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La Normandie a organisé le Forum mondial pour la paix le 30 septembre et le 1er octobre 2021 à Caen à l’Abbaye aux Dames sous le thème, “Paix mondiale et sécurité globale ; comment gouverner la paix ?” Hervé Morin, président de la région Normandie et ancien ministre de la Défense de la France entre 2007 et 2010, expose son point de vue à Libé sur les enjeux de la paix dans le monde et l’échec américain et occidental en Irak et en Afghanistan.
Pourquoi, tenez-vous chaque année depuis 5 ans à organiser un Forum pour la paix en Normandie ?
L’idée, c’est de devenir une terre de médiation et de réflexion à travers une chaire universitaire qu’on a construite. En clair, faire de la Normandie, terre de notre histoire, un haut lieu, un Davos de la paix, où l’on parle de sécurité, de développement durable, de stabilité, de construction et d’organisations internationales. Un haut lieu plus efficace pour prévenir les crises. Le but de ce forum est aussi de rassembler des responsables politiques, des intellectuels, des chercheurs, des philosophes ainsi que de nombreuses figures de la société civile et de l’engagement citoyen pour débattre de la sécurité et de la paix dans le monde. Il y a un énorme travail qui a été effectué avec les lycées dans le cadre d’un programme pédagogique, on a des milliers de jeunes dans la région Normandie qui travaillent sur ces questions. Un travail de fond est mené dans toute la société normande en partenariat avec l’Education nationale. Il y a également la chaire universitaire qui est un moyen de réfléchir sur les questions de prévention de la guerre. Cette année, nous avons fait un focus exceptionnel sur l’Afghanistan. La question afghane est une question centrale.
Vous avez dit que la question afghane est centrale. En tant qu’ancien ministre de la Défense de la France (2007-2010), quel bilan faites-vous de cette opération ?
Il nous faut inventer et bâtir un modèle dans lequel on privilégie le soft power sur le hard power pour arriver à construire en effet la paix et la stabilité. Nous y parviendrons en cessant de rester sur un modèle ethnocentré avec notre culture et notre histoire et en acceptant des différences qui parfois peuvent nous choquer, mais qui permettent, au bout du compte, de bâtir un système plus stable.
La guerre en Afghanistan, vous pensez que c’est un échec ?
La première raison de cet échec, c'est que l’on bâtit des modèles, mais qui sont des modèles ethnocentrés. On bâtit des modèles comme si bâtir une démocratie, une constitution à l'occidentale, c'était une histoire de quelques années. Nous avons mis, nous, des siècles à bâtir une démocratie. Quand on voit la Russie, c'est un bel exemple. L’Union soviétique est tombée et, pourtant, la Russie n'est toujours pas une démocratie. Quand on est en Afghanistan, qui n'a quasiment jamais été une démocratie et une république, sinon quand elle était dans les mains des Soviétiques, comment peut-on penser que, dans un pays de féodalité, d'ethnies, de minorités, de provinces, nous pouvons plaquer un modèle qui serait un modèle occidental ? Je crois que la première erreur, c'est de ne pas bâtir un modèle d'Etat de droit ou autant que possible, en tenant compte de l'histoire du pays. Nous voulons plaquer nos règles universalistes sur des pays et des cultures qui en sont éloignés. La deuxième raison de cet échec, disons-le, c'est aussi le jeu des voisins. Il est évident que quand vous êtes en Afghanistan et que vous avez comme voisins d'un côté le Pakistan et de l'autre l'Iran et que vous avez en plus la Chine, oui, c'est nécessairement compliqué d'arriver à bâtir un pays de paix et de stabilité.
A votre avis, est-ce que l’Europe est consciente que pour les Américains le dossier atlantique n'est plus une question centrale de leur politique de défense ?
Tous les ministres, tous les Premiers ministres, tous les Présidents de la République française ont essayé de bâtir un modèle d'Europe de la défense, de politique européenne de sécurité et de défense, capable en quelque sorte de porter nos messages, nos valeurs, notre modèle qui est un modèle absolument unique au monde, sans jamais s'en être donné les moyens. Et la question qui doit nous interroger et d'ailleurs qu'on retrouve à travers l'histoire australienne des sous-marins, est la suivante : est-ce qu'un jour on va prendre notre destin en main ? En vérité, nous n'arrivons pas encore à intégrer cette donnée fondamentale, qui est que les Etats-Unis considèrent que, désormais, l'espace stratégique fondamental, c'est la zone indo-pacifique et que la question atlantique n'est plus la question centrale de leur politique étrangère et de leur politique de défense. Cela nous imposerait à nous, Européens, puissance économique majeure encore aujourd'hui, de regarder les choses en face. Au lieu d'être dans la soumission, au lieu d'être dans le refus de prendre en main notre propre sécurité, au lieu d'être dans un comportement de vassalité, il nous faut accepter enfin une idée simple : nous n'assurerons notre sécurité, notre défense et nous ne porterons nos valeurs que si nous acceptons enfin de mettre en commun les éléments clés de ce que représentent une politique étrangère et une politique de sécurité européennes.
