Entretien avec Habib El Malki, membre du Bureau politique de l’USFP : “L’exception marocaine ne doit pas être utilisée pour justifier le statu quo”


Entretien réalisé par Narjis Rerhaye
Vendredi 11 Février 2011

Entretien avec Habib El Malki, membre du Bureau politique de l’USFP :  “L’exception marocaine ne doit pas être utilisée pour justifier le statu quo”
Observateur attentif des transitions, Habib El Malki suit avec passion les événements de la Tunisie et de l’Egypte. Si le mur de Berlin est tombé physiquement en 1989,  dit-il, on peut considérer qu’en 2011, le mur de la peur est tombé dans plusieurs pays du monde arabe !
Le dirigeant usfpéiste en est profondément convaincu : le Maroc doit tirer tous les enseignements de ce qui s’est passé en Tunisie et de ce qui déroule en Egypte, même si « les situations ne sont pas comparables » et que « la transition s’est faite à l’intérieur des institutions et dans le cadre du système politique établi ». 
Cet homme de gauche refuse  de parler d’exception marocaine, meilleur alibi pour le statu quo. « Le vide, c’est quand on déserte la démocratie. Et quand on déserte la démocratie, on instaure le parti unique. Cette situation renforce nos convictions dans la nécessité non pas de faire du Maroc une exception mais de faire de l’expérience démocratique marocaine une référence pour les autres pays du monde arabe », fait valoir celui est également député de Bejaad
Les réformes politiques et constitutionnelles sont, plus que jamais, à l’ordre du jour et les revendications en la matière  de l’Union socialiste des forces populaires sont intactes. « Toute concentration des pouvoirs est anti-démocratique et devient de ce fait un danger parce qu’elle remet en cause les fondements de la démocratie.  C’est la raison pour laquelle l’USFP a toujours revendiqué des réformes constitutionnelles et politiques très profondes », soutient ce membre du Bureau politique du parti de la Rose.
La monarchie parlementaire est une question qui n’est ni éludée ni taboue chez les militants de l’USFP qui ont engagé, à l’occasion du 8ème Congrès du parti, tenu en novembre 2009, un débat  à la fois profond et responsable sur ce point. « C’est une revendication politique de l’USFP de longue date.  Lors de notre dernier  congrès et au terme d’un long débat, nous avons considéré que l’avènement de la monarchie parlementaire doit être une perspective. Une telle revendication ne se décrète pas. Elle est intimement liée aux transformations sociales et politiques ainsi qu’au statut et au rôle des partis dans la consolidation d’une véritable démocratie, » conclut Habib El Malki



Libération : Après la révolution du Jasmin en Tunisie, un vent de contestation souffle au Maghreb et dans le monde arabe. La rue manifeste, revendique la démocratisation de l’espace public et en appelle au changement. Quels enseignements faut- il tirer de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe et au Maghreb ?

Habib El Malki : Les événements de la Tunisie et de l’Egypte nous concernent de manière directe et nous interpellent fortement. Nous devons en tirer tous les enseignements.
Mais il convient de rappeler que les situations entre le Maroc et ces deux pays ne sont pas comparables pour plusieurs raisons principalement parce que  les fondamentaux sont différents.
Le Maroc connaît une vie politique erratique mais une vie politique réelle avec des acquis et des avancées démocratiques. Renier ce que l’on peut appeler «les particularités marocaines», c'est véritablement condamner l’expérience que nous sommes en train de vivre et que nous vivons depuis plus d’un demi-siècle.

Faut-il pour autant continuer de présenter le Maroc comme une exception dans la région ? Est-ce que ce n’est pas dangereux ?

Je considère que l’usage de la formule exception n’a plus aucun sens. Nous vivons dans un nouveau contexte marqué par la mondialisation de la revendication démocratique et des droits humains.  La spécificité ou l’exception ne doit plus être utilisée comme un alibi pour justifier un quelconque statu quo. Le recours systématique à de telles références rend politiquement myope et c’est extrêmement dangereux.

Au regard de ce qui s’est passé en Tunisie et ce qui est en train de se dérouler aujourd’hui en Egypte, la question de la transition se pose avec force. Selon vous, comment faut-il organiser de telles transitions aussi bien en Tunisie, en Egypte mais aussi au Maroc puisque nous parlons beaucoup de transition inachevée en terre marocaine ?

Il y a transition et transition. Dans le cas de la Tunisie et de l’Egypte, ce sont des transitions d’un type très particulier parce qu’elles sont la résultante d’un soulèvement populaire contre les institutions existantes, contre le système politique existant. Autrement dit, ce sont des modèles de contestation populaire marqués par des décennies de répression politique dans le cadre d’un système de parti unique.
Ce type de transition sera très douloureux et très long  parce qu’il n’y a pas de leadership. Il n’y a pas non plus de projet élaboré. C’est un apprentissage qui doit aboutir non pas à la restauration de la démocratie mais à l’instauration de la démocratie. Je crois que ce type de transition est assez inédit dans l’histoire des révolutions du 20ème siècle.
Dans le cas du Maroc, il s’agit d’une transition à l’intérieur des institutions, dans le cadre du système politique établi et l’objectif consiste à approfondir la démocratisation dans la perspective d’un véritable partage des pouvoirs afin de mieux clarifier le rôle et le statut des principaux acteurs politiques.

La concentration des pouvoirs représente-t-elle  justement un danger ?

