Europe des 27 : Union douanière sans vision ou super Etat ?


Par Chris Patten *
Vendredi 27 Novembre 2009

Le choix de Herman Van Rompuy comme président du Conseil des ministres de l’Union européenne et de Lady Catherine Ashton à la tête des Affaires étrangères montre bien à quel point les Etats membres commandent l’Union européenne. Ils dirigent ses institutions dans leur propre intérêt. L’UE n’est pas un super-Etat qui s’avance courageusement vers une nouvelle ère.
Le président français Nicolas Sarkozy n’aura pas besoin de rivaliser avec les tout-puissants de Bruxelles pour rester sous le feu des projecteurs. Plus obligée de prouver son esprit démocratique d’après-guerre en embrassant la cause européenne à tout bout de champ, l’Allemagne ne sera pas appelée à rompre son introversion croissante. Que l’Angleterre se rassure quant à son rôle sur la scène internationale, elle restera le serviteur ambitieux de la Maison Blanche.
Au mieux, la nomination des deux nouveaux leaders discrets débouchera sur une gestion plus cohérente des affaires de l’UE. Van Rompuy bénéficiera de marge de manœuvre plus large que celle offerte par la présidence nationale de six mois. Quand à Lady Ashton, elle pourra combiner la politique et les ressources dans le cadre des affaires étrangères européennes.
Quoi qu’en dise le Traité de Lisbonne, il n’est pas clair de savoir si Ashton aura le contrôle complet du budget externe de l'UE ou s’occupera du nouveau service diplomatique. Sa position est délicate et Ashton peut s’attendre à être souvent bousculée par le président de la commission européenne José Manuel Barroso, le grand gagnant de la conception de ces nouveaux postes. Or, les ministres des affaires étrangères deviendront de plus en plus soucieux s’ils pensent que la commission s’arroge leur domaine.
Le passé nous montre qu’il existe cinq règles à suivre pour que la présence européenne dans le monde soit plus efficace lorsque les affaires étrangères et la sécurité sont à l’ordre du jour.
Tout d’abord, nous devrions nous persuader que ce qui convient le mieux à l’Europe est aussi dans l’intérêt de notre relation avec notre allié le plus proche, les Etats-Unis. Nous devrions par exemple empêcher la militarisation du nucléaire en Iran, car c’est dans notre intérêt en tant qu’Européens et pas parce que nous sommes des alliés des Etats-Unis.
Ensuite, le discours sur notre partenariat avec les Etats-Unis pour la paix devrait rester réaliste. Nous avons tendance à nous aligner plutôt sur Vénus que sur Mars à l’heure actuelle - ce pour quoi le reste du monde devrait nous remercier chaleureusement. Mais nous exagérons toujours un peu. Ce n’est pas que l’Europe ne dépense pas assez en puissance coercitive, mais que la somme - 200 milliards d’euros environ - est mal dépensée. L’UE a besoin de s’entendre sur un système de défense commun pour acquérir des hélicoptères, des avions cargo, un équipement de communication sur le terrain et des drones de surveillance adaptés à des opérations du XXIe siècle. Pour des raisons historiques, morales et de sécurité, l’Europe devrait faire de l’Afrique l’une des ses premières responsabilités. Nous devrions déployer assistance, diplomatie et de quoi assurer la paix pour encourager le développement durable, une bonne gouvernance et la collaboration régionale sur tout le continent.
Si la politique intérieure de l’Europe s’avère sérieuse, il est plus facile d’établir une politique étrangère solide. Le meilleur exemple à ce propos est celui de la politique énergétique et de la Russie qui souhaite étendre sa sphère d'influence au-delà de ses frontières. Le plus gros échec dans l’établissement d’une politique étrangère européenne est sûrement l’état de nos négociations avec la Russie. Pour y parvenir, l’Europe doit définir une politique énergétique unique. Lady Ashton devra être ferme dans ses relations avec la Russie et les Etats membres qui soumettent l’Europe aux intérêts commerciaux de leurs sociétés énergétiques nationales.
Plus elle est proche de chez elle, plus la politique étrangère européenne est efficace. Nous agissons mieux - mais aussi au plus mal - dans notre propre environnement. Le plus grand succès de la politique étrangère de l’UE est son élargissement. Il a permis de promouvoir et d’assurer un changement de régime sans recourir aux armes, stabilisant ainsi le continent européen. Mais le travail n’est pas terminé. La perspective de l’adhésion à l’UE est au cœur de la politique de l’UE dans les Balkans occidentaux, où nous commençons à nous montrer (en Bosnie-Herzégovine par exemple) de plus en plus réticents - ce qui est dangereux - envers l’application d’une conditionnalité stricte. Nous nous engageons à reconnaître la "vocation européenne" de l’Ukraine, mais pas son adhésion. Cherchez l’erreur ! Il y a plus de 40 ans, nous avons entrepris de négocier l’adhésion de la Turquie lorsque ce pays serait complètement démocratique, disposerait d’une économie ouverte et respecterait les droits de l’homme et l’Etat de droit. Refuser l’adhésion de la Turquie reviendrait alors à nous proscrire tout scénario sérieux sur la scène internationale. Nous refuserions un pays qui est une puissance régionale de taille, un membre de l’OTAN important et un carrefour d’activités crucial. Nous serions accusés de briser nos chances d’établir un lien avec le monde islamique. Malheureusement, le poète et écrivain Van Rompuy s’est prononcé contre l’adhésion de la Turquie en des termes bien plus crus que ce que l’on attendrait d’un discret rédacteur de haiku.
Ma dernière directive en la matière est que l’Europe n’est pas et ne deviendra pas une super puissance ni un super-Etat. Au contraire des Etats-Unis, notre importance n’est pas capitale partout. Nous n’avons pas besoin d’avoir une politique sur tous les sujets à tous les endroits de la planète. Mais lorsqu’un problème se fait sentir avec beaucoup d’acuité, dans une région proche de chez nous, nous devrions avoir une politique qui ne consiste pas seulement à avaliser la décision des Etats-Unis. Ceci vaut notamment pour le Proche-Orient. L’accalmie actuelle "ni guerre-ni paix" dans cette région n'est pas tenable. Et la solution d’un Etat unique n'est ni possible ni souhaitable.
Alors comment faire pour faire avancer les choses dans une région où les Etats-Unis ont un rôle actif sans être respectés, mais où l’Europe n’est ni l’un ni l’autre ? Nous pourrions tout du moins établir notre propre politique, à commencer par nous efforcer de mettre fin à la fragmentation de la Palestine et à la dispersion de son peuple entre la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem est. Est-ce important si l’Europe et les Etats-Unis ne sont pas tout à fait sur la même longueur d’onde ? Très franchement non.
Il y a quinze jours, lorsqu’Obama devait choisir entre le sommet de l’ASEAN et les festivités pour le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, il a décidé de se rendre en Asie. L’Europe réussira-t-elle à lui faire changer d’avis la prochaine fois qu’un tel choix se présente ? Dans l’état actuel des choses, nous risquons de rendre l’Europe inapte à la politique pour en faire une union douanière florissante avec une politique étrangère à la Suisse et un groupe de leaders désordonné et dénué de dessein.

* Dernier gouverneur
britannique de Hong Kong





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