Entretien avec le comédien Mohamed Bastaoui : «Je n'ai qu'une seule idée et une seule ambition : être un bon acteur»


Propos recueillis par MEHDI OUASSAT
Lundi 3 Octobre 2011

Entretien avec le comédien Mohamed Bastaoui :  «Je n'ai qu'une seule idée et une seule ambition : être un bon acteur»
Il a interprété des rôles inoubliables, à la scène comme à l'écran. Et pourtant, il affirme être un grand timide. Rencontre avec Mohamed Bastaoui, un comédien de talent, au regard malicieux et au jeu subtil.   

Libé: Comment avez-vous pris conscience de votre vocation de comédien ?

Mohamed Bastaoui: Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé les jeux d'interprétation et d'imitation. Avant même l'âge scolaire, j'étais un gamin espiègle et turbulent. Je chantais et dansais en présence des adultes, sans trop me soucier de leurs réactions. Et je savais surtout imiter les grandes personnes. A tel point que l'un de mes oncles maternels  me surnommait « le lutin ». Je n'étais vraiment pas timide à cette époque. Chose curieuse, la timidité a fini par me rattraper, si l'on peut dire, à l'âge adulte. L'enfant hardi que j'étais a laissé la place à l'adulte timide que je suis. Eh oui ! Je suis un comédien timide, j'ai du mal à aller vers les autres, ce qui semble paradoxal pour un acteur.

Mais revenons à vos débuts, à la période d'enfance et d'adolescence.

A l'école primaire, j'étais régulièrement choisi pour participer aux activités « artistiques», lors des fêtes nationales ou religieuses. J'aimais par-dessus tout imiter les autres, interpréter des personnages. Je participais même aux déclamations du Coran.
Plus tard, au collège, puis au lycée, j'ai fréquenté les Maisons de jeunesse, et adhéré à des associations à Khouribga. Il y eut aussi cette rencontre avec le regretté Hocine Houri, figure emblématique du théâtre marocain. A cette époque, nous avions monté plusieurs pièces, en amateurs. Nous étions de fervents partisans du Festival national du théâtre amateur. Il faut dire que ce festival avait pour nous une très grande importance. Il avait donné un formidable coup de fouet au théâtre marocain.

Après ces années d'intenses activités, on vous retrouve en Europe.

Oui, j'ai fini par traverser la Méditerranée. Et après un périple en France, puis en Hollande, je me suis installé en Italie. Là-bas, j'ai participé à des stages de formation, en tant que comédien amateur, car l'idée de devenir acteur professionnel ne m'a jamais effleuré l'esprit à cette époque.
En Italie, j'avais réussi à avoir une situation, comme on dit; je possédais une maison, une voiture et tout ce qu'il fallait. Mais j'éprouvais un certain malaise. Je me demandais sans cesse si j'avais vraiment envie d'avoir cette vie. De toute évidence, la réponse était non. Alors, j'ai tout balancé et je suis retourné au Maroc. Fort heureusement, j'avais un frère, fonctionnaire au ministère de l'Agriculture, qui vivait à Rabat. Il m'a été d'une aide précieuse, à mon retour.

C'est à cette époque-là que vous avez rejoint la troupe Masrah Al-Yaoum

Tout à fait. Et nous avons monté plusieurs pièces de théâtre. L'Institut supérieur de l'art théâtral, n'existait pas encore. Par la suite, j'ai dû travailler pour la télévision ; j'écrivais alors des pièces destinées aux jeunes enfants, puisqu'il fallait bien travailler. Il faut dire aussi que j'étais constamment en quête de moi-même. Et c'est dans cet état d'esprit que j'ai rejoint Masrah Al-Yaoum.

Après l'expérience de Masrah Al-Yaoum avec Touria Jabrane et Abdelwahed Ouzri, vous avez fondé avec Mohammed Khouyi, Youssef Fadel, entre autres, la troupe Masrah Achamss.

