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Puisque le hasard nous en a fait découvrir la vertu, faisons-en un usage qui nous soit profitable, mais d’une manière qui soit sans éclat et qui ne nous attire pas l’envie et la jalousie de nos voisins. Je veux bien l’ôter de devant vos yeux et la mettre dans un lieu où je la trouverai quand il en sera besoin, puisque les génies vous font tant de frayeur. Pour ce qui est de l’anneau, je ne saurais aussi me résoudre à le jeter. Sans cet anneau, vous ne m’eussiez jamais revu, et si je vivais à l’heure qu’il est, ce ne serait peut-être que pour peu de moments. Vous me permettrez donc de le garder et de le porter toujours au doigt bien précieusement. Qui sait s’il ne m’arrivera pas quelque autre danger, que nous ne pouvons prévoir ni vous ni moi, dont il pourra me délivrer ? » Comme le raisonnement d’Aladdin paraissait assez juste, sa mère n’eut rien à y répliquer. « Mon fils, lui dit-elle, vous pouvez faire comme vous l’entendrez : pour moi, je ne voudrais pas avoir affaire avec des génies. Je vous déclare que je m’en lave les mains et que je ne vous en parlerai pas davantage. » Le lendemain au soir, après le souper, il ne resta rien de la bonne provision que le génie avait apportée. Le jour suivant, Aladdin, qui ne voulait pas attendre que la faim le pressât, prit un des plats d’argent sous sa robe et sortit du matin pour l’aller vendre.
Il s’adressa à un juif qu’il rencontra dans son chemin. Il le tira à l’écart, et en lui montrant le plat, il lui demanda s’il voulait l’acheter. Le juif, rusé et adroit, prend le plat, l’examine, et il n’eut pas plutôt connu qu’il était de bon argent, qu’il demanda à Aladdin combien il l’estimait. Aladdin, qui n’en connaissait pas la valeur et qui n’avait jamais fait commerce de cette marchandise, se contenta de lui dire qu’il savait bien lui-même ce que ce plat pouvait valoir, et qu’il s’en rapportait à sa bonne foi. Le juif se trouva embarrassé de l’ingénuité d’Aladdin.
Dans l’incertitude où il était de savoir si Aladdin en connaissait la matière et la valeur, il tira de sa bourse une pièce d’or, qui ne faisait au plus que la soixante-deuxième partie de la valeur du plat, et il la lui présenta. Aladdin prit la pièce avec un grand empressement, et dès qu’il l’eut dans la main, il se retira si promptement, que le juif, non content du gain exorbitant qu’il faisait par cet achat, fut bien fâché de n’avoir pas pénétré qu’Aladdin ignorait le prix de ce qu’il lui avait vendu, et qu’il aurait pu lui en donner beaucoup moins. Il fut sur le point de courir après le jeune homme pour tâcher de retirer quelque chose de sa pièce d’or ; mais Aladdin courait, et il était déjà si loin qu’il aurait eu de la peine à le joindre.
(A suivre)