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Adieu, ma fille, dit-elle à Nouzhat-Oulaoudat ; si je pouvais vous tenir compagnie plus longtemps, je le ferais de bon coeur ; mais je ne puis m’arrêter davantage ; mon devoir me presse d’aller incessamment délivrer notre bonne maîtresse de l’inquiétude affligeante où ce vilain noir l’a plongée par son impudent mensonge, en lui assurant, même avec serment, que vous étiez morte. »
À peine la nourrice de Zobéide eut fermé la porte en sortant, que Nouzhat-Oulaoudat, qui jugeait bien qu’elle ne reviendrait pas, tant elle avait hâte de rejoindre la princesse, essuya ses larmes, débarrassa au plus tôt Abou-Hassan de tout ce qui était autour de lui, et ils allèrent tous deux reprendre leurs places sur le sofa contre la jalousie, en attendant tranquillement la fin de cette tromperie, toujours prêts à se tirer d’affaire, de quelque côté qu’on voulût les prendre. La nourrice de Zobéide, cependant, malgré sa grande vieillesse, avait pressé le pas en revenant encore plus qu’elle n’avait fait en allant.
Le plaisir de porter à la princesse une bonne nouvelle, et plus encore l’espérance d’une bonne récompense, la firent arriver en peu de temps. Elle entra dans le cabinet de la princesse presque hors d’haleine, et en lui rendant compte de sa commission, elle raconta naïvement à Zobéide tout ce qu’elle venait de voir. Zobéide écouta le rapport de sa nourrice avec un plaisir des plus sensibles, et elle le fit bien voir, car dès qu’elle eut achevé, elle dit à sa nourrice d’un ton qui marquait gain de cause : « Raconte donc la même chose au Commandeur des croyants, qui nous regarde comme dépourvues de bon sens, et qui, avec cela, voudrait nous faire accroire que nous n’avons aucun sentiment de religion, et que nous n’avons pas la crainte de Dieu.
Dis-le à ce méchant esclave noir qui a l’insolence de me soutenir une chose qui n’est pas et que je sais mieux que lui. » Mesrour, qui s’était attendu que le voyage de la nourrice et le rapport qu’elle ferait lui seraient favorables, fut vivement mortifié de ce qu’il avait réussi tout au contraire. D’ailleurs, il se trouvait piqué au vif de l’excès de la colère que Zobéide avait contre lui pour un fait dont il se croyait plus certain qu’aucun autre.
C’est pourquoi il fut ravi d’avoir occasion de s’en expliquer librement avec la nourrice, plutôt qu’avec la princesse, à laquelle il n’osait répondre, de crainte de perdre le respect. « Vieille sans dents, dit-il à la nourrice sans aucun ménagement, tu es une menteuse, il n’est rien de tout ce que tu dis. J’ai vu de mes propres yeux Nouzhat-Oulaoudat étendue morte au milieu de sa chambre.
« – Tu es un menteur, et un indigne menteur toi-même, reprit la nourrice d’un ton insultant, d’oser soutenir une telle fausseté, à moi qui sors de chez Abou-Hassan, que j’ai vu étendu mort, et qui vient de quitter sa femme pleine de vie.
« – Je ne suis pas un imposteur, repartit Mesrour ; c’est toi qui cherches à nous jeter dans l’erreur.
« – Voilà une grande effronterie, répliqua la nourrice, d’oser me démentir ainsi en présence de Leurs Majestés, moi qui viens de voir de mes propres yeux la vérité de ce que j’ai l’honneur de leur avancer !
« – Nourrice, repartit encore Mesrour, tu ferais mieux de ne point parler : tu radotes. » Zobéide ne put supporter ce manquement de respect de Mesrour, qui sans aucun égard traitait sa nourrice si injurieusement en sa présence. Ainsi, sans donner le temps à sa nourrice de répondre à cette injure atroce : « Commandeur des croyants, dit-elle au calife, je vous demande justice contre cette insolence, qui ne vous regarde pas moins que moi. » Elle n’en put dire davantage, tant elle était outrée de dépit ; le reste fut étouffé par ses larmes.
Le calife, qui avait entendu toute cette contestation, la trouva fort embarrassante. Il avait beau rêver, il ne savait que penser de toutes ces contrariétés. La princesse, de son côté, aussi bien que Mesrour, la nourrice et les femmes esclaves qui étaient là présentes, ne savaient que croire de cette aventure et gardaient le silence. Le calife enfin prit la parole : « Madame, dit-il en s’adressant à Zobéide, je vois bien que nous sommes tous des menteurs, moi le premier, toi, Mesrour, et toi, nourrice ; au moins il ne paraît pas que l’un soit plus croyable que l’autre : ainsi levons-nous et allons nous-mêmes sur les lieux reconnaître de quel côté est la vérité.
(A suivre)