François Hollande: La France n’a pas à être présente là où elle n’est pas souhaitée


Paris : Propos recueillis par Youssef Lahlali
Jeudi 23 Mars 2023

Cet entretien avec François Hollande a été réalisé dans le cadre des « Rendez-vous politiques de l’Association de presse étrangère», à l’Hôtel Majestic à Paris. L’échange a porté sur le dernier livre de François Hollande « Bouleversements ». Ce livre parle de la situation en Afrique, de l’impact de la guerre en Ukraine et de la situation de la gauche. La rencontre a été animée par notre consœur Christine Ranunkel.

Libé : Comment la France peut-elle orienter sa politique en Afrique après l'échec constaté en Afrique subsaharienne ?
François Hollande :
La France n’a pas à être présente là où elle n'est pas souhaitée. Elle doit le dire, elle l'a dit, c'est-à-dire que nous ne sommes là que si nous sommes appelés en solidarité, que ce soit sur le plan économique, commercial et à l'évidence militaire. Mais on doit aussi dire aux Africains que la menace djihadiste est très sérieuse. Ce n’est pas simplement des arrangements avec des groupes mercenaires qui pourront les protéger du djihadisme.

Avec l'opération Serval, la présence de la France en Afrique subsaharienne était une grande réussite au début, mais aujourd'hui la situation a changé militairement. On constate que les groupes djihadistes prennent plus d'espace. Que pensez-vous de la politique actuelle ? Depuis le discours de Ouagadougou sur la politique française en Afrique, les relations se sont dégradées avec le Maroc et l'Algérie. Comment expliquez-vous cette situation ?
Je pense que la France n’a pas été suffisamment vigilante par rapport à l'action souterraine de la Russie et de la Chine dans cette région, menée sur les réseaux sociaux, action extrêmement déterminée et perverse, mais efficace. Un travail s’est fait au niveau de l'opinion publique dans ces payslà, laissant penser que nous étions au Mali, au Burkina Faso, pour des intérêts commerciaux alors que cela n'a jamais été dans notre état d'esprit. Il a été également dit que nous étions là comme des forces néocoloniales, alors que je vous rappelle que nous avons été appelés par les Africains eux-mêmes. J'ai décidé de lancer l'opération Serval, parce qu’on m’a demandé de venir. Il n’y a pas eu de contact avec la population, avec les élites médiatiques et culturelles pour bien faire comprendre ce que nous faisions. Il n'y a pas eu non plus peut-être de vigilance suffisante à l'égard des dirigeants de ces pays-là, qui n’étaient pas les plus à même de gouverner. C’est ce qui fait que quand il y a eu l'invasion de l'Ukraine, il y a eu des drapeaux russes dans les rues de Bamako et de Ouagadougou. La France aurait dû être aussi beaucoup plus claire par rapport aux coups d’Etat qui ont eu lieu dans ces pays. Il y en a eu beaucoup, au Mali, au Burkina, au Tchad et en Guinée. On ne peut pas accepter que des militaires puissent prendre le pouvoir alors même que leur rôle est avant tout de combattre le djihadisme. On peut penser que ces pays africains seraient plus efficaces sans nous. Mais ce qui est grave en Afrique, c'est que non seulement il y a Wagner et les Chinois qui prennent position, mais aussi les djihadistes qui avancent rapidement au Mali et au Burkina. Cela menace donc la sécurité et l'intégrité de beaucoup de pays dans la région.

Quelle est votre analyse de la relation de la France avec les pays du Maghreb notamment le Maroc ?
La France a un rapport compliqué avec l’Algérie. J’ai de la sympathie à l'égard du peuple algérien. Mais, il faut reconnaître quand même que c'est l'immobilisme dans ce pays depuis trop longtemps. Aujourd’hui, la France est en mauvais termes avec les deux pays du Maghreb : le Maroc et l’Algérie.

La politique du «en même temps » avec le Maroc et l’Algérie ne fonctionne donc pas ?
Non, le «en même temps» ne marche pas en général. La guerre en Ukraine ne semble pas intéresser beaucoup de monde. Elle est aujourd’hui aux portes de l'Europe, même si c'est un enjeu qui peut être vu comme local par beaucoup de pays. Je pense qu’Emmanuel Macron au départ de la crise d’Ukraine a eu l’idée de convaincre Vladimir Poutine de ne pas aller jusqu'à cette extrémité. Il a sûrement espéré qu’il allait être l'élément empêchant cette guerre en donnant des gages à Poutine. Poutine avait prétendu qu'il ne ferait rien juste avant. Mais Macron espérait pouvoir jouer un rôle, comme moi je l’ai rempli avec Merkel (Minsk).

