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Histoire du dormeur éveillé


Libé
Jeudi 8 Août 2013

Histoire du dormeur éveillé
Le mariage se fit, et les noces furent célébrées dans le palais avec de grandes réjouissances, qui durèrent plusieurs jours. Zobéide se fit un point d’honneur de faire de riches présents à son esclave pour faire plaisir au calife, et le calife, de son côté, en considération de Zobéide, en usa de même envers Abou-Hassan. La mariée fut conduite au logement que le calife avait assigné à Abou-Hassan, son mari, qui l’attendait avec impatience.
Il la reçut au bruit de tous les instruments de musique et des choeurs de musiciens et musiciennes du palais, qui faisaient retentir l’air du concert de leurs voix et de leurs instruments. Plusieurs jours se passèrent en fêtes et en réjouissances accoutumées dans ces sortes d’occasions, après lesquels on laissa les nouveaux mariés jouir paisiblement de leurs amours. Abou-Hassan et sa nouvelle épouse étaient charmés l’un de l’autre. Ils vivaient dans une union si parfaite que, hors le temps qu’ils employaient à faire leur cour, l’un au calife et l’autre à la princesse Zobéide, ils étaient toujours ensemble et ne se quittaient point. Il est vrai que Nouzhat-Oulaoudat avait toutes les qualités d’une femme capable de donner de l’amour et de l’attachement à Abou-Hassan, puisqu’elle était selon les souhaits sur lesquels il s’était expliqué au calife, c’est-à-dire en état de lui tenir tête à table.
Avec ces dispositions, ils ne pouvaient manquer de passer ensemble leur temps très agréablement. Aussi leur table était-elle toujours mise et couverte, à chaque repas, des mets les plus délicats et les plus friands, qu’un traiteur avait soin de leur apprêter et de leur fournir. Le buffet était toujours chargé du vin le plus exquis, et disposé de manière qu’il était à la portée de l’un et de l’autre lorsqu’ils étaient à table.
Là, ils jouissaient d’un agréable tête-à-tête, et s’entretenaient de mille plaisanteries, qui leur faisaient faire des éclats de rire plus ou moins grands, selon qu’ils avaient mieux ou moins bien rencontré à dire quelque chose capable de les réjouir. Le repas du soir était particulièrement consacré à la joie. Ils ne s’y faisaient servir que des fruits excellents, des gâteaux et des pâtes d’amandes, et à chaque coup de vin qu’ils buvaient, ils s’excitaient l’un et l’autre par quelques chansons nouvelles, qui fort souvent étaient des impromptus faits à propos et sur le sujet dont ils s’entretenaient. Ces chansons étaient quelquefois accompagnées d’un luth ou de quelque autre instrument dont ils savaient toucher l’un et l’autre. Abou-Hassan et Nouzhat-Oulaoudat passèrent ainsi un assez long espace de temps à faire bonne chère et à se bien divertir. Ils ne s’étaient jamais mis en peine de leur dépense de bouche, et le traiteur qu’ils avaient choisi pour cela avait fait les avances.
Il était juste qu’il reçût quelque argent : c’est pourquoi il leur présenta le mémoire de ce qu’il avait avancé. La somme se trouva très forte. On y ajouta celle à quoi pouvait monter la dépense déjà faite en habits de noces des plus riches étoffes pour l’un et pour l’autre, et en joyaux de très grand prix pour la mariée ; et la somme se trouva si excessive qu’ils s’aperçurent, mais trop tard, que de tout l’argent qu’ils avaient reçu des bienfaits du calife et de la princesse Zobéide en considération de leur mariage, il ne leur restait précisément que ce qu’il fallait pour y satisfaire. Cela leur fit faire de grandes réflexions sur le passé, qui ne remédiaient point au mal présent. Abou-Hassan fut d’avis de payer le traiteur, et sa femme y consentit. Ils le firent venir et lui payèrent tout ce qu’ils lui devaient, sans rien témoigner de l’embarras où ils allaient se trouver sitôt qu’ils auraient fait ce paiement.
Le traiteur se retira fort content d’avoir été payé en belles pièces d’or à fleur de coin : on n’en voyait pas d’autres dans le palais du calife. Abou-Hassan et Nouzhat-Oulaoudat ne le furent guère d’avoir vu le fond de leur bourse. Ils demeurèrent dans un grand silence, les yeux baissés, et fort embarrassés de l’état où ils se voyaient réduits dès la première année de leur mariage. Abou-Hassan se souvenait bien que le calife, en le retenant dans son palais, lui avait promis de ne le laisser manquer de rien.
(A suivre)


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