Honnie soit l’année 2020 !


Libé
Lundi 11 Janvier 2021

En guise d’introduction à mon propos, je voudrais partager avec vous la quintessence d’un article de presse que j’ai lu il y a quelques jours. L’article en question parle d’une société vinicole argentine qui a eu l’ingénieuse idée de baptiser un de ses vins «2020LPTQP». Un acronyme barbare qui renvoie à une insulte très répandue dans ce pays sudaméricain et dont le sens est «La p… qui t’a porté » ! Les concepteurs de ce millésime si particulièrement baptisé voulaient, ainsi, inviter leur clientèle à porter un dernier toast pour en finir avec une année 2020 ébranlée par la Covid 19. C’est une façon originale de conjurer le sort et d’accueillir, avec espérance, la nouvelle année. Ce magistral coup de marketing s’est traduit, en quelques jours, par une rupture des stocks au moment où le virus et sa progéniture mutante continuent à essaimer en se jouant des modifications du calendrier. Changer d’année n’a été d’aucun effet sur la dangerosité du virus ravageur. Cette lapalissade ne se veut point désopilante car le monde entier continue à se débattre pour sortir de la pandémie. Une course contre la montre est lancée depuis des mois pour tenter de juguler le mal qui rôde. Elle est, toutefois, menée à la petite semaine pour des raisons multiples dont la méconnaissance du virus et de la façon de le combattre et la nécessité discutable de sauver autant que faire se peut l’activité économique, quitte à jouer avec des vies humaines. L’année qui vient de tirer sa révérence fut singulière, sombre et lugubre. Nous l’avons traversée avec un profond sentiment de peur et d’incertitude devant un lendemain confus, un avenir en suspens. Elle fut surchargée de cortèges funéraires qui ont pris le dessus sur les convois de mariage et autres manifestations festives qui constituent, pourtant, les liants essentiels de la vie en société. Toutes les familles et tous les corps de métiers furent, de près ou de loin, frappés par le chagrin de la séparation ultime. Il faut ajouter à ceci le désarroi psychologique accentué par la nécessité de réduire au minimum les fréquentations. Ainsi, l’homme ; l’animal social par excellence ; s’est retrouvé cloîtré, dépourvu de sa liberté de mouvement au nom du salut collectif et réduit, dans de trop nombreux cas, à quémander de quoi subvenir à ses besoins élémentaires. La pandémie du coronavirus a mis un frein définitif à de nombreuses activités économiques et condamné d’autres à survivre sous perfusion. Une crise très profonde s’est installée. Elle va engendrer une longue période de disette aux multiples corollaires : misère, complications sanitaires, souffrances psychologiques, insécurité, etc. Une liste étendue qui annonce des lendemains difficiles à tous les niveaux. La crise sanitaire, la marque de fabrique de l’année 2020, a pu néanmoins offrir à chacun de quoi nourrir et conforter ses convictions et ses prétentions. Elle a permis, en effet, la validation de toutes les thèses y compris les plus rocambolesques. Les chantres du complotisme ont trouvé dans la gestion internationale de la crise sanitaire de quoi étayer aisément les théories les plus farfelues. Le documentaire “Hold UP”, que l’on peut visualiser sur YouTube, est unique en la matière. Ces réalisateurs ont su édifier , grâce à une savante juxtaposition des propos de spécialistes, de scientifiques et de politiques, une thèse qui tient “la route”. En effet, malgré l’aversion qu’on peut avoir pour l’idée du complot permanent, il est loisible de reconnaître la pertinence des questions soulevées dont à titre d’exemple : Quelle est l’origine du virus ? Pourquoi d’éminents professeurs ont-ils été mis à l’index parce qu’ils tiennent des propos différents du discours officiel ? Pourquoi des pays comme la France ont-ils dénigré la chloroquine ? Y a-t-il des conflits d’intérêts entre la gestion de la pandémie et l’industrie pharmaceutique? Ces questions et beaucoup d’autres alimentent les thèses complotistes qui vont, même, jusqu’à affirmer que le virus fut créé pour réduire la population mondiale ! La crise sanitaire a permis aux écologistes de valider leurs approches sur la nécessité de produire et consommer en circuit court. La succession des périodes de confinement a, en outre, drastiquement baissé la circulation automobile. L’air dans les grandes métropoles est devenu, de facto, plus respirable. Cette causalité les incite à tenir un ou plutôt des discours plus acérés sur la politique de la ville et sur les moyens de transport. Pour les religieux, la pandémie n’est rien d’autre qu’un avertissement de Dieu pour rappeler à l’homme son insignifiance originelle. La crise sanitaire n’est, à leurs yeux, que le résultat logique de l’éloignement de l’homme de la Voie de la rectitude. D’ailleurs, ces acteurs de la foi (peu importe leur obédience) ont mené une campagne virulente, notamment sur les réseaux sociaux et les médias, pour imposer l’ouverture des lieux de culte aux prières collectives. Ce mouvement fut très actif au Maroc qui connaît, comme la majorité des pays arabo-musulmans, une religiosité croissante à cause du vacuum idéologique dominant et inquiétant. Ces trois exemples sociétaux suffisent pour démontrer comment la pandémie a donné du grain à moudre à toutes les théories.

A quoi s’attendre pour 2021 ?
Répondre à cette question relève de la supputation. Ce qui est néanmoins certain, c’est que la nouvelle année commence avec l’espoir de voir la vaccination circonscrire le virus et rendre à l’homme sa liberté de mouvement. Cet espoir est quelque peu douché par la série de mutations que connaît la Covid-19 et qui la rendent, selon des spécialistes, plus contaminante, voire plus virulente. En tout cas, les citoyens que nous sommes sont sidérés par la difficulté de saisir la vérité sur l’origine du virus. Ceci semble, pourtant, être le moyen le plus pertinent pour stopper la fragmentation sociale et la déstabilisation mentale qui en découlent. Le monde de demain ne peut se reconstruire solidement sans une adhésion massive des populations. L’après-Covid-19 impose une remise en question profonde de nos politiques dans tous les domaines. Pour ce qui est du Maroc, la pandémie a mis à nu notre système de santé défaillant. Le recours au privé pour compenser les manquements du service public s’est avéré problématique et pour le moins inadapté. Les paiements onéreux et par avance des frais d’hospitalisation des patients en détresse vitale ont dissuadé de nombreux citoyens de se soigner. Cette situation a donné, à juste titre, raison aux défenseurs de services publics modernes et accessibles à tous. La Covid-19 ne fouille pas les poches des gens avant de les contaminer! Et il suffit que le ver affecte la pomme pour que tout le pommier se retrouve en danger. Ainsi, il est plus que jamais essentiel que des secteurs comme la santé et l’enseignement retrouvent la place qu’ils méritent comme missions régaliennes de l’Etat. Tel est le vœu que je formule pour notre beau pays en ce début d’année.
Par Mohamed Lmoubariki
Historien


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