Entretien avec le chanteur et violoniste Jallal Chekara : “L’Espagne nous offrait un avenir”


Propos recueillis par ALAIN BOUITHY
Jeudi 4 Février 2010

Entretien avec le chanteur et violoniste Jallal Chekara : “L’Espagne nous offrait un avenir”
Jalal Chekara et son orchestre
ont clos le 3ème Festival des deux Rives au
Théâtre Mohammed VI, devant un public totalement conquis. Installé
à Grenade en Espagne, le fils
du l’oudiste Abdoulah Chekara et neveu de feu Abdessadak Chekara
se distingue dans
la fusion entre musique
andalouse
et flamenco.

Libé : L’ouverture et la clôture d’un festival sont généralement deux moments importants d’une manifestation. Clôturer le Festival des deux Rives est pour vous un honneur?

Jallal Chekara : C’est effectivement un honneur pour moi et les musiciens de mon ensemble. Mais ce qui compte le plus, c’est d’offrir au public des moments agréables dont il se souviendra longtemps. J’espère avoir été à la hauteur. J’espère que le public est satisfait de ma prestation.

Vous vous êtes beaucoup investi dans le flamenco. Pourquoi le choix de ce genre musical?

Je viens du Nord du Maroc où le flamenco est très présent. Nos deux cultures (espagnole et marocaine) sont très proches dans cette partie du Royaume. Ce qui explique cette influence et donc le fait que j’ai choisi le flamenco. En plus, vous savez que mon oncle Abdessadak Chekara a été le premier à fusionner la musique andalouse et le flamenco. J’ai commencé à  jouer très jeune avec lui (13 ans) et me suis longuement inspiré de son travail. Aujourd’hui, nous continuons d’une certaine manière cette œuvre tout en collaborant avec d’autres artistes pour la rendre meilleure.

Vous êtes le neveu de feu Abdessadak Chekara, fondateur de l’Orchestre Chekara. Quelle image gardez-vous de l’illustre artiste qu’il fut, 12 après sa mort ?

Mon oncle a mis tous ses espoirs sur moi parce que ses enfants ne s’intéressaient pas vraiment à la musique : ils n’avaient aucune vocation artistique. Craignant qu’il n’y ait personne pour continuer son œuvre, il a donc décidé de prendre en charge mon éducation musicale. Il m’a enseigné tout ce qu’il savait de la musique andalouse et de ses valeurs.
C’est ainsi qu’en 1996, il a arrêté de jouer et m’a confié la direction de son orchestre. J’ai donc continué son œuvre jusqu’à sa mort en 1998.

Que s’est-il passé après son décès et où en était l’orchestre ?

Au Maroc, lorsque le fondateur d’un ensemble décède, celui-ci n’existe plus. Plus personne ne s’intéressait à nous y compris les médias. Il se trouve qu’à cette même période, des mouvements musicaux ont vu le jour en Espagne. De grands artistes qui connaissaient mon oncle et appréciaient son œuvre, ont commencé à faire appel à nous. Ils tenaient absolument à travailler avec nous pour préserver son œuvre et mettre en valeur notre talent.
Ils ont fait venir le groupe à Grenade (Espagne), moi en premier. Une fois arrivé là-bas, j’ai dû suivre une formation pour me perfectionner et me mettre au niveau des grands artistes.
Si aujourd’hui on revient sur la scène marocaine, c’est surtout grâce à la chaîne 2M qui nous a vraiment soutenus et permis de ne pas nous faire oublier du public marocain.

Vous avez longtemps collaboré avec les grandes figures du flamenco et actuellement, vous travaillez avec des jeunes artistes. Est-ce dans un souci de transmettre ce que vous ont enseigné les aînés ?
 
Je continue à travailler avec les grands artistes avec lesquels nous avons enregistré plusieurs CD. J’en ai moi-même   enregistré et qui se sont bien vendus en Espagne.
Mais il se trouve que la compagnie « Musica es amor » (la musique est amour ) qui promeut l’orchestre Chekara n’a pas assez de moyens pour poursuivre ces collaborations. C’est pourquoi je travaille aussi avec les jeunes qui m’offrent beaucoup d’avantages, notamment de produire au moindre coût et de pouvoir jouer autant que possible. Ce qui nous permet de nous faire connaître et d’être accessibles à tout le monde.

Vous êtes installé depuis près de 12 ans à Grenade. Est-ce facile pour un artiste marocain d’y évoluer ?

On peut dire que les gens qui nous ont soutenus là-bas savaient pertinemment que nous faisions une musique ancestrale qui regorge d’histoires. Cela n’a donc pas été difficile de nous intégrer.

Vous avez joué dans plusieurs pays et collaboré avec de nombreux artistes et groupes. Quel est votre meilleur souvenir ?

Ce qui est merveilleux, c’est de voir comment les gens apprécient notre travail en Europe comme en Amérique latine. Ils sont très émus et séduits par cette fusion entre musique andalouse et flamenco. Qui traduit si bien le rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée.  
Mais le plus grand souvenir était de jouer avec le pianiste de renommée mondiale Michael Nyman (Oscar pour le film « La leçon de piano »).  Il a pris contact avec nous dès qu’il a su que nous étions installés en Espagne et que nous continuions à suivre l’œuvre de mon oncle avec lequel il avait joué dans le passé. Nous avons eu une expérience de fusion extraordinaire dont je garde de merveilleux souvenirs.

Quel message aimeriez-vous que le public retienne de votre prestation et de la fusion que vous lui aviez proposée ?

Fusionner la musique andalouse et le flamenco est quasiment quelque chose d’inné. Ces deux musiques sont comme des jumeaux. Ce sont deux cultures sœurs. Et c’est toujours un bonheur de voir le public s’évader lors de nos concerts.



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