Entretien avec Mohamed Dflaoui, président de l’Association franco-marocaine de la région de Tafraout en France (Clermont-Ferrand)

“Nous réclamons un statut dérogatoire pour les ONG étrangères qui fournissent des véhicules usagés aux associations marocaines”


ENTRETIEN REALISE PAR IDRISS OUCHAGOUR
Vendredi 29 Avril 2011

Entretien avec Mohamed Dflaoui, président de l’Association franco-marocaine de la région de Tafraout en France (Clermont-Ferrand)
Depuis le 1er janvier 2011, date de la mise en vigueur du nouveau Code de la route,
les véhicules usagés importés sont soumis à un nouveau régime de dédouanement.
Le décret
d’application
du nouveau
Code stipule dans
son article 96 que ces derniers, tous genres confondus, âgés de plus de 5 ans,
se verront désormais refuser le certificat d’homologation par
le Centre national
des essais et
d’homologation.
L’Association
franco-marocaine de la région de Tafraout en France opère dans le domaine de la lutte contre la déperdition scolaire par
l’importation de bus usagés de ramassage scolaire.
Cette mesure risque
de donner un coup
de frein aux actions
de cette ONG
et bien d’autres.
Entretien avec son président,
Mohamed Dflaoui.

Libération : D’abord, voulez-vous nous donner un aperçu de votre association ?

 Mohamed Dflaoui : Notre association a été créée en 2002 en France, plus précisément dans la ville de Clermont-Ferrand, chef-lieu de la région d’Auvergne. Parmi ses membres, il y a des Marocains habitant en France mais aussi des Français, pour la plupart des retraités. L’objectif principal de cette ONG est de lutter contre la déperdition scolaire,  exclusivement, dans la région de Tafraout, où ce fléau sévit toujours. Particulièrement chez les filles scolarisées, lesquelles sont en proie à l’abandon scolaire en raison de l’éloignement des établissements scolaires collégiales de leurs foyers familiaux. Pour ce faire,  nous mettons à la disposition des élèves de ces patelins enclavés des véhicules de transport scolaires. Et ce,  dans le cadre d’accords de partenariat et d’entraide avec les associations de développement locales et les communes concernées par ces actions. En vertu de ces accords, ces dernières s’engagent à assurer les moyens humains et matériels au bon fonctionnement du service offert par ces véhicules aux usagers.

En quoi le nouveau Code de la route pénalise-t-il votre action ?

Le nouveau Code de la route entré en vigueur au début de cette année, est un frein pour ne pas dire un coup fatal porté à l’activité de notre association. Des dispositions de cette nouvelle réglementation de la circulation ne tolèrent désormais l’importation que de véhicules mis en usage durant une durée n’excédant pas cinq ans. Cela tombe comme un couperet sur nous. Car,  d’abord, les moyens financiers de notre association, à l’instar de toute association non reconnue d’utilité publique,  proviennent seulement des cotisations de ses membres ; ce qui en dit long sur la modestie de ses ressources pécuniaires.
Avec ces «générosités», nous ne pouvons nous procurer que des bus dont la limite d’âge dépasse cette période de temps requise. Puisqu’ils sont à bon marché et donc accessibles à la bourse de l’association. Cela au moment où, vouloir acquérir des véhicules neufs dont les prix d’achat dépassent de loin 2,5 millions de dirhams, reste un vœu pieux auquel ne peut prétendre aucune association à but non lucratif! Et même les véhicules dont l’âge ne dépasse pas 5 ans, restent tout autant excessivement exorbitants et hors de portée ; leurs prix ne baissant pas à moins de 1,5 million de dirhams.  Pis, ils ne sont même pas très souvent mis en vente en France. Ce n’est qu’une fois amortis durant cette période, que les sociétés, utilisant ce genre de véhicules de transport collectif, désirant renouveler leur parc, décident de les céder. C’est donc,  pour tout dire,  une contrainte majeure à l’arrêt fatal de nos actions associatives.

Mais, à voir les motivations à l’origine de l’instauration de cette loi,  n’est-ce pas pertinent ?

Je comprends parfaitement l’argument judicieux et fondé du législateur. Mais, je veux signaler, qu’avant même l’avènement du nouveau code de la route, nous étions toujours soucieux de telles nuisances, à chaque fois que nous procédons à l’importation des véhicules. Je vous assure qu’une fois le bus acquis en France, notre association procède à une visite technique rigoureuse de son état mécanique. Est-ce qu’on peut imaginer qu’en Hexagone où l’on ne badine pas du tout avec les lois, on puisse laisser circuler un véhicule défaillant au niveau de la mécanique ? Par ailleurs, nous procédons également à une autre visite technique pour vérifier qu’il n’est pas polluant. Avec une vignette verte (accolée obligatoirement sur le pare-brise), faisant foi de sa conformité aux  normes d’émission Euro en vigueur fixant les limites maximales de rejets polluants pour les véhicules à moteur. C’est une notion très stricte en matière de lutte contre la pollution atmosphérique qui n’est même pas encore appliquée au Maroc. Donc,  tous les bus importés arrivés au Maroc dans un tel état sont-ils à incriminer?