L’intervention de la France au Mali, est-elle aussi vouée à l’échec ?
On se trompe de modèle quand on pense que c’est la puissance militaire qui permet de bâtir des modèles de stabilité et de sécurité. Penser que c'est le hard power qui permet de bâtir un pays en sécurité, c'est se tromper, c'est manquer de modestie. Au bout du compte, si on veut bien regarder ces trente dernières années, nous sommes intervenus dans différents pays toujours avec ce modèle où la puissance militaire permettait de bâtir la structuration d'un Etat en paix et en sécurité et à chaque fois, on s'est trompé. On s'est trompé en Irak, on s'est trompé en Afghanistan et je peux déjà vous dire la fin, on se trompera au Mali de la même façon. En effet, à chaque fois, nous n’avons pas été en capacité de pouvoir bâtir une histoire et un modèle démocratique, ou tout du moins un Etat de droit. Même si les causes ne sont pas les mêmes, le même enlisement provoquera au bout du compte la même situation, c'est-à-dire l'effondrement complet et le retrait des forces européennes, françaises, pour l'essentiel, au Mali.
L’affaire des sous-marins entre la France et les Etats-Unis ne reflète-telle pas à votre avis une sorte de trahison de l’Amérique qui change de stratégie ?
L’affaire des sous-marins est autre à mon avis. Nous avons gagné un marché à un moment où il y avait un retrait américain et on a profité de ce retrait, dans un pays qui a voulu reconstruire sa filière et sa capacité militaire navales perdues. L’Australie a signé ce contrat mais au bout du compte, si on réfléchit bien, l’Australie c’est l’alliée traditionnelle des Etats-Unis. Les Américains proposent des sous-marins à propulsion nucléaire et ce projet rentre dans le cadre de l’alliance des pays anglo-saxons dans l’espace indopacifique qui devient prioritaire pour les Etats-Unis. Il est évident qu’on est dans une situation difficile et cela reste de la part des Australiens inélégant, c’est le moins que l’on puisse dire. Du côté américain, c’est l’oubli de ses alliés traditionnels. Entre les Etats, il y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts.
Pourquoi, tenez-vous chaque année depuis 5 ans à organiser un Forum pour la paix en Normandie ?
L’idée, c’est de devenir une terre de médiation et de réflexion à travers une chaire universitaire qu’on a construite. En clair, faire de la Normandie, terre de notre histoire, un haut lieu, un Davos de la paix, où l’on parle de sécurité, de développement durable, de stabilité, de construction et d’organisations internationales. Un haut lieu plus efficace pour prévenir les crises. Le but de ce forum est aussi de rassembler des responsables politiques, des intellectuels, des chercheurs, des philosophes ainsi que de nombreuses figures de la société civile et de l’engagement citoyen pour débattre de la sécurité et de la paix dans le monde. Il y a un énorme travail qui a été effectué avec les lycées dans le cadre d’un programme pédagogique, on a des milliers de jeunes dans la région Normandie qui travaillent sur ces questions. Un travail de fond est mené dans toute la société normande en partenariat avec l’Education nationale. Il y a également la chaire universitaire qui est un moyen de réfléchir sur les questions de prévention de la guerre. Cette année, nous avons fait un focus exceptionnel sur l’Afghanistan. La question afghane est une question centrale.
Vous avez dit que la question afghane est centrale. En tant qu’ancien ministre de la Défense de la France (2007-2010), quel bilan faites-vous de cette opération ?
Il nous faut inventer et bâtir un modèle dans lequel on privilégie le soft power sur le hard power pour arriver à construire en effet la paix et la stabilité. Nous y parviendrons en cessant de rester sur un modèle ethnocentré avec notre culture et notre histoire et en acceptant des différences qui parfois peuvent nous choquer, mais qui permettent, au bout du compte, de bâtir un système plus stable.
La guerre en Afghanistan, vous pensez que c’est un échec ?
