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Le faux marchand promit tout. Ils se levèrent tous deux et ils prirent le chemin de la ville. Le calife, pour engager davantage Abou-Hassan : « Prenez confiance en moi, lui dit-il, je ne vous manquerai pas de parole, je vous le promets en homme d’honneur. Après cela vous ne devez point hésiter à mettre votre assurance en une personne comme moi, qui vous souhaite toute sorte de biens et de prospérités, et dont vous verrez les effets.
« – Je ne vous demande pas cela, repartit Abou-Hassan en s’arrêtant tout court : je me rends de bon coeur à vos importunités, mais je vous dispense de vos souhaits, et je vous supplie, au nom de Dieu, de ne m’en faire aucun. Tout le mal qui m’est arrivé jusqu’à présent n’a pris sa source, avec la porte ouverte, que de ceux que vous m’avez déjà faits.
« – Hé bien ! répliqua le calife en riant en lui-même de l’imagination toujours blessée d’Abou-Hassan, puisque vous le voulez ainsi, vous serez obéi, et je promets de ne vous en jamais faire.
« – Vous me faites plaisir de me parler ainsi, lui dit Abou- Hassan, et je ne vous demande pas autre chose. Je serai trop content pourvu que vous teniez votre parole. Je vous tiens quitte de tout le reste. » Abou-Hassan et le calife suivi de son esclave, en s’entretenant ainsi, approchaient insensiblement du rendez-vous. Le jour commençait à finir lorsqu’ils arrivèrent à la maison d’Abou-Hassan. Aussitôt il appela sa mère et se fit apporter de la lumière.
Il pria le calife de prendre place sur le sofa, et il se mit près de lui. En peu de temps le souper fut servi sur la table qu’on avait approchée près d’eux. Ils mangèrent sans cérémonie. Quand ils eurent achevé, la mère d’Abou-Hassan vint desservir, mit le fruit sur la table, et le vin avec les tasses près de son fils. Ensuite elle se retira et ne parut pas davantage.
Abou-Hassan commença à se verser du vin le premier et en versa ensuite au calife. Ils burent chacun cinq ou six coups en s’entretenant de choses indifférentes.
Quand le calife vit que Abou-Hassan commençait à s’échauffer, il le mit sur le chapitre de ses amours, et lui demanda s’il n’avait jamais aimé. « Mon frère, répondit familièrement Abou-Hassan, qui croyait parler à son hôte comme à son égal, je n’ai jamais regardé l’amour, ou le mariage, si vous voulez, que comme une servitude à laquelle j’ai eu toujours de la répugnance à me soumettre ; et jusqu’à présent je vous avouerai que je n’ai aimé que la table, la bonne chère et surtout le bon vin ; en un mot, qu’à me bien divertir et à m’entretenir agréablement avec des amis.
Je ne vous assure pourtant pas que je fusse indifférent pour le mariage ni incapable d’attachement si je pouvais rencontrer une femme de la beauté et de la belle humeur de celle que je vis en songe cette nuit fatale que je vous reçus ici la première fois, et que, pour mon malheur, vous laissâtes la porte de ma chambre ouverte, qui voulût bien passer les soirées à boire avec moi, qui sût chanter, jouer des instruments et m’entretenir agréablement, qui ne s’étudiât enfin qu’à me plaire et à me divertir : je crois, au contraire, que je changerais toute mon indifférence en un parfait attachement pour une telle personne, et que je croirais vivre très-heureux avec elle. Mais où trouver une femme telle que je viens de vous la dépeindre, ailleurs que dans le palais du commandeur des croyants, chez le grand vizir Jaâfar, ou chez les seigneurs de la cour les plus puissants, à qui l’or et l’argent ne manquent pas pour s’en pourvoir ? J’aime donc mieux m’en tenir à la bouteille : c’est un plaisir à peu de frais qui m’est commun avec eux.» En disant ces paroles, il prit sa tasse et il se versa du vin. « Prenez votre tasse, que je vous en verse aussi, dit-il au calife, et continuons de goûter un plaisir si charmant. » Quand le calife et Abou-Hassan eurent bu : « C’est grand dommage, reprit le calife, qu’un aussi galant homme que vous êtes, qui n’est pas indifférent pour l’amour, mène une vie si solitaire et si retirée.
« – Je n’ai pas de peine, repartit Abou-Hassan, à préférer la vie tranquille que vous voyez que je mène, à la compagnie d’une femme qui ne serait peut-être pas d’une beauté à me plaire, et qui d’ailleurs me causerait mille chagrins par ses imperfections et par sa mauvaise humeur. » Ils poussèrent entre eux la conversation assez loin sur ce sujet, et le calife, qui vit Abou-Hassan au point où il le désirait : « Laissez-moi faire, lui dit-il ; puisque vous avez le bon goût de tous les honnêtes gens, je veux vous trouver votre fait, et il ne vous en coûtera rien. À l’instant il prit la bouteille et la tasse d’Abou-Hassan, dans laquelle il jeta adroitement une pincée de la poudre dont il s’était déjà servi, lui versa une rasade, et en lui présentant la tasse : « Prenez, continua-t-il, et buvez d’avance à la santé de cette belle qui doit faire le bonheur de votre vie : vous en serez content. »
(A suivre)