C'était une expérience édifiante et une formidable aventure. Elle m'a permis de côtoyer de vrais artistes. Car je peux affirmer sans détour que Mohammed Khouyi est un grand artiste. Il a un immense talent de comédien. Quant à Youssef Fadel, il a une grande maîtrise de l'écriture. Certaines de ses adaptations pour le théâtre sont restées très célèbres. Il y avait aussi le scénographe Abdelmadjid Houass, qui est un artiste hors pair. Sans oublier Abdelali Elmbarki, acteur et metteur en scène de grand talent. Et puis le grand poète Abdallah Riami. C'est ainsi que Masrah Achamss a vu le jour. Nous voulions explorer de nouveaux horizons. Nous étions en quête d'un théâtre nouveau. Un théâtre où nous nous reconnaissons en tant qu'artistes. Nous ne voulions pas être dirigés dans notre travail par un quelconque metteur en scène qui ne partageait pas nos points de vue. Cette expérience de Masrah Achamss nous a certes apporté un surcroît de sympathie de la part du public. En l'espace de deux ans, notre troupe jouissait d'un rayonnement à l'échelle nationale. Beaucoup de journalistes s'intéressaient à notre aventure artistique et particulièrement ceux d’Al-Ittihad et Al-Alam. Puis il a fallu que cette expérience prenne fin un jour. La vie est ainsi faite, n'est-ce pas ?

A propos de troupes de théâtre, on constate qu'elles sont de moins en moins nombreuses. Qu'en pensez-vous?

 Je pense qu'on ne peut pas improviser des solutions dans ce domaine. A l'époque que j'évoquais tout à l'heure, il n'y avait aucune forme de soutien financier de la part du ministère de la Culture. On préparait les spectacles d'abord et ce n'est qu'après coup que ledit ministère rétribuait quelques spectacles dans des conditions déterminées. Et puis vint l'ère de la subvention accordée au théâtre. Et il y avait certaines personnes qui préparaient des spectacles à la va-vite, dans le seul but de profiter de cette manne. La situation devenait insoutenable et nous avions donc décidé de nous retirer en douceur.

Est-ce que vous ne songez pas à créer actuellement une nouvelle troupe ?

Ah non ! Cette idée ne me viendrait pas à l'esprit. J'aime le théâtre, mais actuellement la télévision et le cinéma prennent une place de plus en plus prépondérante dans notre activité artistique. Peut-être avons-nous cédé à la facilité et à la paresse.

Vous êtes devenu acteur professionnel en 1987. Cela fait donc un quart de siècle. Quel regard portez-vous sur votre parcours en tant qu’artiste durant cette période ?

Un quart de siècle ? Déjà ? Le temps passe si vite à vrai dire. Pour moi, c'est comme si c'était hier. Disons que j'ai toujours aimé le théâtre, avec la souffrance qu'il provoque et le plaisir qu'il procure. J'ai accumulé, au fil des années, une certaine expérience, mais je me sens loin d'avoir réalisé toutes mes aspirations. Pour moi, si quelqu'un affirme que sa carrière est accomplie et que la boucle est bouclée, comme on dit, c'est comme s'il se faisait enterrer de son vivant.

Vous avez fait du théâtre, bien sûr, mais aussi du cinéma. Vous avez également travaillé pour la télévision. Quel est votre préférence, parmi ces trois genres d'activité ?

Il y a un point commun, un fil conducteur entre le théâtre, le cinéma et la télévision. C'est le fait de toujours incarner des personnages, mais les techniques sont très différentes, bien entendu. Jouer devant une caméra est une chose et sur une scène de théâtre est en une autre. Au théâtre, il y a cet échange direct avec le public. Vous pouvez modifier les intonations de votre voix, accentuer votre gestuelle… Mais devant une caméra, tout est calculé à l'avance. Bref, le théâtre est pour moi un lieu magique, mais j'aime aussi la télé et le cinéma.
Pour tout vous dire, je n'envisageais pas de faire de la télé avant ma rencontre avec l'artiste Mohammed Khouyi ; c'est lui qui m'en a convaincu. Et nous avons osé l'expérience. Et cette expérience a peut-être été concluante.

