Entretien avec Nadira El Guermaï : “L’INDH n’a pas pour prétention de remplacer le secteur public”


Propos recueillis par Narjis Rerhaye
Jeudi 24 Septembre 2009

Entretien avec Nadira El Guermaï  : “L’INDH n’a pas pour prétention de remplacer le secteur public”
En 4 ans, l’Initiative
nationale pour
le développement humain a su insuffler un
nouvel état
d’esprit, des valeurs et surtout un style neuf dans le management des projets.  En chiffres, l’INDH a déjà initié 18.757 projets dont plus de 60% ont été entièrement
réalisés. Ce sont  aussi 4.610.000 bénéficiaires pour une enveloppe de 11 milliards 13 millions de DH.  Entretien avec  Nadira
El Guermaï,
la coordinatrice nationale qui explique, à cœur ouvert, pourquoi l’INDH a changé la vie de ceux et celles qui réalisent désormais qu’ils peuvent
s’en sortir.

Libé : L’Initiative nationale pour le développement  humain a aujourd’hui 4 ans. Est-ce l’âge de la maturité ? Quel bilan faites-vous de ces quatre années ?

Nadira El Guermaï : 4 ans, c’est peu pour n’importe quel  projet dont les fondements peuvent parfois demander 2 à 4 ans. Dans le cadre de l’INDH, nous avons mis en place tout le dispositif organisationnel, les organes de gouvernance, l’accompagnement en matière de ressources humaines, etc.
Quand SM le Roi a annoncé le 18 mai 2005 l’INDH, nous n’avions aucun référentiel  aux niveaux national et international d’autant que nos bailleurs de fonds internationaux apprennent en même temps que nous. L’INDH était donc pour nous une découverte. Le référentiel mais aussi le socle de l’Initiative nationale pour le développement humain réside dans le discours royal, qui est pour nous une véritable feuille de route. Dans le même temps, nous avons les valeurs et les principes de l’INDH. Ce sont principalement 5 valeurs. D’abord, la confiance en soi et en l’avenir, ce qui signifie que tous les Marocains doivent avoir confiance en eux-mêmes et en leur pays et se dire qu’ils peuvent faire quelque chose. La deuxième valeur réside dans la dignité humaine. Une telle dignité s’incarne à travers une vie normale, un travail qui permette de s’inscrire dans le tissu économique  et social. Ces deux valeurs permettent de se considérer comme un élément humain.  L’idée de dire « je te reconnais en tant que personne humaine » n’a aucun prix. Troisième valeur chère à l’INDH, la participation. Tous les projets INDH émanent de la population. Aucun projet n’est dicté par le central. Tout est dicté par le territorial à travers la méthode participative, l’accompagnement. Quand la population sent que l’on va vers elle pour lui demander ses besoins, beaucoup de choses changent. Autre valeur de l’INDH, la bonne gouvernance. Elle est mise en place à travers les organes de gouvernance aux niveaux local, provincial et régional. C’est  la première fois que nous avons autour d’une table le tissu associatif, les élus et les services déconcentrés de l’Etat. Ce sont des équipes qui travaillent en toute objectivité sur fond d’intérêt commun. Grâce à cette bonne gouvernance, les projets de l’INDH se concrétisent et font l’objet d’une évaluation et d’un contrôle.
Cinquième et dernière valeur, la pérennité des projets. Il s’agit ici non seulement de la pérennité des projets mais aussi des comportements. Aujourd’hui, grâce à l’INDH, il y a un comportement, une relation qui s’instaure. A tout cela, il s’agit d’assurer une pérennité. Comment aller vers la population, comment l’écouter, la considérer comme toute personne qui a des droits et des devoirs.
Deux principes viennent s’ajouter à cette feuille de route : la proximité et la transparence. L’autorité se déplace vers les populations et tous les projets INDH sont audités et les résultats de l’audit sont publiés sur notre site Internet. Les bailleurs de fonds auditent également nos projets qui sont évalués par la population elle-même.

Vous parlez de grands principes et de valeurs. Concrètement, que représente l’INDH en chiffres ?
Combien de projets ont-ils été financés ? Quelle est la proportion des poches de pauvreté éradiquées ?  Combien de citoyens se portent mieux aujourd’hui grâce à l’INDH ?

Les résultats obtenus jusqu’à aujourd’hui sont très satisfaisants. Nous avons 18 757 projets et parmi eux ceux de l’année 2005-2006 réalisés à 100%. Les projets 2007-2008 sont en cours de réalisation. Mais en termes de réalisations, nous nous situons de manière générale à  plus de 60%, sachant que les projets relatifs à l’infrastructure demandent 2 à 3 ans de réalisation. Nous avons pu satisfaire 4 610 000 bénéficiaires pour une enveloppe de 11 milliards 13 millions de dhs.  L’INDH intervient à hauteur de 59%. 41% de cette enveloppe sont portés par les autres partenaires. L’Initiative nationale pour le développement humain ne vient pas pour remplacer le secteur public mais pour donner une impulsion, avoir de la réactivité. En termes de projets en milieu rural, nous en avons 4576 qui sont en cours de réalisation et ils concernent le soutien à l’accès aux infrastructures de base.  Leurs bénéficiaires s’élèvent au nombre de 1.500.000. Toujours au niveau rural, 6000 projets ont été réalisés.

A regarder tous ces projets, on a parfois le sentiment que l’INDH se disperse. N’est-ce pas là un handicap ? Et quelle est la véritable vocation de l’Initiative nationale pour le développement humain ?

Je ne pense pas qu’il y ait de dispersion. L’INDH est destinée à tous les Marocains. Elle est aussi portée par le gouvernement. Les projets INDH sont vus à travers les partenaires. Nous en avons beaucoup, de la santé à l’éducation nationale, en passant par l’agriculture, la jeunesse et sports, la culture et j’en passe.  En fait, tous les secteurs sont concernés, c’est pourquoi on peut avoir cette impression de dispersion. Au contraire, et avec l’expérience acquise depuis 4 ans, nous avons de plus en plus de visibilité. Ce qui est important de dire, par contre, c’est que l’INDH profite à un spectre très large de bénéficiaires. A chaque fois qu’il y a un besoin, l’INDH réagit à travers un partenariat et une contractualisation. 18.000 projets sur 4 ans, c’est énorme ! J’ajouterai enfin que nous avons, au niveau de la coordination, un système de suivi de tous les projets INDH. Un système qui nous renseigne sur l’état d’avancement, les partenaires, etc, et nous permet d’avoir en temps réel  la situation des projets au niveau territorial.

Vous parlez de transparence. Procédez-vous à des évaluations des actions de l’INDH ? Et quels sont les dysfonctionnements que vous avez pu identifier ? Que faut-il corriger aujourd’hui ?

Les audits concernent les certifications des comptes.  Conformément aux orientations royales, toute la comptabilité de l’INDH doit être transparente. On peut avoir droit à une erreur dans la gestion mais pas en matière d’argent et de fonds car il s’agit des deniers de l’Etat. Toute personne qui a failli dans la gestion financière doit être punie. Jusque-là, les audits montrent qu’il y a des anomalies de forme et non pas de fond. L’Initiative nationale pour le développement humain est venue avec une nouvelle manière de travailler, un nouveau style de management. Cela demande des adaptations.
Le ministère des Finances qui nous accompagne a procédé à une évaluation de performance de l’INDH.  Autrement dit, nous allons maintenant vers la qualité des projets. Et au niveau de la coordination nationale, nous avons des équipes en continu, des équipes sur le terrain pour voir comment les projets sont montés.  Il ne faut pas oublier non plus que nous prenons en considération ce que la presse écrit sur les projets de l’INDH, les doléances que nous recevons. Nous dépêchons les équipes sur le terrain qui procèdent à des investigations pour vérifier le bien-fondé ou pas des remarques et des informations.
Enfin, nous procédons à des enquêtes. Il y a d’abord celles menées par le Haut commissariat au plan. Cette instance a mis en lumière le fait que le taux de pauvreté a diminué, passant de 14% à 9% au niveau national et de 30 à 21% dans les communes cibles de l’INDH. L’Observatoire national pour le développement humain procède également à des enquêtes alors que chaque année, la coordination réalise des enquêtes de perception auprès des populations. La dernière enquête en date a concerné plus de 2400 personnes qui ont été interviewées. Dans le même temps, nous avons visité 375 projets

Justement ces personnes cibles, tous ces bénéficiaires se sont-ils approprié l’INDH ? L’effet d’appropriation existe-t-il réellement ?

Au départ, il s’agissait d’abord et avant tout de construire parce que nous sommes partis de rien.
En démarrant l’INDH, notre tout premier chantier a été la formation. Nous avons donc commencé par la formation des chefs de l’action sociale au niveau territorial. Nous avons réalisé à ce titre 13120 jours-formation. Autre élément important, la communication et le comportement. Comment se comporter avec les populations, notamment à travers l’écoute, est ici fondamental.  Des rencontres ont été organisées aussi bien au niveau national, régional ou local sur le thème des valeurs de l’INDH. Une  grande campagne institutionnelle a été lancée  pour lever toute confusion sur l’INDH et les projets sectoriels. Souvent, dans l’imaginaire collectif, quand un projet ne marche pas,- et même s’il ne s’agit pas de l’un de nos projets- c’est toute l’Initiative nationale pour le développement humain qui ne fonctionne pas. En fait, toute l’année 2005-2006 a été consacrée à une communication de proximité relative à l’INDH, ses valeurs, sa philosophie. Des manuels de procédure ont été mis en place.
Aujourd’hui, nous avons un responsable de communication au niveau de chaque province ainsi que des plans de communication de proximité adaptés aux contextes et selon les besoins de la population. La même démarche a été adoptée au niveau de ceux en charge de la formation. Les plans de formation dont nous disposons désormais sont spécifiques aux régions et aux provinces.
Par rapport aux bénéficiaires, il faut noter qu’il y a un changement incroyable. D’abord la confiance en soi  qui devient palpable. Les gens disent : « Maintenant nous avons un objectif ». Une femme me confiait il y a peu qu’elle se réveillait le matin en se posant la question de savoir ce qu’elle allait faire. Aujourd’hui, m’a-t-elle dit, elle se lève tout en ayant des objectifs pour sa journée. Elle va à la banque, à l’association, elle travaille, elle regarde sa montre, elle gère son temps. Bref, la personne s’organise et a conscience de ce qu’elle est capable de faire. On n’est plus dans l’assistanat, on n’est plus dans la léthargie. L’estime de soi commence à augmenter parce que le regard change, se fait plus positif. Les gens se sont approprié les valeurs et la philosophie de l’INDH, j’en veux pour preuve qu’ils n’en finissent pas de nous interpeller sur les projets, sur telle ou telle question. Ce sont véritablement des partenaires, ils  se font de plus en plus exigeants.



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