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Libé : Parlez-nous d’abord du cinéma éthiopien que nous connaissons très peu. Quelle évolution a-t-il connue ?
Hermon Hailay : Le cinéma éthiopien est né il y a plus d’un demi-siècle. II avait bien démarré mais a connu un coup d’arrêt avec l’arrivée des communistes. Il a redécollé il y a treize ans et connaît maintenant un développement encourageant. J’ai observé, lors d’un récent séjour en Ethiopie, qu’il y avait beaucoup d’affiches de films éthiopiens et pas ou presque pas de films étrangers. J’ai été très étonnée par la longueur d’une double file devant les guichets d’un cinéma. « Lamb », le film de Yared Zekelé, a été présenté en sélection officielle, dans la section Un Certain Regard, au dernier Festival de Cannes (2015). Apparemment le cinéma éthiopien se porte bien.
En effet, le film local en amhari, la langue nationale, est très prisé et l’infrastructure est favorable à son développement. Il y a 23 salles de cinéma à Addis Abéba et la production a atteint quelque 80 films par an. La sélection de « Lamb » à Cannes nous a fait très plaisir et nous encourage à aller de l’avant.
Parlez-nous de vous, votre itinéraire et votre place dans le cinéma éthiopien.
J’ai commencé ma carrière artistique il y a dix ans, d’abord dans le théâtre. J’ai suivi une formation théâtrale dans un établissement spécialisé, j’ai travaillé avec des gens du métier et en ai tiré grand profit, l’activité théâtrale étant très vivante en Ethiopie. Puis j’ai travaillé pour la télévision où je me suis formée avant d’aborder le cinéma.
« Le prix de l’amour » est votre troisième film, après « Baleguru » en 2012 et « Yaltasbrew » en 2013, mais c’est le seul qui ait franchi les frontières de l’Ethiopie. Pourquoi ?
Parce que mes deux premiers films ont suivi la filière de la production typiquement locale qui est celle du guichet. Dans ce genre de production, on n’est pas libre de faire ce qu’on veut car c’est la logique commerciale immédiate qui prévaut. Mon troisième projet a été pris en main par une production étrangère professionnelle efficace avec laquelle j’ai convenu d’exprimer librement et sans ingérence mon propre point de vue et mes préoccupations. C’est pourquoi le film a été apprécié et demandé à l‘étranger. Je considère que je fais partie de la nouvelle génération de cinéastes qui veut révolutionner le cinéma éthiopien, lui ouvrir de plus larges horizons et le faire connaître au niveau universel.
Parlons de votre film ici présent à Salé. On peut s’étonner qu’il n’y ait pas de scènes érotiques alors que le sujet s’y prête et que les jeunes sont plutôt demandeurs.
Pour deux raisons. La première et la plus importante est que ce qui m’intéresse et qui constitue le message que je veux faire passer, c’est la dimension humaine du drame, et de l’amour rédempteur. Mes deux personnages sont d’abord des êtres humains en quête d’amour, nonobstant leurs situations et les obstacles qu’ils rencontrent. Le sexe est un élément collatéral non nécessaire. La deuxième raison est qu’avant de m’adresser à un public universel, je voulais surtout aller à la rencontre du public éthiopien. Pour cela, je devais m’adapter à ce public, sinon je ne l’aurais pas convaincu de venir voir mon film, et c’est ce que je voulais avant tout. La meilleure manière pour y arriver, c’est de respecter ses valeurs.
La fin de votre film est triste et les rêves sont brisés. Les méchants ayant été punis, ne pouvait-il y avoir un happy end ?
Je ne pense pas que cela aurait servi les objectifs du film. Cette fin avait pour but, à travers l’impact très fort sur le spectateur, de faire réfléchir. Je ne crois pas qu’avec une fin heureuse, le film aurait laissé pareille impression sur le public.
Votre dernier mot sur votre présence au Maroc ?
Je suis très heureuse d’être ici pour la première fois. Je suis fière que le film ait été primé au Festival du cinéma africain de Khouribga. J’espère montrer mon prochain film au Festival de Marrakech.
Hermon Hailay : Le cinéma éthiopien est né il y a plus d’un demi-siècle. II avait bien démarré mais a connu un coup d’arrêt avec l’arrivée des communistes. Il a redécollé il y a treize ans et connaît maintenant un développement encourageant. J’ai observé, lors d’un récent séjour en Ethiopie, qu’il y avait beaucoup d’affiches de films éthiopiens et pas ou presque pas de films étrangers. J’ai été très étonnée par la longueur d’une double file devant les guichets d’un cinéma. « Lamb », le film de Yared Zekelé, a été présenté en sélection officielle, dans la section Un Certain Regard, au dernier Festival de Cannes (2015). Apparemment le cinéma éthiopien se porte bien.
En effet, le film local en amhari, la langue nationale, est très prisé et l’infrastructure est favorable à son développement. Il y a 23 salles de cinéma à Addis Abéba et la production a atteint quelque 80 films par an. La sélection de « Lamb » à Cannes nous a fait très plaisir et nous encourage à aller de l’avant.
Parlez-nous de vous, votre itinéraire et votre place dans le cinéma éthiopien.
J’ai commencé ma carrière artistique il y a dix ans, d’abord dans le théâtre. J’ai suivi une formation théâtrale dans un établissement spécialisé, j’ai travaillé avec des gens du métier et en ai tiré grand profit, l’activité théâtrale étant très vivante en Ethiopie. Puis j’ai travaillé pour la télévision où je me suis formée avant d’aborder le cinéma.