Avez-vous tenté de frapper aux portes des responsables pour leur expliquer cette entrave à votre action sociale ?

Après avoir essayé de convaincre les responsables du Centre national des essais et d’homologation ainsi que le directeur général de la Douane,  de trouver une issue à ce problème, nous nous sommes orientés vers le ministère du Transport. Nous avons sollicité une audience au ministre, sans résultat. Son chef de cabinet nous expliquera que nous ne faisons que prêcher dans le désert ; la loi étant inviolable ! Depuis, j’ai décidé de me rabattre sur les médias où je donne de la voix pour attirer l’attention des responsables sur cette problématique qui risque de priver des services de transport gratuit, les populations des zones enclavées.
Outre le transport scolaire, d’autres ONG importent des véhicules et en font don aux associations des handicapés, celles des clubs sportifs. D’autres ramènent des véhicules servant pour le transport de viande dans les communes rurales,  des bibliobus,  sans oublier également les ambulances dont l’importance n’est pas à démontrer dans ces contrées reculées dépourvues de structures sanitaires de base, de maternité, etc.

Qu’attendez-vous des responsables?

Ces associations ne font pas dans le business. Ce sont des ONG dont les actions sont à caractère caritatif et elles œuvrent dans le domaine strictement social. La loi interdisant le visa d’homologation aux véhicules importés âgés de plus de cinq ans, met,  malheureusement,  tout le monde dans le même panier. C’est préjudiciable aux acteurs associatifs dont le statut particulier doit être pris en considération ! Nous demandons qu’une dérogation soit faite en faveur des associations important les véhicules affectés aux services gratuits de transport. En les faisant bénéficier ainsi d’un régime douanier exceptionnel. C’est primordial pour la pérennité de leurs actions dont les implications au niveau social et en termes de développement local, ne sont plus à démontrer.

Revenons justement à votre expérience en matière de lutte contre l’abandon scolaire à Tafraout; voulez-vous nous en parler?

Je peux vous confirmer, sans prétention aucune, que notre expérience menée à Tafraout peut se targuer d’être la plus importante au niveau national en termes de nombres de bus mis en service et de réussite eu égard aux résultats réalisés. La région d’Amelnnes connaissait un taux de déperdition scolaire,  notamment, chez les filles rurales admises au cycle collégial,  des plus désastreux. Notre association a mobilisé pour éradiquer ce fléau des moyens de transport d’une capacité de 632 places; soit un bus articulé et 4 bus normaux. Jusqu’ici, nous assurons le transport, gratuit,  il faut le préciser,  à 310 élèves, dont 60% sont des filles. On constate d’emblée qu’on en a encore pour le double de cet effectif, heureusement. Ces apprenants qui poursuivent leur scolarité au collège et dans le secondaire qualifiant,  bénéficient au quotidien d’un service de transport, desservant plus de 25 villages. Et je vous confirme qu’aucun cas d’abandon scolaire n’est plus enregistré parmi les élèves et surtout les filles depuis le lancement de ce projet.

Quels sont les projets que vous avez initiés et qui sont désormais contrecarrés par le nouveau Code de la route ?

Notre association avait décidé d’initier une expérience similaire dans la région d’Aît Ouafka dans la Caïdat de Tahala. Cette commune pâtit elle aussi du problème de l’abandon scolaire qui est important dans les rangs des filles devant être scolarisées au secondaire. Les membres du bureau de notre ONG sont venus ici, l’an dernier, pour s’enquérir de la situation afin de faire le point et quantifier au juste les besoins en termes de moyens de transport. Juste à titre indicatif, ne serait-ce que dans un village appelé Tafghart, nous avons recensé 35 filles qui ne vont pas à l’école. Dans les deux autres hameaux voisins, près de 65 filles s’apprêtent à quitter les bancs de l’école cette année,  le collège étant loin de leur douar. On imagine le résultat de l’addition si l’on ajoute les cas des vingtaines d’autres villages de la commune! C’est affligeant et malheureux ! Cela d’autant plus que notre association a déjà acquis trois grands bus en France que nous avons voulu mettre à leur disposition. Mais,  leur certificat d’homologation nous sera certainement refusé. Face à cette situation, nous sommes vraiment déçus et surtout désarmés !


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