La première raison de cet échec, c'est que l’on bâtit des modèles, mais qui sont des modèles ethnocentrés. On bâtit des modèles comme si bâtir une démocratie, une constitution à l'occidentale, c'était une histoire de quelques années. Nous avons mis, nous, des siècles à bâtir une démocratie. Quand on voit la Russie, c'est un bel exemple. L’Union soviétique est tombée et, pourtant, la Russie n'est toujours pas une démocratie. Quand on est en Afghanistan, qui n'a quasiment jamais été une démocratie et une république, sinon quand elle était dans les mains des Soviétiques, comment peut-on penser que, dans un pays de féodalité, d'ethnies, de minorités, de provinces, nous pouvons plaquer un modèle qui serait un modèle occidental ? Je crois que la première erreur, c'est de ne pas bâtir un modèle d'Etat de droit ou autant que possible, en tenant compte de l'histoire du pays. Nous voulons plaquer nos règles universalistes sur des pays et des cultures qui en sont éloignés. La deuxième raison de cet échec, disons-le, c'est aussi le jeu des voisins. Il est évident que quand vous êtes en Afghanistan et que vous avez comme voisins d'un côté le Pakistan et de l'autre l'Iran et que vous avez en plus la Chine, oui, c'est nécessairement compliqué d'arriver à bâtir un pays de paix et de stabilité.
A votre avis, est-ce que l’Europe est consciente que pour les Américains le dossier atlantique n'est plus une question centrale de leur politique de défense ?
Tous les ministres, tous les Premiers ministres, tous les Présidents de la République française ont essayé de bâtir un modèle d'Europe de la défense, de politique européenne de sécurité et de défense, capable en quelque sorte de porter nos messages, nos valeurs, notre modèle qui est un modèle absolument unique au monde, sans jamais s'en être donné les moyens. Et la question qui doit nous interroger et d'ailleurs qu'on retrouve à travers l'histoire australienne des sous-marins, est la suivante : est-ce qu'un jour on va prendre notre destin en main ? En vérité, nous n'arrivons pas encore à intégrer cette donnée fondamentale, qui est que les Etats-Unis considèrent que, désormais, l'espace stratégique fondamental, c'est la zone indo-pacifique et que la question atlantique n'est plus la question centrale de leur politique étrangère et de leur politique de défense. Cela nous imposerait à nous, Européens, puissance économique majeure encore aujourd'hui, de regarder les choses en face. Au lieu d'être dans la soumission, au lieu d'être dans le refus de prendre en main notre propre sécurité, au lieu d'être dans un comportement de vassalité, il nous faut accepter enfin une idée simple : nous n'assurerons notre sécurité, notre défense et nous ne porterons nos valeurs que si nous acceptons enfin de mettre en commun les éléments clés de ce que représentent une politique étrangère et une politique de sécurité européennes.
L’intervention de la France au Mali, est-elle aussi vouée à l’échec ?
On se trompe de modèle quand on pense que c’est la puissance militaire qui permet de bâtir des modèles de stabilité et de sécurité. Penser que c'est le hard power qui permet de bâtir un pays en sécurité, c'est se tromper, c'est manquer de modestie. Au bout du compte, si on veut bien regarder ces trente dernières années, nous sommes intervenus dans différents pays toujours avec ce modèle où la puissance militaire permettait de bâtir la structuration d'un Etat en paix et en sécurité et à chaque fois, on s'est trompé. On s'est trompé en Irak, on s'est trompé en Afghanistan et je peux déjà vous dire la fin, on se trompera au Mali de la même façon. En effet, à chaque fois, nous n’avons pas été en capacité de pouvoir bâtir une histoire et un modèle démocratique, ou tout du moins un Etat de droit. Même si les causes ne sont pas les mêmes, le même enlisement provoquera au bout du compte la même situation, c'est-à-dire l'effondrement complet et le retrait des forces européennes, françaises, pour l'essentiel, au Mali.
L’affaire des sous-marins entre la France et les Etats-Unis ne reflète-telle pas à votre avis une sorte de trahison de l’Amérique qui change de stratégie ?
L’affaire des sous-marins est autre à mon avis. Nous avons gagné un marché à un moment où il y avait un retrait américain et on a profité de ce retrait, dans un pays qui a voulu reconstruire sa filière et sa capacité militaire navales perdues. L’Australie a signé ce contrat mais au bout du compte, si on réfléchit bien, l’Australie c’est l’alliée traditionnelle des Etats-Unis. Les Américains proposent des sous-marins à propulsion nucléaire et ce projet rentre dans le cadre de l’alliance des pays anglo-saxons dans l’espace indopacifique qui devient prioritaire pour les Etats-Unis. Il est évident qu’on est dans une situation difficile et cela reste de la part des Australiens inélégant, c’est le moins que l’on puisse dire. Du côté américain, c’est l’oubli de ses alliés traditionnels. Entre les Etats, il y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts.