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Entretien avec le cinéaste Driss Chouika : Il n’y a pas d’“art propre” et d’“art malpropre” ! Il y a l’ART


Propos recueillis par Said AHID
Mercredi 20 Juin 2012

Entretien avec le cinéaste Driss Chouika : Il n’y a pas d’“art propre” et d’“art malpropre” ! Il y a l’ART
Libé: Pourquoi une nouvelle Chambre de réalisateurs ? En quoi l’ancienne a-t-elle failli ?    

Driss Chouika: Plusieurs anciens membres de la Chambre marocaine des producteurs de films ont constaté que ladite Chambre ne représente plus les intérêts de la profession, mais plutôt ceux d’une petite minorité des producteurs dont certains ne sont que des prestataires de services.
Or, l'heure est grave et les intérêts des professionnels risquent d'accuser des coups sérieux et irréparables si les «professionnels de la profession», comme disait Godard, n'unissent pas leurs efforts pour les défendre.
Aussi, ces membres ont-ils décidé de lancer l’idée de la création d’une nouvelle Chambre ouverte à tous les professionnels, plus démocratique et réellement représentative de la profession.
Un comité restreint a donc préparé un projet de statuts, qui a été enrichi par un échange préliminaire avec les premiers adhérents puis entériné lors de l’assemblée générale constitutive du 07 mars 2012.
Un effort a été fait spécialement pour convaincre les jeunes producteurs et productrices à venir rejoindre cette Chambre, eux qui ont toujours été systématiquement écartés de la Chambre des producteurs. Or, ce sont les jeunes qui représentent la relève et qui sont garants de la pérennité, de la continuité, de la diversité et de la richesse de la production cinématographique et audiovisuelle nationale.

N’y avait-il pas moyen de remédier à ces carences de l’intérieur, par des voies démocratiques au lieu de recourir à ce que certains ont qualifié de sécession?

Nous avons essayé à plusieurs reprises durant les dernières années, mais en vain. Les manigances du « président à vie » de l’ancienne Chambre ont systématiquement déjoué les tentatives de sa démocratisation. Par conséquent, si on peut parler de sécession, elle n’est nullement subversive. C’est un mal nécessaire!
Je pense qu’il est devenu primordial de remettre en question la représentativité des producteurs/réalisateurs de films, tout en étant pleinement conscients de ses enjeux conjoncturels et de son avenir.
Le cinéma étant actuellement le moyen de communication le plus performant et qui a le plus d’impact sur le développement socioculturel des nations, il est primordial de lui assurer la place qu’il mérite. Et ce sont justement les professionnels qui doivent être associés à toutes les démarches qui le concernent, qu’elles soient d’ordre juridique, réglementaire, économique, culturel ou social.
Nous avons été amenés ainsi à concevoir la création d’une association professionnelle ouverte et démocratique, gérée d’une manière collective, saine et transparente, unique manière de garantir une représentativité réelle de toute la profession, et une présence effective à tous les échelons de la décision et à tous les niveaux de la gouvernance.

Et que propose la nouvelle Chambre? Quel projet s’assigne-t-elle ?

La démarche de la création de la CNPF s’inscrit dans la mouvance démocratique que connaît notre pays, vise essentiellement l’instauration progressive d’un climat et d’une ambiance professionnelle saine et transparente dans le domaine de la production cinématographique et audiovisuelle.
Les principaux objectifs de la CNPF sont les suivants :
1 - Contribuer à l’organisation rationnelle de la profession cinématographique et audiovisuelle, et garantir la pérennité et la continuité de la production nationale.
2 - Procéder à toutes études, accomplir tous actes, adopter toute réglementation, signer tous partenariats et conventions susceptibles d’organiser, de défendre et de développer la production cinématographique et audiovisuelle marocaine.
3 - Organiser par voie de conventions professionnelles ou autres, les rapports artistiques, matériels et moraux liant les producteurs de films et les collaborateurs à la création (auteurs, compositeurs, techniciens, employés...).
4 - Assurer la stricte application par ses adhérents des règlements intérieurs et des conventions interprofessionnelles concernant l’exercice de la profession.
5 - Représenter la profession de producteur de films auprès des instances nationales et internationales.
6 - Prendre en charge la défense des intérêts artistiques, moraux, économiques et sociaux de la profession, tant au Maroc qu’à l’étranger, et assister à cet effet chacun de ses membres et ester, le cas échéant, en justice pour défendre les intérêts et besoins sociaux, économiques et culturels communs de la profession.
7 - Organiser des commissions de conciliation et d’arbitrage.
8 - Adhérer, pour consolider les objectifs précités, à toutes fédérations, confédérations, unions d’associations interprofessionnelles ou syndicales, nationales ou internationales.
9 - Participer par la production et la diffusion du film marocain au développement de la culture nationale tant au Maroc qu’à l’étranger.
10 – Organiser des Caisses spéciales et des Fonds de soutien solidaires entre les membres.

