Hocine Zeghbib, maître de conférences honoraire de droit public à l’ université Paul Valéry-Montpellier III


Le président Macron essaie de rassurer mais de manière, hélas, peu rassurante !

Libé
Lundi 9 Novembre 2020

La nouveauté aujourd’hui, c’est la convergence de plus en plus forte entre les idées anti-immigrés musulmans et celles désormais revendiquées sans plus aucun complexe par une large frange de la droite traditionnelle

Hocine Zeghbib, maître de conférences honoraire de droit public à l’ université Paul Valéry-Montpellier III
Emmanuel Macron déclare la guerre au terrorisme et à la migration irrégulière. L’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty et l’attentat dans la basilique de Nice commis respectivement par un immigré tchétchène et un Tunisien arrivé clandestinement en France en provenance d’Italie ont remis au goût du jour le débat sur les liens entre terrorisme et migration. Pour plusieurs observateurs, le nouveau positionnement du président Macron traduit un basculement à droite, voire l’extrême droite. En effet, la relation entre l’immigration et le terrorisme a été souvent utilisée comme argument par l’extrême droite mais rarement par le reste de la classe politique. Retour sur cette mutation avec Hocine Zeghbib, maître de conférences honoraire de droit public à l’université Paul Valéry – Montpellier II

Libération : Les dernières annonces du président Macron concernant la lutte contre la menace terroriste, les trafics et l'immigration illégale, répondent-elles à de réelles menaces sécuritaires ou s'agit-il d'une action purement politique (contexte électoral oblige) ?
Hocine Zeghbib :
Différents projets d’ordre législatif, notamment, suivis ou précédés d’annonces parfois fracassantes du président Macron, occupent la scène politique et médiatique française de ces dernières semaines. Le contexte sanitaire, couplé au contexte sécuritaire, leur donne une tonalité particulière et les inscrit dans une surenchère partisane, particulièrement délétère, aussi bien au sein de la droite traditionnelle que, a fortiori, au sein de l’extrême droite, toutes tendances confondues : « droite epéniste » et « droite hors les murs ». Le concours Lépine des meilleures trouvailles pour combattre le terrorisme islamiste, bien souvent assimilé aux immigrés de confession musulmane ou supposés tels, pouvait alors s’ouvrir : Guantanamo à la française, déportation aux îles Kerguelen, surveillance à vie des personnes condamnées pour islamisme ayant purgé leur peine mais que l’on ne peut expulser, etc. La liste est hélas encore longue. Pour être précis, la nouveauté dans cette triste compétition, c’est la convergence de plus en plus forte entre les idées anti-immigrés musulmans autrefois portées par la seule extrême droite et celles désormais revendiquées sans plus aucun complexe, bien au contraire, par une large frange de la droite traditionnelle, le tout se prévalant d’une opinion publique travaillée par la peur de la Covid-19 et des attentats terroristes la rendant de plus en plus réceptive aux sirènes des discours sécuritaires, voire à l’autoritarisme. L’offensive politique et médiatique du président Macron s’inscrit dans ce contexte, en subit le contrecoup, y résiste faiblement, veut en anticiper les effets politiques et s’enfonce chaque jour davantage dans une sorte de surenchère pensée pour être suffisamment autonome tout en conservant en ligne de mire la (re) conquête d’une large base électorale en vue de 2022. En somme, le perpétuel « en même temps » macronien, sauf que cette fois, la pression de la droite lui fait franchir une ligne rouge dangereuse le faisant basculer, doucement mais sûrement, dans le camp de ceux qui entrent en compétition ouverte avec les droites sur leur terrain favori : le combat contre l’immigration irrégulière en lien avec le terrorisme islamiste. Sa récente déclaration du 5 novembre, faite depuis les Pyrénées Orientales, se love dans ce flou qui se veut à la fois ferme et conscient de ses limites. Raison pour laquelle le président Macron tente de convaincre en interne en se plaçant dans le sillage des idées des droites et en externe, tout en en espérant des retombées internes sur les musulmans de France, multiplie les prises de paroles pour rassurer les pays musulmans peu enthousiastes de ses prises de positions à la suite des récents attentats terroristes. Bref, si les menaces sécuritaires existent bel et bien, l’arsenal juridique pour y faire face existe déjà même s’il faut s’intéresser davantage aux réseaux sociaux et il n’est pas apporté la preuve intangible qu’il faille en rajouter encore. La seule urgence que semble viser le président Macron, c’est de rassurer à court terme mais surtout de baliser le chemin vers 2022…de manière, hélas, peu rassurante !

