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On la connaissait comme une battante au sein du mouvement de lutte contre la disparition forcée. Au début, la
disparition de son frère l’avait poussée à aller de l’avant et crier contre toutes les injustices. Actuellement, elle
représente un mouvement marocain
des droits humains au sein d’une
institution onusienne. Un long
parcours, une grande persévérance
et un grand sens de justice.
Libé : Quel sens donnez-vous au 8 Mars aujourd’hui ?
Houria Esslami : Le 8 mars est toujours une occasion de faire le point sur la situation des femmes dans le monde. Laquelle situation connaît, selon de récentes études et contrairement à ce que l’on pourrait croire, une certaine régression. Cela nous conduit, toutes et tous, à l’échelon national et international, à nous interroger sur la mise en œuvre de tous les mécanismes pour garantir l’égalité et la parité, mais aussi la protection des femmes et des filles contre toutes les formes de violence et de discrimination.
Vous allez célébrer cette journée internationale à Buenos Aires, où vous êtes en mission au sein du Groupe de travail onusien sur les disparitions forcées. Que signifie cela pour vous ?
En réalité, je serais sur le chemin du retour de Buenos Aires où se tient actuellement la 105ème session du GTDFI et qui coïncide cette année avec le 35ème anniversaire du Groupe. Et c’est l’occasion de souligner que je suis la deuxième femme élue dans ce groupe depuis 35 ans, après ma collègue Jasminska Dzjumhur de la Bosnie-Herzégovine. Cela est d’autant plus injuste lorsqu’on sait qu’à travers le monde et depuis plus de quatre décennies, le combat contre la disparition forcée et pour la vérité a été majoritairement porté par des femmes, que ce soit en Amérique latine (exemple les mères et les grands-mères de la Place de mai), en Asie, au Liban, en Algérie, au Maroc, etc. Je tiens à cette occasion à rendre hommage à toutes ces femmes (mères, grands-mères, sœurs, épouses, filles, etc) des familles des disparus dont la lutte a duré des fois plus de quatre décennies sans relâche. Bien plus, cette lutte a été le précurseur pour la mise en place de mécanismes de protection tels que la Déclaration de 1992, le GTDFI lui-même et la Convention de protection de toutes les personnes contre la disparition forcée ou involontaire entrée en vigueur il y a juste quatre ans.
Dans votre parcours professionnel et civil, avez-vous senti un jour que vous êtes exclue à cause de votre sexe ?
Sans nul doute, pas exclue mais discriminée, pour employer le mot juste, par le simple fait d’être une femme. Se voir refuser l’accès à un titre d’une responsabilité que l’on exerce sur le plan professionnel réel, alors que votre prédécesseur, de sexe masculin, y avait droit dans les mêmes conditions, est une discrimination flagrante et contre laquelle il n’y a aucun moyen de recours. Sur le plan civil également, les choses ne sont pas aussi évidentes que l’on pourrait croire. Votre façon de voir les choses différemment peut délibérément, à mauvais escient et en tirant profit des stéréotypes, favoriser votre discrimination. Cela sans parler du fait qu’en tant que femme, on devrait redouble d’efforts pour être «parfaite» là où des confrères de sexe masculin ne frôlent pas le parfait. Cela, bien sûr, n’est pas général ; on peut aussi parfois et rarement bénéficier de la discrimination positive à compétences égales.
Que pouvez-vous dire sur la situation féminine au Maroc aujourd’hui ?
Comparé à d’autres pays de la région, le Maroc demeure relativement un pays où les femmes bénéficient de droits fondamentaux et peuvent encore réaliser des progrès. Cependant, il reste beaucoup à faire en termes d’égalité des chances, de protection contre la violence, d’accès aux postes de responsabilité, et de statut en tant que citoyenne à part entière ayant les mêmes droits et obligations que les hommes. Cela sans parler des stéréotypes sociaux qui nous interpellent toutes et tous. D’ailleurs, notre pays, il faut le souligner, est classé 133ème parmi 148 pays.
Ne craignez-vous pas une régression des acquis sous un gouvernement islamiste ?
Nous avons aujourd’hui une Constitution qui a consacré l’égalité, la non discrimination et la parité. Le Maroc a également des engagements internationaux en termes de conventions et de protocoles facultatifs pertinents auxquels il ne peut se soustraire. Nous avons aussi obtenu en 2014 l’amendement du fameux article 475 du Code pénal. Le projet de loi sur l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination prévue dans l’article 19 de la Constitution sera discuté par le gouvernement actuel avant d’être soumis au Parlement. Par ailleurs, le Maroc dispose d’un mouvement féministe et d’une société civile qui ont cumulé une grande expertise en la matière et qui jouissent aujourd’hui d’une capacité de mobilisation et de plaidoyer à même d’influencer ce projet afin qu’il soit conforme aux dispositions et à l’esprit de la Constitution. Je souhaite de tout cœur que le Parlement qui est aujourd’hui la source de la législation par excellence, puisse honorer les engagements internationaux du Maroc mais aussi répondre aux aspirations légitimes de la moitié de sa population.
Quels sont, selon vous, les cas de régression par rapport au passé ?
Si on ne fait pas, par exemple, une évaluation d’une décennie de la mise en œuvre du Code de la famille, si l’on ne réforme pas des textes dont l’application révèle beaucoup d’imperfections qui vont à l’encontre de l’esprit dans lequel le texte initial a été élaboré, cela constitue une régression. Si l’on constate aujourd’hui après 10 ans que l’on vit encore les mêmes problèmes sous d’autres formes de détournement des objectifs, cela va mal et c’est également une régression. Si l’on n’arrive pas à adopter une loi qui protège les femmes contre toutes les formes de violence (qui dépassent aujourd’hui les 62%), si on continue à employer les filles mineures comme travailleuses domestiques en se prévalant de l’âge légal de travail de 15 ans et faisant fi de tous les drames sociaux qui en résultent, si 30.000 filles mineures se marient toujours, celui n’avance pas recule, comme dirait l’adage.
Vous êtes aussi membre du CNDH. Quelle évaluation faites-vous de la place et de la contribution des femmes membres de cette institution ?
Je pense que le CNDH Maroc a donné un très bon exemple d’abord en termes de parité. Nous sommes quelque 45% de femmes à porter l’emblème de cette institution. Au niveau de quelques commissions régionales, nous avons pu atteindre ou même franchir les 50%.
Au niveau central, presque 4 des 5 groupes de travail ont comme présidentes ou rapporteures ou les deux des femmes. La représentativité et l’apport des femmes demeurent très saillants et méritent d’être évalués au terme de ce mandat. Je pense qu’il peut servir en tant que bonne pratique pour d’autres institutions nationales ou d’autres instances des droits humains et de bonne gouvernance au Maroc ou à l’étranger. Sans oublier de souligner que le CNDH est la première institution à avoir présenté ses propositions pour la mise en place de l’APALD sur la base du référentiel international en la matière et au vu des expériences internationales.
disparition de son frère l’avait poussée à aller de l’avant et crier contre toutes les injustices. Actuellement, elle
représente un mouvement marocain
des droits humains au sein d’une
institution onusienne. Un long
parcours, une grande persévérance
et un grand sens de justice.
Libé : Quel sens donnez-vous au 8 Mars aujourd’hui ?
Houria Esslami : Le 8 mars est toujours une occasion de faire le point sur la situation des femmes dans le monde. Laquelle situation connaît, selon de récentes études et contrairement à ce que l’on pourrait croire, une certaine régression. Cela nous conduit, toutes et tous, à l’échelon national et international, à nous interroger sur la mise en œuvre de tous les mécanismes pour garantir l’égalité et la parité, mais aussi la protection des femmes et des filles contre toutes les formes de violence et de discrimination.
Vous allez célébrer cette journée internationale à Buenos Aires, où vous êtes en mission au sein du Groupe de travail onusien sur les disparitions forcées. Que signifie cela pour vous ?
En réalité, je serais sur le chemin du retour de Buenos Aires où se tient actuellement la 105ème session du GTDFI et qui coïncide cette année avec le 35ème anniversaire du Groupe. Et c’est l’occasion de souligner que je suis la deuxième femme élue dans ce groupe depuis 35 ans, après ma collègue Jasminska Dzjumhur de la Bosnie-Herzégovine. Cela est d’autant plus injuste lorsqu’on sait qu’à travers le monde et depuis plus de quatre décennies, le combat contre la disparition forcée et pour la vérité a été majoritairement porté par des femmes, que ce soit en Amérique latine (exemple les mères et les grands-mères de la Place de mai), en Asie, au Liban, en Algérie, au Maroc, etc. Je tiens à cette occasion à rendre hommage à toutes ces femmes (mères, grands-mères, sœurs, épouses, filles, etc) des familles des disparus dont la lutte a duré des fois plus de quatre décennies sans relâche. Bien plus, cette lutte a été le précurseur pour la mise en place de mécanismes de protection tels que la Déclaration de 1992, le GTDFI lui-même et la Convention de protection de toutes les personnes contre la disparition forcée ou involontaire entrée en vigueur il y a juste quatre ans.
Dans votre parcours professionnel et civil, avez-vous senti un jour que vous êtes exclue à cause de votre sexe ?
Sans nul doute, pas exclue mais discriminée, pour employer le mot juste, par le simple fait d’être une femme. Se voir refuser l’accès à un titre d’une responsabilité que l’on exerce sur le plan professionnel réel, alors que votre prédécesseur, de sexe masculin, y avait droit dans les mêmes conditions, est une discrimination flagrante et contre laquelle il n’y a aucun moyen de recours. Sur le plan civil également, les choses ne sont pas aussi évidentes que l’on pourrait croire. Votre façon de voir les choses différemment peut délibérément, à mauvais escient et en tirant profit des stéréotypes, favoriser votre discrimination. Cela sans parler du fait qu’en tant que femme, on devrait redouble d’efforts pour être «parfaite» là où des confrères de sexe masculin ne frôlent pas le parfait. Cela, bien sûr, n’est pas général ; on peut aussi parfois et rarement bénéficier de la discrimination positive à compétences égales.
Que pouvez-vous dire sur la situation féminine au Maroc aujourd’hui ?
Comparé à d’autres pays de la région, le Maroc demeure relativement un pays où les femmes bénéficient de droits fondamentaux et peuvent encore réaliser des progrès. Cependant, il reste beaucoup à faire en termes d’égalité des chances, de protection contre la violence, d’accès aux postes de responsabilité, et de statut en tant que citoyenne à part entière ayant les mêmes droits et obligations que les hommes. Cela sans parler des stéréotypes sociaux qui nous interpellent toutes et tous. D’ailleurs, notre pays, il faut le souligner, est classé 133ème parmi 148 pays.
Ne craignez-vous pas une régression des acquis sous un gouvernement islamiste ?
Nous avons aujourd’hui une Constitution qui a consacré l’égalité, la non discrimination et la parité. Le Maroc a également des engagements internationaux en termes de conventions et de protocoles facultatifs pertinents auxquels il ne peut se soustraire. Nous avons aussi obtenu en 2014 l’amendement du fameux article 475 du Code pénal. Le projet de loi sur l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination prévue dans l’article 19 de la Constitution sera discuté par le gouvernement actuel avant d’être soumis au Parlement. Par ailleurs, le Maroc dispose d’un mouvement féministe et d’une société civile qui ont cumulé une grande expertise en la matière et qui jouissent aujourd’hui d’une capacité de mobilisation et de plaidoyer à même d’influencer ce projet afin qu’il soit conforme aux dispositions et à l’esprit de la Constitution. Je souhaite de tout cœur que le Parlement qui est aujourd’hui la source de la législation par excellence, puisse honorer les engagements internationaux du Maroc mais aussi répondre aux aspirations légitimes de la moitié de sa population.
Quels sont, selon vous, les cas de régression par rapport au passé ?
Si on ne fait pas, par exemple, une évaluation d’une décennie de la mise en œuvre du Code de la famille, si l’on ne réforme pas des textes dont l’application révèle beaucoup d’imperfections qui vont à l’encontre de l’esprit dans lequel le texte initial a été élaboré, cela constitue une régression. Si l’on constate aujourd’hui après 10 ans que l’on vit encore les mêmes problèmes sous d’autres formes de détournement des objectifs, cela va mal et c’est également une régression. Si l’on n’arrive pas à adopter une loi qui protège les femmes contre toutes les formes de violence (qui dépassent aujourd’hui les 62%), si on continue à employer les filles mineures comme travailleuses domestiques en se prévalant de l’âge légal de travail de 15 ans et faisant fi de tous les drames sociaux qui en résultent, si 30.000 filles mineures se marient toujours, celui n’avance pas recule, comme dirait l’adage.
Vous êtes aussi membre du CNDH. Quelle évaluation faites-vous de la place et de la contribution des femmes membres de cette institution ?
Je pense que le CNDH Maroc a donné un très bon exemple d’abord en termes de parité. Nous sommes quelque 45% de femmes à porter l’emblème de cette institution. Au niveau de quelques commissions régionales, nous avons pu atteindre ou même franchir les 50%.
Au niveau central, presque 4 des 5 groupes de travail ont comme présidentes ou rapporteures ou les deux des femmes. La représentativité et l’apport des femmes demeurent très saillants et méritent d’être évalués au terme de ce mandat. Je pense qu’il peut servir en tant que bonne pratique pour d’autres institutions nationales ou d’autres instances des droits humains et de bonne gouvernance au Maroc ou à l’étranger. Sans oublier de souligner que le CNDH est la première institution à avoir présenté ses propositions pour la mise en place de l’APALD sur la base du référentiel international en la matière et au vu des expériences internationales.