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Aladdin, qui avait déjà commencé à lui jeter de l’eau sur le visage sans effet, se mit en devoir de recommencer pour la faire revenir ; mais soit que les esprits qui s’étaient dissipés se fussent enfin réunis, ou que l’odeur des mets que le génie venait d’apporter y eût contribué pour quelque chose, elle revint dans le moment, « Ma mère, lui dit Aladdin, cela n’est rien, levez-vous et venez manger : voici de quoi vous remettre le coeur et en même temps de quoi satisfaire au grand besoin que j’ai de manger. Ne laissons pas refroidir de si bons mets, et mangeons.
La mère d’Aladdin fut extrêmement surprise quand elle vit le grand bassin, les douze plats, les six pains, les deux bouteilles et les deux tasses, et qu’elle sentit l’odeur délicieuse qui s’exhalait de tous ces plats. « Mon fils, demanda-t-elle à Aladdin, d’où nous vient cette abondance, et à qui sommes-nous redevables d’une si grande libéralité ? Le sultan aurait-il eu connaissance de notre pauvreté et aurait-il eu compassion de nous ?
– Ma mère, reprit Aladdin, mettons-nous à table et mangeons, vous en avez besoin aussi bien que moi ; je vous le dirai quand nous aurons déjeuné. » Ils se mirent à table, et ils mangèrent avec d’autant plus d’appétit que la mère et le fils ne s’étaient jamais trouvés à une table si bien fournie. Pendant le repas, la mère d’Aladdin ne pouvait se lasser de regarder et d’admirer le bassin et les plats, quoiqu’elle ne sût pas trop distinctement s’ils étaient d’argent ou d’une autre matière, tant elle était peu accoutumée à en voir de pareils ; et, à proprement parler, sans avoir égard à leur valeur, qui lui était inconnue, il n’y avait que la nouveauté qui la tenait en admiration, et son fils Aladdin n’en avait pas plus de connaissance qu’elle. Aladdin et sa mère, qui ne croyaient faire qu’un simple déjeuner, se trouvèrent encore à table à l’heure du dîner. Des mets si excellents les avaient mis en appétit, et pendant qu’ils étaient chauds, ils crurent qu’ils ne feraient pas mal de joindre les deux repas ensemble et de n’en pas faire à deux fois. Le double repas fini, il leur resta non seulement de quoi souper, mais même assez de quoi en faire deux autres repas aussi forts le lendemain.
Quand la mère d’Aladdin eut desservi et mis à part les viandes auxquelles ils n’avaient pas touché, elle vint s’asseoir sur le sofa auprès de son fils, « Aladdin, lui dit-elle, j’attends que vous satisfassiez à l’impatience où je suis d’entendre le récit que vous m’avez promis. » Aladdin lui raconta exactement tout ce qui s’était passé entre le génie et lui pendant son évanouissement jusqu’à ce qu’elle fût revenue à elle.
La mère d’Aladdin était dans un grand étonnement du discours de son fils et de l’apparition du génie. «Mais, mon fils, reprit-elle, que voulez-vous dire avec vos génies? Jamais, depuis que je suis au monde, je n’ai entendu dire que personne de ma connaissance en eût vu. Par quelle aventure ce vilain génie est-il venu à moi ? Pourquoi s’est-il adressé à moi et non pas à vous, à qui il a déjà apparu dans le caveau du trésor ?
– Ma mère, repartit Aladdin, le génie qui vient de vous apparaître n’est pas le même qui m’est apparu. Ils se ressemblent en quelque manière par leur grandeur de géant, mais ils sont entièrement différents par leur mine et par leur habillement : aussi sont-ils à différents maîtres. Si vous vous en souvenez, celui que j’ai vu s’est dit esclave de l’anneau que j’ai au doigt, et celui que vous venez de voir s’est dit esclave de la lampe que vous aviez à la main ; mais je ne crois pas que vous l’ayez entendu : il me semble en effet que vous vous êtes évanouie dès qu’il a commencé à parler.
– Quoi ! s’écria la mère d’Aladdin, c’est donc votre lampe qui est cause que ce maudit génie s’est adressé à moi plutôt qu’à vous ? Ah ! mon fils, ôtez-la de devant mes yeux et mettez-la où il vous plaira, je ne veux plus y toucher. Je consens plutôt qu’elle soit jetée ou vendue que de courir le risque de mourir de frayeur en la touchant.
(A suivre)