Metteur en scène et producteur, quel regard porte Driss Chouika sur l’état actuel du cinéma marocain ?

Notre cinéma est en plein essor. Notre production cinématographique est aujourd’hui, et incontestablement, la première en Afrique (à l’exception de l’Afrique du Sud) et dans le monde arabe, tant quantitativement que qualitativement. Il est actuellement le meilleur ambassadeur de notre pays. Durant les deux dernières années, les films marocains ont été présents dans une centaine de festivals à travers le monde et ont récolté des dizaines de prix. Notre cinéma tire également sa richesse de sa grande diversité : du film comique et populaire au film d’auteur complexe et sophistiqué.
Il faut donc préserver et consolider cet acquis. Il faut aussi élargir et consolider la liberté d’expression et de création, sans laquelle le cinéma devient pure propagande.

Et les cahiers des charges du nouveau ministre de la Communication?

Dans ces nouveaux cahiers des charges des télévisions nationales, aujourd’hui remis en cause et toujours en phase de remaniement, il y a deux points essentiels très positifs pour la production cinématographique et audiovisuelle nationale : la très sensible augmentation du quota de la production nationale dans les grilles des chaînes nationales, et l’institution d’une commission indépendante pour le choix des projets de programmes ; ce qui est susceptible d’amener plus de démocratie et de transparence dans le domaine, et moins de copinage, de corruption et de clientélisme.
Pour le reste, le débat restera toujours ouvert. Personnellement, je pense qu’il est primordial que les télévisions nationales demeurent fédératives et respectueuses de la diversité culturelle, ethnique, religieuse et linguistique de notre pays. Elles ne doivent en aucun cas privilégier un groupe social donné au détriment des autres.

Franchement, n’avez-vous pas peur pour la liberté de création en ces temps conservateurs qui courent, notamment avec la montée de multitudes de voix prêchant un « art propre » ?

Il est bien curieux ce concept, ou plutôt cet « anti-concept » d’« art propre » ou de « film propre ». Pour moi, il n’y a pas d’art propre et d’art malpropre! Il y a l’ART, tout court. Et il est essentiellement synonyme de liberté de création et d’expression. L’art tire sa raison d’être du fait qu’il doit constamment critiquer et bousculer les idées reçues et les tabous. Aussi, un cinéaste, comme tout artiste, est-il nécessairement et foncièrement un penseur libre et indépendant de toute obédience.
Je me rappelle que nous avons bien rigolé, en compagnie de plusieurs collègues et amis, quand nous avons entendu parler la première fois de « film propre » et j’avais spontanément trouvé une vive concrétisation de ce concept : il va falloir dorénavant ajouter un dernier bain de lavage dans les développeuses de films, susceptible de les « laver à l’eau de Javel » pour qu’ils soient plus « propres » à la consommation !

Quels projets à court  et à moyen termes pour Driss, tant pour le grand que pour le petit écran ? Et quel genre de cinéma fait Driss Chouika ?

Je m’occupe actuellement de la production d’un téléfilm de mon ami Abdelkrim Derkaoui, que nous sommes en train de tourner à Youssoufia.
Et je prépare un long métrage, intitulé « Tu es à moi, cousine », que je prévois de tourner en septembre/octobre, entre Marrakech et Paris. J’ai aussi plusieurs projets de téléfilms et un feuilleton que j’attends de concrétiser avec la SNRT.
En gros, j’aime faire des films que j’aime regarder en tant que cinéphile. Et un cinéphile est par définition celui qui aime et apprécie les moments de vrai cinéma. Autrement dit, un cinéma qui fait rêver, réfléchir, poser des questions, dialoguer indirectement avec les Autres, avec d’autres cultures, d’autres mentalités. Un cinéma qui laisse des traces, ne serait-ce qu’une ambiance frappante, un beau cadre, un mouvement de caméra expressif, une image bien composée, un geste symbolique, une performance attachante d’un jeu de comédien… Pas un cinéma de consommation courante et éphémère.


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