Il faut avouer que la question n'a plus lieu d'être. Certains la ressassent encore, comme pour regretter une situation qui les arrangeait. A l’annonce des grands contours de la nouvelle Constitution, partis politiques, associations et société civile ont ouvert de grands débats sur la question. Les Marocains qui se sont réapproprié la chose politique, réinvestissent les espaces publics. Les meetings politiques ont connu un nouvel élan, grâce au nombre croissant de celles et ceux qui veulent y participer. L’intérêt et l’implication se substituent à l’indifférence et à l’inertie. Les débats au sein des partis politiques et des ONG ont pris une nouvelle tournure. Le politique est manifestement revitalisé. Les avis sont, certes, différents et parfois même contradictoires. Mais la majorité des intervenants semblent être soulagés de cet heureux cheminement ; le souci étant cependant d’éviter les désastres survenus sous d’autres cieux. Conscients des avancées et des différences de leur pays, par rapport aux dictatures du monde arabe, les citoyens étaient pour un changement pacifique. Mais des questions s’imposent : le peuple marocain est-il prêt à endosser un changement aussi important? Est-il à la hauteur de cette nouvelle Constitution? Hormis des intentions malveillantes, la préoccupation est légitime. Mais il faut être dupe pour répondre catégoriquement par l’affirmative et la démagogie pour éluder un tel débat. Un principe : il n’y a pas de peuples qui ne méritent pas la liberté et la démocratie. Pour cela, les Marocains n’étaient ni attentifs, ni passifs. Le passé récent ou ancien est une preuve de cet acharnement avec lequel ils ont combattu les envahisseurs colonialistes, cette jalousie dont ils ont fait montre pour préserver leur indépendance. Quant à la démocratie, la lutte a commencé depuis que le Makhzen a décidé de s’emparer des rênes du pouvoir. Un parcours jalonné de dates saillantes : procès du début des années 60, révolte du 23 mars 1965, soulèvement des fellahs d’Oulad Khalifa (Béni Mellal), grève générale de 1979, soulèvements des habitants de Casablanca en juin 1981, Marrakech, El Hoceima et Nador en 1984, Fès et Tanger en 1991…jusqu’à l’avènement du Mouvement du 20 février.
En dépit des soubresauts, réticences, tergiversations et hésitations, le pays a su surmonter ces incidents de parcours. Il suffit ainsi d’en tirer des leçons. Que ce soit aux Etats-Unis, en Europe, en Asie de l’Est, en Amérique latine, la démocratie ne s’est pas faite en un jour. Elle demeure un chantier ouvert. L’idée a toujours besoin d’un exercice à mettre à l’épreuve. La volonté des partis reste le seul adjuvant.
C’est pourquoi donc les grandes démocraties ne se ressemblent pas dans leur application. Dans le fond, par contre, elles sont presque identiques. Presque, ne veut pas dire, des sœurs jumelles, mais uniquement des parentes d’un même arbre généalogique. La démocratie, comme le champ des libertés, est un long fleuve, mais jamais totalement tranquille. L’exercice démocratique est un processus en mouvement. Les Marocains s’y appliqueront au fur et à mesure. Il suffit de garder le même enthousiasme, la même implication et le même intérêt. Cette appropriation subite de la politique devrait être préservée à travers une démarche participative de la part des partis politiques, des associations et des syndicats. Car la véritable bataille est celle de l’après constitution. Ne dit-on pas qu’une constitution ne vaut que par son application ?