Franck Galland : Le Maroc s’est doté d’ une infrastructure hydraulique de grande qualité mais qui doit être réévaluée en permanence


​Franck Galland est diplômé en affaires internationales de l’Ecole supérieure de commerce de Marseille. Il est actuellement considéré comme l’un des meilleurs experts français des questions sécuritaires liées aux ressources en eau. Il est l’auteur de trois ouvrages importants : Le Grand Jeu : Chroniques géopolitiques de l’eau, publié chez CNRS Editions en mars 2014, Eau & conflictualités, publié aux Editions Choiseul en janvier 2012 et L’eau : géopolitique, enjeux, stratégies, publié chez CNRS Editions en septembre 2008. Il a également écrit pour différentes revues de relations internationales et de défense. Dans cet entretien accordé à Libé, il évoque la géopolitique de l’eau et la gestion du Maroc de cette ressource.

Libé
Jeudi 3 Décembre 2020

Libé : L’eau devient de plus en plus rare. Pourrait-elle entraîner des guerres dans des régions du monde ?
Franck Galland :
Clairement, j’ai évoqué la diagonale de la soif qui part de la bande sahélo-saharienne jusqu’au Nord-Est de la Chine, malheureusement sur des situations de stress aiguës dans des zones, très déstabilisées politiquement et sécuritairement. A l’évidence, en cas de conflits de forte intensité, de guerres civiles, les infrastructures vitales en matière d’électricité et d’assainissement sont aussi des victimes et au final, ce sont les populations qui sont touchées ainsi que les établissements sensibles comme les hôpitaux. Je suis particulièrement inquiet de cette grande diagonale. Mais le Maroc est exclu de cette zone.

Pourquoi le Maroc est-il exclu de cette zone ?
Sa Majesté Hassan II, paix à son âme, a eu cette vision stratégique qu’il avait exprimée à la fin des années 60, en 1967 pour être précis, avec le programme de construction des grands barrages. Trente ans après, le Maroc qui partait de pas grand-chose, s’est doté d’une infrastructure hydraulique de grande qualité, qui doit être en permanence réévaluée, car le Maroc, malheureusement, comme beaucoup de pays du Sud de la Méditerranée, est confronté au changement climatique. Nicolas Stern, grand économiste, disait que le changement climatique s’exprime en température mais se traduit en eau, à cause de l’évaporation. Dans cette grande diagonale de la soif, le Maroc est l’un des rares pays qui, par sa stabilité, la vision éclairée de son Roi Mohammed VI, continue dans cette logique d’ambition hydraulique et s’en sort plutôt admirablement. Mais il faut faire éminemment attention à ce que le changement climatique ne vienne pas anéantir les objectifs stratégiques qui ont été ceux du Maroc. Ce pays aura tout intérêt à continuer à faire ce qu’il a très bien fait grâce au partenariat public-privé et au recours à des ressources en eau alternatives avec le dessalement et demain la réutilisation des eaux usées et puis le couple solaire et eau potable. Aujourd’hui, on a besoin de 2 KW pour produire 1 m3 d’eau dessalée. Donc, il faut de l’énergie pour l’eau.

Vous avez parlé de plusieurs régions où il y a des menaces de conflit. Quelle en est la cause ?
Il y a des causes de rareté due à une surexposition, une sur demande de l’agriculture. Ces pays utilisent 90% des ressources en eau pour l’agriculture. Prenez un pays comme le Yémen qui, même avant le conflit qui le frappe, manquait considérablement d’eau, alors que dans les années 60 et 70, on appelait le Yémen « l’Arabie felix » c’est-à-dire l’Arabie heureuse, l’Arabie verte car il y avait des techniques ancestrales d’irrigation. Le problème est que 90% de l’eau utilisée avant le conflit était à vocation agricole. Et donc voilà un pays qui avait de l’eau qui la gérait bien, mais qui depuis 30 ans utilisait son eau pour produire du kat. Autour de Sanaa, la capitale yéménite, vous n’avez plus d’eau. Ce qu’il y avait dans les nappes a été surexploité, surpompé. Manque de gouvernance, manque de vision, manque d’investissement de maintenance, manque de projet. On a préféré donner la priorité à l’achat d’armes, aux téléphones portables, et aujourd’hui, il n’y a plus d’eau dans ce pays.

Vous avez présenté le fleuve du Sénégal comme un modèle de gestion frontalière de l’eau. Pourquoi ?
C’est grâce à la vision du chef d’Etat sénégalais Léopold Sédar Senghor. En 1972, il a créé une instance de dialogue, à savoir l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Cette institution regroupe le Mali, la Guinée, la Mauritanie, le Sénégal avec un financement commun d’infrastructures : barrages, stations de pompage, partage de la ressource, de données scientifiques. C’est une réussite politique mais surtout une réussite technique et financière. Il faut vraiment que ce type d’initiatives s’étende. Il y a 3 ans, l’OMVS a donné naissance à une petite sœur : l’organisation de la mise en valeur du fleuve Gambie. Espérons que l’OMVG saura suivre la même trajectoire que sa grande sœur. Espérons que l’initiative de l’OMVS fleurisse ailleurs.

Cela peut-il être un exemple pour la crise entre l’Ethiopie et l’Egypte ?
A l’évidence, j’en parlais avec l’ambassadeur d’Ethiopie qui participe au Forum de la paix de la Normandie. J’ai été l’un des premiers à en parler dès 2004. L’ambassadeur d’Ethiopie a raison, l’énergie produite par ce barrage doit être partagée.

L’Ethiopie est-elle en mesure d’accepter ce partage ?
Il y a une décision politique derrière, c’est clair, je comprends l’Egypte et le Soudan. Aujourd’hui, on ne peut plus se satisfaire des solutions passées. Il faut rentrer dans le 21ème siècle, se donner la capacité des 40 prochaines années, avec des projets de partage électrique et de la ressource en eau. Ces pays-là sont-ils prêts ? Ils ne sont pas encore prêts, sinon, ils n’auraient pas besoin de médiation internationale qui a échoué pour le moment.

Caen : Propos recueillis par Youssef Lahlali


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