Vous avez toujours été un fervent lecteur de l'écrivain marocain Youssef Fadel. Et ce avant même de le connaître. Vous vous êtes rencontrés par la suite et vous avez travaillé ensemble pour le théâtre.

A l'époque où je résidais encore à Khouribga, j'avais joué dans une pièce écrite par Youssef Fadel. C'était avec les élèves du lycée Ibn Yassine. La pièce s'intitule « Essor et décadence de Marrakech ». En ce temps-là, je connaissais l'homme à travers son œuvre, mais je ne l'avais jamais rencontré. J'admirais particulièrement ses œuvres  théâtrales, car il laissait toujours à l'acteur une marge de liberté, afin que celui-ci fasse preuve de créativité. Et puis n'oublions pas que cet écrivain manie le verbe avec aisance et qu'il est passé maître dans l'art du dialogue. J'ai eu la chance de le rencontrer à l'époque où je faisais partie de la troupe Masrah Al-Yaoum. Et nous avions monté une pièce de lui qui s'intitule « Ayam Al-azz ». Une amitié profonde nous a unis depuis cette rencontre. D'ailleurs nous avons vécu ensemble, par la suite, l'aventure de Masrah Achamss.

Vous êtes marié à la comédienne Souad Annajar. Elle se fait rare ces derniers jours.

Elle travaille toujours. Elle consacre beaucoup de temps à l'émission « Modawala ». Dernièrement, elle a participé à un film réalisé par Hassan Benjelloun. Elle collabore aussi à des films étrangers et essaye, tant bien que mal, de concilier son travail d'artiste et sa responsabilité au foyer. Quant à moi, je reste persuadé qu'elle a un grand talent de comédienne. Je ne dis pas cela par complaisance, ou parce que c'est mon épouse.

L'un de vos enfants est également comédien, il a joué un rôle dans le film «Tarfaya» alors qu'il n'avait pas plus de sept ans. Est-ce que le talent se transmet de père en fils ?   

Je vais vous raconter ce qui suit, à propos de mon fils : il m'avait accompagné un jour au théâtre Mohammed V, pour assister à un spectacle de l'humoriste Hassan El Fad. Et il n'a pas ri une seule fois, durant tout ce spectacle. Mais à notre retour à la maison, il s'est vêtu de manière un peu bizarre et a commencé à imiter cet humoriste de façon impeccable. Je me suis alors persuadé qu'il avait un véritable don artistique.
Quant au film « Tarfaya », c'est le cinéaste Daoud Oulad Sayed qui l'avait choisi, parmi plusieurs enfants de son âge. Par la suite, il a participé au film «  Chercheur de travail » de Saad Chraïbi, au « Monde imaginaire » et « Ragragiya », entre autres. J'ai un autre fils qui est son aîné, et qui est tout aussi doué. Il a été finaliste à Studio 2M. Il faut dire qu'il a une belle voix de chanteur.

Quels sont les acteurs étrangers que vous appréciez particulièrement ?

Ils sont nombreux. Citons parmi les Américains Al Pacino et Robert De Niro. Ces deux-là ont vraiment marqué notre génération.
Parmi les acteurs de théâtre, je citerai volontiers Laurence Olivier. Il y a aussi Marlon Brando, qui est un véritable monument du cinéma mondial.
Ces artistes nous ont beaucoup appris. Pour moi, ce qui importe le plus dans leurs films, ce n'est pas la mise en scène et encore moins l'intrigue. Je m'intéresse essentiellement à leur manière d'interpréter les différents personnages. En ce qui concerne les acteurs arabes, j'ai beaucoup d'admiration pour le défunt Ahmed Zaki. Je voyais beaucoup ses films, je l'ai même rencontré personnellement à Paris.

Vous êtes un acteur aux multiples facettes. Il vous arrive très souvent d'interpréter le rôle du campagnard dans les séries télévisées. Mais il s'agit à chaque fois d'un personnage complètement différent de l'autre, que vous incarnez avec brio. Quel est donc votre secret ?   

