Fenêtre... : Le bruissement du Visage

Jeudi 15 Avril 2010

Dans son essai intitulé Le bruissement de la langue, Roland Barthes se propose d’interroger le frisson du sens en écoutant le bruissement du langage. Quel serait le sens que produit le bruissement du langage du visage ?  Que dit le visage humain ? Que recèle-t-il derrière sa peau poreuse ? Nombreux sont les écrivains, philosophes et artistes (Kundera, Levinas, Picasso) qui ont choisi de bâtir le socle de leurs œuvres sur la trace et la signification du visage. La première présence de l’être dans le monde est présence visage (visagéité). Il est son visage (son regard, sa peau et son extériorité) qui se refuse à la dissimulation. Le visage dit l’être, l’être est donc réduit à son visage qui ne trahit point sa réalité. Le visage en tant qu’altérité singulière est une ouverture sur le monde extérieur en tant que scène de réception des différences. Ainsi, une fois exposé au regard de l’autre, le visage devient-il une invitation à son actualisation symbolique dans le monde, du fait qu’il nécessite un sens et une signification. Les rôles qu’accomplit le visage sont si nombreux. En effet, du visage anthropologique qui dit l’appartenance ethnique de l’être au visage psychologique qui dit son état psychique, on arrive au visage ontologique qui ne définit pas, ne décrit pas mais exerce une certaine fascination sur l’autre en lui demandant de le faire exister. La phénoménologie du visage fait que celui-ci soit un objet de contemplation, d’admiration mais surtout de déconstruction par le truchement du regard. Regarder le visage de l’autre revient à dire ici le prendre pour une œuvre d’art touffue de secrets et d’énigmes. Tout comme l’œuvre d’art dont l’immédiate présence est matérielle, le visage exige une autre présence discursive, c'est-à-dire son saisissement en tant masque qui cache plus qu’il ne révèle. La phénoménologie, la déconstruction et l’herméneutique du visage permettent sa perception et sa compréhension à partir des dichotomies présence/absence, physique/métaphysique, exotérique/ésotérique. Le sens d’un visage demeure son incapacité de trahir ses secrets et ses mystères. Œuvre parmi les œuvres, trace parmi les traces, le visage engendre les lois et les techniques de sa concrétisation comme vérité ontologique dans un monde dont le regard continue d’être matérielle. Le visage sollicite un regard esthétique, poétique capable d’absorber et transformer simultanément ses connotations et ses suggestions. Il s’agit là de ce regard fin, spirituel et intuitif qui puisse accéder aux idées de l’inconnu et de l’infini que traduit sereinement le visage. Dans cet esprit, la rencontre de l’autre en tant que visage crée chez l’être la nostalgie d’être avec, ensemble, inséparable dès lors qu’un visage est le prolongement logique et emblématique d’un autre. Qu’en est-il du visage de l’être aimé ? Il s’agit d’un visage qui n’est ni poétique, ni esthétique, ni érotique mais un Tout irréductible. Il s’agit d’un visage narcissique et métaphorique qui déstabilise toute logique et tout raisonnement car il se situe dans le « nulle part ailleurs », c’est dire dans l’indéfinissable et dans l’imprenable. C’est le visage de la lisière, de l’entre-deux, de la zone interstitielle qui réunit l’être et son double, l’homme et la femme, le soi et le non-soi, l’être hermaphrodite. Lumière, le visage de l’être aimé participe à la réduction de l’écart entre l’être et le néant du fait qu’il permet à l’être non seulement de retrouver son prolongement existentiel, mais de se reconnaître à travers lui. Magique, le visage porte en lui les énigmes de l’humain. Partant, dévisager le visage de l’autre, le fixer, c’est se dévisager soi-même, c’est découvrir ses propres peurs, ses propres angoisses et ses propres ambitions. Livre à lire, livre à interpréter, le visage est un univers cryptogramme dont la manifestation des repères de compréhension n’est en réalité qu’occultation des signes de pénétration. Si, en tant qu’œuvre, le visage excède toute volonté qui se propose de le cerner dans un sens préétabli, c’est parce qu’il ne cesse de développer et de varier ses lieux d’indétermination, le fondement de sa fascination et de son existence…   

Atmane Bissani

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