On « ne veut pas écraser la Russie », dit Macron. Qu’en pensez-vous ?
Pour l'instant, franchement, on n'en est pas là. La Russie occupe davantage de territoires en Ukraine qu'elle n'en occupait avec les séparatistes avant l'intervention. Les Ukrainiens ont été extrêmement courageux et ont remporté des succès militaires. Pour l'instant, il y a une occupation du territoire ukrainien plus importante qu’avant. Pour Poutine, la Russie est agressée et elle est en légitime défense.

Quelle est votre analyse de la position des Etats-Unis par rapport à la guerre en Ukraine ?
Depuis quelques années, Vladimir Poutine croyait que les Etats-Unis allaient se retirer de la scène mondiale. Il en était convaincu au temps d'Obama, puisque celui-ci avait retiré ses forces de l'Irak, de l'Afghanistan et n'était pas intervenu en Syrie. Il en était aussi convaincu du temps de Trump. Il pensait que Joe Biden allait s'inscrire dans ce même mouvement, notamment après le retrait désastreux de l’Afghanistan. Cela explique son invasion de l’Ukraine. Mais Joe Biden a réagi. Il a convaincu le Congrès et les Américains de fournir une aide importante à l’Ukraine. Il a aussi remobilisé l'Alliance atlantique.

Que pense François Hollande de la gauche française aujourd’hui ?
Elle n’est pas au pouvoir et d'une certaine façon, elle n'est même pas dans une opposition qui lui permettrait d'aspirer à gouverner la France. La gauche souffre depuis quelques années d’un éclatement de la vie politique. En France, les deux grandes formations qui structurent le débat politique et électoral sont les droites issues du mouvement gaulliste de la Vème République et les socialistes de l’autre côté. La France se trouve dans un contexte social agité, assez volatile, puisqu’on ne sait pas quel parti pourrait être considéré comme bon pour succéder à celui qui est aujourd'hui en place, en l'occurrence, le parti présidentiel. Tout cela avec la perspective qu’Emmanuel Macron, de toute façon, ne peut pas être candidat. Dans cette perspective de succession, les regards se portent hélas sur l'extrême droite, dont les résultats électoraux de 2022 sont déjà inquiétants puisque 42% au second tour, c'est considérable et 90 députés à l’Assemblée nationale, c'est beaucoup. Donc, l'enjeu des quatre prochaines années pour la gauche, c'est de savoir si elle va se détacher de Mélenchon dont on ne peut pas dire que le rôle a été particulièrement apprécié dernièrement, et arrive à se placer comme une force alternative et du côté de la droite de voir si elle va faire une alliance durablement avec la majorité actuelle, c’est une des options, ou se reconstituer à côté de la majorité actuelle pour devenir éventuellement une espérance pour l'électorat de droite. En ce qui me concerne, je suis assez désolé de ce qui est arrivé au Parti socialiste, ce qui lui est arrivé, c'est tout simplement de ne plus s'affirmer, de ne plus exprimer de position et de ne pas être fier de ce qu'il avait fait, y compris durant mon mandat. Quand vous ne vous exprimez plus, quand vous n'avez plus confiance en ce que vous avez porté, vous disparaissez. C'est ce qui est arrivé, hélas, à Anne Hidalgo et les socialistes aux dernières élections l’année dernière. Mais l'électorat socialiste, de gauche, existe. Il s'est porté sur Macron au premier tour pour l'élection présidentielle, faute de candidat. Cet électorat de gauche existe, je le rencontre tous les jours. Combien représente-t-il ? Sans doute 15 ou 20 %, c'est maintenant qu’il faut travailler, si on veut être au second tour de la prochaine élection présidentielle. L'enjeu en France, ce sont les élections présidentielle et parlementaires. Le seul parti aujourd'hui qui est à peu près sûr d'être au second tour, c’est celui de madame Le Pen. Il est donc très important que les autres partis se remettent au travail. Concernant le volet social, ce qui est très intéressant pour le cas français, c'est que pour la première fois, ce mouvement social est conduit par le syndicat le plus modéré, le syndicat réformiste et Laurent Berger en est la figure principale. Cela change beaucoup de la vie sociale de notre pays et donc au niveau de la vie politique, parce que c'est beaucoup plus difficile pour le gouvernement d'écarter Laurent Berger que Philippe Martinez de la CGT. Donc, ça c'est, sans doute, qui va rendre délicate la tâche de madame Borne et d’Emmanuel Macron. 


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