Toute concentration des pouvoirs est anti-démocratique et devient de ce fait un danger parce qu’elle remet en cause les fondements de la démocratie.  C’est la raison pour laquelle l’USFP a toujours revendiqué des réformes constitutionnelles et politiques très profondes.
Il faut ici rappeler qu’en mai 2009, l‘USFP a adressé au Souverain un mémorandum portant sur la réforme constitutionnelle adaptée à la conjoncture actuelle. Nous avons évalué notre expérience notamment depuis l’avènement de la nouvelle ère et abouti au constat selon lequel un nouveau souffle et de nouvelles perspectives sont nécessaires. Ceci ne peut se faire qu’à travers une adaptation  de la constitution de 1996 aux nouvelles conditions et aux nouvelles exigences du Maroc d’aujourd’hui.
Les grands axes de cette réforme résident à notre sens  dans la constitutionnalisation d’un certain nombre d’acquis dans le domaine des droits de la femme, des droits de l’enfance, des droits des handicapés, dans le domaine de l’environnement. Il s’agit ici d’un alignement que le Maroc a effectué sur la base de l’adhésion à des conventions internationales notamment dans tout ce qui a trait au droit.  
L’évolution de la notion de partage des pouvoirs est également un axe fondamental.  Parce qu’il est essentiel de donner à cette notion de partage des pouvoirs  des prolongements concrets. A titre d’exemple,  le premier ministre ne doit pas être un simple coordonnateur mais  le Premier des ministres. Il doit exercer ses prérogatives de manière effective.
En plus de la restauration de la primature en tant qu’institution, nous en appelons à l’instauration d’un pouvoir judiciaire, c'est-à-dire un pouvoir indépendant garant de l’équilibre des autres pouvoirs et entre l’ensemble des pouvoirs.

Dans le cadre des réformes constitutionnelles et politiques, l’USFP va-t-elle jusqu’à demander l’instauration d’une monarchie parlementaire ?

La monarchie parlementaire est une revendication politique de l’USFP de longue date.  Lors de notre 8ème Congrès tenu en novembre 2008, un débat à la fois profond et responsable nous a permis de considérer que l’avènement de la monarchie parlementaire doit être une perspective : c'est-à-dire une étape dans un processus marqué par un changement profond et des institutions et des attributions.
Une telle revendication ne se décrète pas. Elle est intimement liée aux transformations sociales et politiques ainsi qu’au statut et au rôle des partis dans la consolidation d’une véritable démocratie.

Une telle évolution du système ne passe-t-elle pas par la nécessaire et urgente réhabilitation du rôle des partis politiques dans un pays comme le nôtre ?

S’il y a un enseignement à tirer de ce que vivent la Tunisie et l’Egypte, c’est véritablement le rôle vital, le rôle sécurisant, dans le sens démocratique s’entend, des partis politiques.  
Il y a quelques années, certains ont essayé de jouer avec le feu en mettant sur le banc des accusés les partis démocratiques nationaux en essayant de minorer leur rôle, de porter atteinte à notre mémoire collective à travers le mouvement national.  Les événements d’aujourd’hui montrent qu’une transition démocratique réussie ne peut se faire qu’avec des partis politiques responsables et représentatifs.

Est-ce que le vide politique ne fait pas le lit de tous les extrémismes ? Est-ce qu’il faut en avoir peur ?

La peur, c’est l’antipolitique. C'est-à-dire la destruction de tous les ressorts qui permettent de regarder l’avenir avec confiance. La peur rend la société dépressive jusqu’au moment des révoltes et des ruptures. Ce qui se passe en Tunisie et en Egypte, c’est justement  une libération de la peur…
On dit que le  mur de la peur est tombé…
En d’autres termes, si le mur de Berlin est tombé physiquement en 1989, on peut considérer qu’en 2011, le mur de la peur est tombé dans plusieurs pays du monde arabe !
Le vide, c’est quand on déserte la démocratie. Et quand on déserte la démocratie, on instaure le parti unique. Cette situation renforce nos convictions dans la nécessité non pas de faire du Maroc une exception mais de faire de l’expérience démocratique marocaine une référence pour les autres pays du monde arabe. C’est pour cela qu’il faut accélérer les réformes dans les domaines constitutionnels, politiques, économiques et socioculturels. L’accélération du rythme des réformes, l’ouverture d’un nouveau chantier de réformes pour donner du souffle à la démocratie au Maroc, le renforcement de la cohésion sociale, l’émergence d’un nouvel espace participatif pour les jeunes qui deviennent une véritable force de changement, ce sont tous ces éléments qui font que le Maroc gardera son avance comparativement à d’autres pays du monde arabe.

Pour terminer, y a-t-il des murs qui doivent tomber dans notre pays ?

Vous savez, le changement rencontre toujours des résistances au niveau des mentalités et des comportements. Il y a des intérêts qui jouent contre la démocratisation accélérée.  Mais la confiance dans les institutions, la confiance dans le rôle des partis, la confiance dans notre jeunesse nous permettent  de préparer l’avenir sur la base d’une grande sérénité.

Qu’est-ce que vous diriez à ceux qui prédisent une déferlante contestataire au Maroc sur les modèles tunisien et égyptien ? Qu’ils font un mauvais pronostic?

Le meilleur rempart, ce n’est pas la peur.  La démocratie est le meilleur des remparts.


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