurs d’une exploitation hâtive des ressources planétaires. Ceux du Sud (et du Grand Nord), spoliés par nos excès et extorqués par nos pirateries séculaires, pourraient et devraient nous juger, et nous condamner pour les avoir entraînés dans le même bateau sans qu’ils puissent jamais partager le magot.
Mais nos lois iniques et protectionnistes ne laissent pas les « salauds de pauvres » aborder nos rivages sans un permis-de-travail, maintenant doublé d’un permis-de-parler, à défaut d’un permis-de-juger, et d’un test ADN. Notre punition ne sera donc pour l’instant qu’une contrition médiatisée, une pathétique repentance de plus.  Le service secouriste s'occupe du reste.

* Entomologiste et écologiste français


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