« Le prix de l’amour » est votre troisième film, après « Baleguru » en 2012 et « Yaltasbrew » en 2013, mais c’est le seul qui ait franchi les frontières de l’Ethiopie. Pourquoi ?
Parce que mes deux premiers films ont suivi la filière de la production typiquement locale qui est celle du guichet. Dans ce genre de production, on n’est pas libre de faire ce qu’on veut car c’est la logique commerciale immédiate qui prévaut. Mon troisième projet a été pris en main par une production étrangère professionnelle efficace avec laquelle j’ai convenu d’exprimer librement et sans ingérence mon propre point de vue et mes préoccupations. C’est pourquoi le film a été apprécié et demandé à l‘étranger. Je considère que je fais partie de la nouvelle génération de cinéastes qui veut révolutionner le cinéma éthiopien, lui ouvrir de plus larges horizons et le faire connaître au niveau universel.
Parlons de votre film ici présent à Salé. On peut s’étonner qu’il n’y ait pas de scènes érotiques alors que le sujet s’y prête et que les jeunes sont plutôt demandeurs.
Pour deux raisons. La première et la plus importante est que ce qui m’intéresse et qui constitue le message que je veux faire passer, c’est la dimension humaine du drame, et de l’amour rédempteur. Mes deux personnages sont d’abord des êtres humains en quête d’amour, nonobstant leurs situations et les obstacles qu’ils rencontrent. Le sexe est un élément collatéral non nécessaire. La deuxième raison est qu’avant de m’adresser à un public universel, je voulais surtout aller à la rencontre du public éthiopien. Pour cela, je devais m’adapter à ce public, sinon je ne l’aurais pas convaincu de venir voir mon film, et c’est ce que je voulais avant tout. La meilleure manière pour y arriver, c’est de respecter ses valeurs.
La fin de votre film est triste et les rêves sont brisés. Les méchants ayant été punis, ne pouvait-il y avoir un happy end ?
Je ne pense pas que cela aurait servi les objectifs du film. Cette fin avait pour but, à travers l’impact très fort sur le spectateur, de faire réfléchir. Je ne crois pas qu’avec une fin heureuse, le film aurait laissé pareille impression sur le public.
Votre dernier mot sur votre présence au Maroc ?
Je suis très heureuse d’être ici pour la première fois. Je suis fière que le film ait été primé au Festival du cinéma africain de Khouribga. J’espère montrer mon prochain film au Festival de Marrakech.
Coup de cœur
Savoir raconter une histoire d’amour et convaincre, c’est-à-dire dans ce cas de figure provoquer de l’émotion, est déjà un tour de force, mais le faire avec le personnage d’une prostituée est une gageure. Réussie par la jeune et talentueuse Hermon Hailay avec ce récit simple, poétique, filmé avec une fluidité qui rend merveilleusement la délicatesse des sentiments, malgré la rudesse du propos et la dureté de la condition des protagonistes. Lui est le fils, de père inconnu, d’une prostituée. Il tente désespérément de s’arracher à la marginalité et aux mauvaises habitudes de la vie de la rue, grâce à l’aide d’un prêtre qui lui procure un taxi. La jeune femme, prostituée par accident et nécessité arrive à attendrir le jeune écorché vif qui n’a jamais oublié que le commerce dans lequel elle est entraînée malgré elle, est un engrenage mortel qui a emporté sa mère, elle aussi partie à Dubai à la recherche d’une vie meilleure. Deux jeunes que la vie n’a pas gâtés, victimes de la misère et de la malchance en somme, et qui se retrouvent solidaires et voient s’entrouvrir l’espoir à travers un amour presque platonique qui les émerveille et les transforme. Car au fond, ils ont encore gardé toute leur innocence. Et si la jeune femme se prostitue encore une fois, c’est pour lui, c’est pour l’aider, alors qu’elle déteste le faire. D’abord par reconnaissance, pour celui qui l’a recueillie dans son humble cagibi et lui a cédé sa couche, un simple bout de couverture à même le sol, mais bien plus sécurisants que la compagnie de clients furtifs, voraces et froids. C’est avec un soin extrême que la réalisatrice construit les scènes de leur complicité naissante, qui se transforme en attachement profond et elle réussit à nous communiquer la tendresse et la sincérité de leurs sentiments. La poésie dans laquelle baigne le film n’empêche pas la dénonciation des filières d’exploitation des jeunes filles éthiopiennes qui cherchent à échapper à la pauvreté et aux trafiquants qui profitent de leur naïveté. Dans le film, ceux-ci sont démasqués et arrêtés. Mais au prix fort puisque l’héroïne y perd la vie, et le garçon ses rêves de bonheur. Mais pas tout à fait, d’après les dernières images qui ne quitteront sans doute plus celui-ci, celles de sa bien-aimée, sereine, dans le costume noir des femmes du Golfe, dans lequel on l’a affublée pour son dernier voyage. L’interprétation des deux acteurs a sans doute été pour beaucoup dans l’envoûtement opéré par le film, mais la réussite doit aussi à la rigueur et la force scénaristiques de celui-ci. En outre, la pudeur pour laquelle la réalisatrice a opté, pour présenter ses personnages et parler d’un sujet pourtant propice aux scènes érotiques a créé l’empathie nécessaire à l’adhésion et l’identification.
La formule consacrée est qu’on ne sort pas indemne après avoir vu tel ou tel film. Rarement cette formule n’a été aussi vraie que pour « Le prix de l’amour » de Hermon Hailay.
A.F
La formule consacrée est qu’on ne sort pas indemne après avoir vu tel ou tel film. Rarement cette formule n’a été aussi vraie que pour « Le prix de l’amour » de Hermon Hailay.
A.F