Mais c'est justement là le rôle de l'acteur. Il est interprète, il doit donc être en mesure d'incarner des personnages différents.
Il est vrai que j'ai joué le rôle du campagnard dans plusieurs séries télévisées. Mais le campagnard  que j'ai incarné dans « Oulad Nass » ressemble très peu à celui que j'ai interprété dans « Dwayr Zman ». Et celui-ci est complètement différent du campagnard de « Oujaa Trab ».
D'accord ce sont tous des paysans, mais chacun a sa propre manière d'aborder la vie et d'affronter ses semblables. Chacun a ses propres sentiments et ses profondes aspirations à une vie meilleure. J'interprète donc le rôle du campagnard, non pas pour le railler ou le ridiculiser, mais pour le montrer dans toute sa dimension humaine.
D'une manière générale, j'ai horreur des stéréotypes. Un acteur doit se renouveler et se ressourcer, sa vie durant. Sinon, il risque de « s'ankyloser » dans un seul et unique personnage.

Mais l'acteur, quelles que soient ses performances artistiques, a besoin d'un metteur en scène qui l'encadre et le dirige.

Bien entendu. Un comédien a toujours besoin d'un metteur en scène pour le diriger. Ceci est très important. Et Dieu sait que nous avons au Maroc des metteurs en scène très brillants, qui savent tirer le meilleur d'un acteur. Cela dit, il ne faudrait pas que cet encadrement  soit une entrave au travail de l'acteur. Celui-ci, quand il étudie son rôle à venir, quand il prend connaissance du scénario, devrait lui aussi avoir son mot à dire. Il doit donc apporter sa propre réflexion et exprimer son point de vue.

D'ailleurs, il y a beaucoup d'acteurs qui ont tenté l'expérience de la mise en scène.

 Chacun est libre de tenter telle ou telle expérience artistique. A condition qu'il ait les compétences requises. En fin de compte, il sera jugé sur la qualité de son travail. Comme vous le savez, il y a d'un côté les vrais metteurs en scène et de l'autre ceux qui sont «autoproclamés », si l’on peut dire. Il y a un certain amalgame et on ne sait plus qui fait quoi. Non seulement au niveau de la mise en scène, mais aussi en ce qui concerne l'écriture, l'interprétation et les différentes techniques. De toute manière, on ne peut s'imposer longtemps dans ce domaine si l’on n'a pas les outils artistiques nécessaires.

Et vous, n'avez-vous jamais été tenté par la mise en scène ?

Non, non et non ! Je n'ai qu'une seule idée et une seule ambition : être un bon acteur.

Quel est le personnage historique que vous aimeriez interpréter à l'écran?

J'aimerais pouvoir incarner un jour le personnage d'Ibn Toumert, le fondateur  de la dynastie des Almohades.

Un comédien marocain pourrait-il vivre aujourd’hui de son art ?

On peut vivre de son art mais assez difficilement, en réalité. Tenez, moi par exemple, je n'ai d'autre ressource que les revenus de mon travail de comédien. J'ai une femme et cinq enfants, avec toutes les responsabilités que cela suppose. Il arrive cependant que je reste sans travail pendant six ou huit mois. En dépit de cette situation, je vis de mon métier, tout en sachant que je n'accepte pas toutes les offres. J'opte pour les rôles qui représentent un plus pour ma carrière. Le problème est qu'il y a des gens qui n'ont aucune compétence, aucun talent artistique, qui acceptent n'importe quel rôle, moyennant des salaires dérisoires. Et ce sont ceux-là qui nuisent à la vie artistique dans notre pays et empêchent les vrais artistes de travailler correctement. Regardez ce qui se passe en Egypte, par exemple. Il y a des syndicats et des organisations qui protègent les droits des comédiens, qui ont un droit de regard sur ce qui se passe dans les studios, etc. Mais chez nous, actuellement, c'est l'anarchie dans ce domaine. N'importe qui peut se proclamer acteur, metteur en scène, scénariste ou écrivain. Et il est grand temps de mettre fin à cette situation anormale. Les journalistes sont appelés à jouer un rôle à ce niveau, en faisant leur travail de manière désintéressée.


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