Ce genre d'annonces ne risque-til pas d'exacerber les tensions et les amalgames au détriment des communautés des migrants ?
C’est le risque, en effet, dont le président Macron et sa majorité semblent avoir, après coup, pris conscience. Les opérations de communication menées en interne comme en externe sont destinées à circonscrire l’incendie. Mais une frange de la majorité présidentielle reste convaincue qu’il faut suivre, même à distance, le chemin dangereux que creusent les droites. L’occasion en devait être hier lors du débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de sécurité globale. D’autres envisagent de durcir davantage les propositions déjà dangereuses tant elles définissent peu et mal les frontières entre Islam/islamisme/musulmans/immigration contenues dans la loi sur les Séparations qui sera débattue à compter du 9 décembre prochain. Tout cela dans un climat politique, social et sanitaire des plus abîmés et dans lequel tous les amalgames ne seront pas évités, bien au contraire. Les risques de radicalisation des positions ne sont, hélas, pas conjurés.

Y a-t-il des liaisons dangereuses entre le terrorisme et la migration ou s'agit-il plutôt de deux sujets distincts ?
En réalité, c’est tout le cœur du débat actuel. Le président Macron, le 5 novembre, a déclaré que « des actions terroristes peuvent être menées par des personnes qui utilisent les flux migratoires pour menacer le sol national». Son entourage a aussitôt avalisé, en tentant d’en amoindrir la portée, l’idée que les flux migratoires pourraient être instrumentalisés par le terrorisme. Il n’en a pas fallu plus pour que les droites s’engouffrent dans la brèche ouverte pour déclarer « qu’il y a bien un lien entre terrorisme et immigration ». L’idée défendue depuis longtemps déjà par la « famille Le Pen » trouve ainsi, à peu de frais, une sorte d’officialisation. Depuis, toutes les forces de droite ne cessent d’enfoncer le clou. fragilisant davantage la ligne de défense de la majorité présidentielle. Cela, au plan du constat politique. Au plan académique, le débat est ancien et refait aujourd’hui surface. Deux positions parallèles s’affrontent : l’une considérant qu’un lien quasi-automatique entre immigration et terrorisme existe bel et bien et que le remède contre le terrorisme va, sur une échelle décroissante, de la fermeture totale des frontières et de l’expulsion systématique des immigrés irréguliers (dans cette vision, l’irrégularité se fabrique à tour de bras administratifs) à une maîtrise des flux migratoires (dont a pu mesurer les conséquences avec les politiques de « migrations choisies » appliquées dès le milieu des années 2000. Cette première position est aujourd’hui encore réactivée malgré la faiblesse des arguments développés (un exemple frappant est celui du rapport publié en 2018 par l’administration Trump démonté par la critique (https://www.nytimes.com/2018/01/16 /us/politics/trump-immigration-terrorconvictions.html ). L’une des « études » les plus récentes n’est pas plus convaincante tant les arguments développés sont emprunts d’idéologie droitière ( h t t p : / / i n s t i t u t - t h o m a s - more.org/2020/10/22/islamisme- %c2%b7-pour-une-politique-integrale/). La seconde position considère, à l’inverse, que le lien entre immigration et terrorisme ne peut être établi. Une étude sérieuse intitulée « Does Immigration InduceTerrorism? » (https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/684 679), basée sur les données de la Banque mondiale et de la Global TerrorismDatabase de l’université du Maryland, montre que si le terrorisme peut s’appuyer sur les réseaux migratoires pour recruter et répandre son idéologie, les flux de migrants en eux-mêmes ne contribuent pas à une montée du terrorisme dans les pays d’accueil. C’est même plutôt le contraire: plus l’immigration augmente, moins la menace terroriste est présente. Dans la situation questionnée, bien que l’attentat de Nice ait été perpétré par un migrant irrégulier tout juste arrivé en France via l’Italie, le raccourci entre immigration et terrorisme ne peut être pris sans risque d’erreur contraire aux résultats des recherches actuelles sur le sujet et, avant toute chose, à la cohésion de la société tout entière. Depuis toujours, la migration est accusée de tous les maux qu’une société peine à régler : le migrant est vecteur de maladies, de trafics de tous genres, de crimes, etc. La réalité que le long temps restitue est celle d’une intégration économique d’abord, sociale et politique ensuite, et culturelle enfin. Ce sont ces chantiers qui doivent être prioritaires loin des amalgames qui favorisent la fuite en avant et politiques publiques inadaptées. Le lien à établir d’urgence c’est entre des les politiques publiques adéquates et l’immigration, et non entre l’immigration et le terrorisme quel que soit le qualificatif dont on l’affuble.

 

​Bio express

Zeghbib Hocine est professeur de droit administratif, droit européen, droit des étrangers et des migrations internationales. Il est titulaire d’un DEA en droit administratif approfondi, d’un DES en Sciences juridiques et d’un doctorat d'Etat en Droit de la Faculté de droit, Université de Montpellier. Il est l’ex-directeur du Master Erasmus Mundus Migrations Inter Méditerranéennes (UPVM). Il est aujourd’hui maître de conférences à l’Université Paul Valéry – Montpellier III, expert auprès du Consortium du Master médiation inter méditerranéenne et membre du Centre d'études et de recherches administratives de Montpellier (CREAM - Université de Montpellier).


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