Excès de pessimisme face à l'intelligence artificielle


Libé
Mardi 27 Juin 2023

Excès de pessimisme face à l'intelligence artificielle
Les avancées rapides de l’intelligence artificielle ces derniers mois ont déchaîné un torrent d’inquiétudes. Cette nouvelle technologie impactera-t-elle significativement l’emploi en supprimant l’essentiel de la nécessité de travailleurs humains ? Mettra-t-elle à mal la démocratie ? Constitue-t-elle une menace existentielle ?

Si l’appréhension face au progrès technologique ne date pas d’hier, elle porte généralement sur ce que les économistes décriraient comme des effets marginaux, par exemple les questions de savoir si une plus grande part des travailleurs sans diplôme universitaire rencontreront légèrement plus de difficultés pour obtenir un emploi, ou dans quelle mesure les inégalités de revenus se creuseront.

La crainte face à l’IA s’inscrit dans un ordre de grandeur tout à fait différent, certains experts annonçant un possible bouleversement de la civilisation – voire son anéantissement.
Plusieurs dirigeants technologiques estiment que certains systèmes d’IA «soulèvent des risques majeurs pour la société et l’humanité», un sentiment que l’on constate également chez plusieurs scientifiques de premier plan en matière d’IA. Dans un récent sondage YouGov, près de la moitié des répondants disent s’inquiéter de « la possibilité que l’IA provoque la fin de l’humanité sur Terre ». Plus de deux tiers se disent favorables à une pause dans certains domaines de développement de l’IA.
 
Il y a là une vision incroyablement pessimiste.

Commençons par un fait basique, et pourtant négligé manifestement : les avancées technologiques améliorent le bien-être humain. En 1800, 43% des enfants mourraient avant l’âge de cinq ans. Au cours des siècles qui ont suivi, le progrès technologique a conduit à la création de médicaments et produits thérapeutiques, à de nouvelles méthodes de traitement des maladies, ainsi qu’à la productivité et à la croissance des salaires. En 1900, un tiers des enfants décédaient dans les premières années de leur existence. En 2017, la mortalité infantile mondiale était tombée à 4%.

Les technologies agricoles ont par ailleurs favorisé la production alimentaire et la conservation des aliments, réduisant ainsi la faim, tandis que les avancées en matière de technologies énergétiques, telles que l’électrification, ont amélioré l’existence de milliards de personnes. De manière générale, l’innovation technologique a réduit la pauvreté en créant de la richesse.

Le processus de «destruction créatrice» provoqué par l’IA générative est certes voué à éliminer la nécessité de travailleurs humains pour un grand nombre des tâches actuelles. Pour autant, les pessimistes ont tendance à oublier que cette destruction créatrice «crée» autant qu’elle «détruit».

Au début du XIXe siècle, les économistes et autres spécialistes n’auraient jamais pu prédire le type de tâches que les travailleurs effectueraient dans le monde d’aujourd’hui. Comment John Stuart Mill aurait-il pu prévoir que le progrès technologique conduirait un jour à des métiers tels qu’analyste des systèmes, concepteur de circuits intégrés, ou scientifique spécialisé en fibre optique? Imaginez une seconde devoir expliquer à David Ricardo le métier de Bruce Springsteen. Nul besoin d’ailleurs de remonter aussi loin dans l’histoire : comme le soulignent l’économiste du MIT David Autor et ses coauteurs, l’essentiel de l’emploi actuel correspond à des métiers apparus après 1940.

Un pessimisme excessif de même nature s’observe chez ceux qui redoutent que l’IA ne devienne une menace pour la démocratie. Bien que les «deepfakes» – des images et vidéos de synthèse créées par l’IA et à l’apparence réelle – faisant apparaître des dirigeants et candidats politiques soient effectivement susceptibles d’être utilisées à des fins malveillantes, les nouvelles technologies offrent également des possibilités d’authentification des images et vidéos. Plusieurs de ces outils sont d’ores et déjà en cours de développement, et les bénéfices financiers associés à la réponse à ce besoin seront synonymes de fiabilité de ces outils.

En réalité, la démocratie pourrait se trouver renforcée par les progrès de l’IA. L’une des opportunités les plus prometteuses associées à cette technologie concerne l’éducation : il est possible qu’un jour les applications d’IA fassent office de tuteur personnel pour chaque élève.
Ceci devrait éclaircir la perspective d’une survie de la démocratie à long terme. Comme l’a écrit James Madison, «la connaissance gouvernera toujours l’ignorance, et un peuple qui entend s’autogouverner doit s’armer du pouvoir que confère la connaissance ».

L’IA anéantira-t-elle l’humanité ? Il est plus probable que l’inverse se produise. L’IA est d’ores et déjà utilisée pour développer des médicaments, y compris des vaccins contre le COVID-19. Une future pandémie – potentiellement plus mortelle que celle du COVID-19 – sera peut-être un jour stoppée dans sa course par un médicament créé grâce à l’IA.

L’IA pourrait également permettre aux scientifiques de mieux comprendre l’activité volcanique, qui a été à l’origine de plusieurs extinctions de masse, ainsi que de détecter et d’éliminer la menace d’un astéroïde susceptible de frapper la Terre.
Ces scénarios positifs apparaissent plus plausibles que les hypothèses pessimistes selon lesquelles l’IA pourrait, on ne sait d’ailleurs comment, utiliser nos armements nucléaires contre nous.

Cela ne signifie pas que le chemin ne sera pas semé d’embûches. Le développement rapide de l’IA générative perturbera les marchés du travail, avec des conséquences économiques douloureuses pour de nombreux travailleurs. Il faudra également sans doute un certain temps avant que les médias et les dirigeants politiques ne parviennent à maîtriser la divulgation et la neutralisation des deepfakes.

Les dirigeants politiques ne devront pas faire preuve de suffisance. Par rapport aux efforts fournis face aux précédentes vagues d’automatisation, il leur faudra accomplir davantage pour aider les travailleurs à faire face aux perturbations provoquées par l’IA. Dans certains pays, il pourrait être nécessaire de renforcer le filet de sécurité sociale.
Comme toutes les technologies puissantes, l’IA générative devra être correctement réglementée, sans toutefois que son développement ne soit indûment entravé.

La solution ne réside ni dans la panique, ni dans un pessimisme injustifié. Au contraire, nous devons demeurer raisonnablement confiant dans la perspective de voir l’IA générative améliorer le bien-être humain, à l’instar de toutes les technologies universelles avant elle – de l’électricité jusqu’à Internet, en passant par les produits électroniques et les transports modernes.

Les changements exacts que produira l’IA dans l’économie et la société sont impossibles à prédire. Ce seront néanmoins autant de changements positifs dans l’ensemble.

Par Michael R. Strain
Directeur des études de politique économique à l'American Enterprise Institute


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